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Laurent Peyrelade : « Rodez, ce n’est pas Barcelone »
Revenu cet été en Ligue 2 après 26 ans d'absence, Rodez est toujours invaincu après deux journées et reçoit le Paris FC vendredi soir avec l'étiquette de cinquième du championnat. À sa barre : Laurent Peyrelade, 49 ans, arrivé au club en mai 2015 et qui a connu l'enfer avec le club aveyronnais. Il raconte.
Vendredi dernier, à Châteauroux, on vous a vu à plusieurs reprises frapper contre le banc, hurler, par frustration. Vous aussi vous vous ennuyiez ? (rires) J’ai réagi comme ça parce que je pense qu’on était capables de faire mieux, que ce soit en terme de mouvements, de propreté technique… Ce n’était pas forcément de la frustration mais à la mi-temps, je me suis dit : « Putain, c’était pas une bonne pub pour la Ligue 2… » Les gars étaient un peu sur la retenue par rapport au fait qu’on débute dans cette division-là, qu’on jouait à l’extérieur… On peut faire ce qu’on veut sur le côté, c’est les joueurs qui jouent.
Comment on arrive à faire sauter ce frein dans la tête des joueurs ? Il y a deux possibilités : en compétition, il faut demander un temps-mort, ce qui n’est pas possible dans le football, ou alors on attend la mi-temps, et on essaie de les remettre sur le bon chemin. L’idée, c’est de retrouver de l’insouciance, ce qu’on sait faire naturellement, d’être dans la continuité des saisons d’avant… L’été a été court, mais intense, il fallait notamment intégrer les nouveaux et leur montrer comment on voit le foot, le jeu, le fait de vivre ensemble. Finalement, je trouve que la préparation d’une rencontre n’est pas fondamentalement différente en Ligue 2 de ce qu’on faisait les années d’avant, si ce n’est que la charge est plus importante. Il faut surtout gérer l’excitation et la débauche d’énergie que peut avoir un club comme le nôtre quand il débute un championnat comme ça. Après, il faut se laisser guider par nos qualités.
Vous parlez souvent de l’idée d’un chemin à suivre. Si vous deviez le définir aujourd’hui, ce serait comment ?L’idée, c’est déjà de participer à une aventure, d’être au service de l’autre, de parfois se détacher du résultat brut du moment. Même si on fait de la compétition et que c’est super important, je considère que ce qui est important, c’est déjà d’être connectés tous ensemble. Il faut que les mecs qui jouent au milieu aient confiance en ceux qui jouent derrière. Je souhaite que mes joueurs soient connectés au niveau de la pensée, au niveau de la façon de voir le foot et de le vivre ensemble. Il faut aussi une connexion avec l’environnement : tu ne joues pas de la même manière à Lorient, à Rodez ou au Paris FC. Ce n’est pas le même public, pas le même contexte, pas les mêmes projets. Il faut que ton groupe ressemble à ton lieu de vie et aux gens qui viennent te voir. Les joueurs qui arrivent doivent donc s’adapter à ce contexte, c’est souvent ça qui est le plus difficile. On n’est pas des pièces détachées : un club de foot, c’est un ensemble connecté. Résultat, ton identité doit se faire sentir. Ton âme aussi.
Justement, au départ, c’est ce qui a été votre problème : vous êtes arrivé à Rodez en 2015 avec vos idées, votre façon de voir le foot, et vous n’aviez pas pris conscience de l’endroit où vous aviez mis le pied. Et vous vous êtes planté.C’est exactement ça. Mais tu dois t’adapter, tu n’as pas le choix, sauf si tu as les moyens de construire ce que tu veux et de recruter tous les joueurs qui correspondent à ce que tu veux faire. C’est encore une question de chemin, il faut trouver le bon et dans tous les domaines : le jeu, la communication, la gestion… Si je me suis planté la première année, c’est parce que je voulais faire des choses qui ne correspondaient ni à mon groupe, ni à l’identité du club. J’ai repris une feuille blanche, un crayon, et j’ai réécrit les choses, en touchant à mes principes, parce qu’il faut quand même que ton équipe te ressemble.
Vous vouliez proposer du jeu, un football de possession, quelque chose de léché. Aujourd’hui, Rodez, c’est plutôt autre chose : quand on vient voir Rodez, on ne vient pas forcément voir du spectacle. On vient voir des joueurs qui se dépouillent, qui pratiquent un jeu très direct… C’est à la fois péjoratif sans l’être. En fait, cette approche fait partie de l’ADN de la région. Ici, si tu ne vas pas de l’avant, que tes centraux font huit passes entre eux, ça va chauffer dans la tribune.
Ici, c’est magnifique, c’est chaleureux, mais c’est rugueux. Il faut que tu colles à ton public. Rodez, ce n’est pas Barcelone ou Manchester, et tu ne peux pas modifier l’ADN. Un club, c’est comme un être vivant : tu ne touches pas à son ADN, même si tu peux améliorer certains comportements. Donc, toi, tu te dois d’insérer tes idées dans ce moule. Après, il faut faire attention, parce que le fait d’avoir de la solidarité, une idée commune, d’être des coureurs ou des maillocheurs, c’est très galvaudé dans le football. C’est mal considéré alors que c’est, à mes yeux, la première base. On n’est pas devenus champions du monde en ayant la meilleure possession de la Coupe du monde.
Ce football est aussi souvent le plus épuisant psychologiquement car il est essentiellement basé sur les émotions. J’espère bien ! (Il insiste) C’est ça l’objectif, non ? Vivre des émotions. Si c’est froid, fade, sans saveur, c’est nul. Alors tu fais des bonnes choses, tu en fais des moins bonnes, mais ce que tu recherches, c’est quand même ça : des moments d’émotions partagées, un bonheur collectif, que tu vis avec ta région, ton groupe, ta famille. Dans le foot, c’est compliqué de vivre des émotions collectives fortes, mais c’est après ça que tu cours. Ici, on a un groupe jeune, mais je préfère que ça pète, que ça pétille, que ça grouille, qu’il y ait de la vie. Ce n’est pas chacun de son côté, des joueurs qui ne se parlent qu’à travers des textos. Non, il faut qu’il y ait quelque chose qui se passe entre les mecs. Les passes, c’est important, mais si tu aimes ton coéquipier, ça devient une passe d’amour et là, c’est différent. Mais, oui, ça demande une résistance
psychologique : il y aura des moments difficiles, on fera des conneries, mais si tu les fais parce que tu es dans l’émotion, ça peut s’excuser. L’inexcusable, c’est de ne pas faire preuve d’intelligence.
Certains entraîneurs bossent aujourd’hui avec de l’aide extérieure pour justement canaliser ces émotions et apprendre à travailler avec. Olivier Dall’Oglio expliquait récemment avoir fait appel à des hypnotiseurs. C’est quelque chose que vous avez fait aussi ?Je pense qu’il ne faut pas contrôler les émotions. Il faut les guider, les orienter et, pour moi, c’est surtout au joueur de trier dans ses émotions. Tu peux faire appel à de l’aide extérieure : des spécialistes dans la cohésion, un préparateur mental… Mais c’est une démarche souvent personnelle. Le travail sur le mental, il est permanent. Moi, j’ai trois joueurs qui sont énormément dans l’émotion et peuvent monter haut, ce qui peut amener des erreurs. Quand ils les font, on se pose, on discute, on essaie de comprendre pourquoi cette erreur est intervenue, mais je ne freinerai jamais les émotions d’un joueur. C’est bien d’avoir des émotions. Certains veulent tout fermer, je préfère tout ouvrir. L’enjeu, c’est simplement d’éduquer le joueur pour qu’il maîtrise ses émotions parce que contrôler, ça me fait penser à arrêter. Maîtriser, c’est trier, c’est mieux.
L’émotion, c’est aussi la digestion. Certains joueurs expliquent qu’il est devenu presque impossible d’apprécier la victoire. Pour un entraîneur, c’est quelque chose qui semble aussi compliqué. Vous vous souvenez de la dernière fois que vous avez savouré un succès ?En fait, le problème d’un entraîneur, c’est qu’il anticipe les choses : les gains, les pertes, les problèmes. C’est emmerdant d’anticiper les problèmes, limite angoissant. Ça, c’est un souci. Après, on ne cherche pas forcément l’émotion de la victoire. C’est plutôt de la fierté, si ce que tu as décidé a bien fonctionné, si tes joueurs étaient bien préparés… Ce que tu cherches, c’est l’émotion tout court, le moment de bonheur partagé. Et ça, c’est pas une victoire : c’est un très bon championnat, une montée, c’est quand tu as le sentiment que ton groupe a progressé, que quelqu’un que tu ne connais pas te dit « putain, je ne pensais pas que ce joueur était capable de ça… » Là, t’as quelque chose. C’est ça que tu cherches. Une victoire ? Il y a tellement de matchs dans une saison… C’est pas l’important. L’important, c’est le chemin, la direction que prend ton groupe, ton équipe, et de pouvoir te dire : « C’était bien ce qu’on a fait. »
Justement, vous avez une idée du chemin que Rodez pourrait prendre cette saison ?Là, c’est tôt, trop tôt, on est encore dans la confection de ce bon chemin, la bonne feuille de route. Il faut que tout le monde trouve sa place sur ce chemin, trouve son rôle, sa fonction, son épanouissement. Je ne sais même pas ce qu’on va faire dans quatre matchs, je ne connais même pas l’adversaire. On apprend ce qu’il nous arrive, on essaie d’emmagasiner le plus vite possible pour grandir, avancer, être performant. C’est ça la démarche aujourd’hui. Ce que je sais, c’est que le championnat est long, parce que quand j’ai rempli mon fichier Excel avec toutes les cases, il y en avait beaucoup (rires).
Comment un entraîneur se prépare à la Ligue 2 ? C’était quoi votre été ?J’ai demandé les grosses conneries qu’il ne fallait pas faire à Mathieu Chabert, qui est un ami, j’ai posé la question à Réginald Ray. Après, tu essaies de programmer des matchs amicaux avec des équipes de Ligue 2 complètement différentes, parce que c’est aussi ça, la Ligue 2 : Châteauroux, c’est des caractéristiques, Auxerre d’autres, Lorient encore d’autres… Là, on a pu se faire une idée de ce qui allait nous arriver.
Ça vous faisait peur ?Il ne faut jamais avoir peur du foot, il faut tout prendre. J’ai encore cinq ou six joueurs qui ont connu la CFA2 avec moi. Je peux vous dire qu’on est mieux en Ligue 2, hein. C’est une expérience extraordinaire, une aventure unique : on va jouer sur des super stades, avec des super entraîneurs, de super joueurs… On sort de la zone de confort, c’est ça qui est bon. On n’avait pas prévu ça il y a deux ou trois ans en arrière.
Quand vous étiez ce que vous appeliez récemment « l’enfer » … Ça ressemble à quoi l’enfer ? L’enfer, c’est quand tu es dans la poule sud de CFA, que c’est dur tous les matchs, que tu es relégable, que tu descends en CFA2. Quand je dis qu’on arrive de l’enfer, c’est vrai. Les gens ne le savent pas. Là, on vient d’ouvrir les portes du paradis, on est dedans, la lumière est belle, il fait beau, alors qu’il y a quatre ans, ce n’était pas une lumière, c’était des flammes. D’où l’on vient, c’est ça, il faut se mettre à notre place. Quand on voit le chemin parcouru, on ne peut qu’être fiers de nous.
Au quotidien, pour un entraîneur, cet enfer, ça laisse des possibilités de s’oxygéner ?Soit tu te détaches un peu de l’univers extérieur, du regard des gens, ce qui doit être valable dans les deux sens, quand ça ne va pas bien comme quand ça va très bien, soit tu t’écroules. Il faut rester concentré sur le terrain, ton groupe, tes joueurs, trouver les bons mots, les bons jeux, pour inverser le truc. Parfois, ça ne marche pas, mais tu te dis que tu fais un beau métier, que c’est quand même agréable d’être dehors toute l’année, que tu bosses avec des bons mecs et qu’il faut les faire avancer.
Vous arrivez à sortir du foot parfois ?Ça arrive. Pas aussi souvent que je voudrais, mais de plus en plus. C’est l’expérience, mais aussi parce que j’ai appris à relativiser. Ce n’est pas si facile que ça, mais c’est nécessaire. Le truc, c’est que ça dépend de l’environnement, du club où tu es, de la vie que tu as. Quand je dis la vie, c’est pour remplacer le temps. Il faut s’aménager des moments à soi, et parfois c’est difficile. Là, nous, le monde professionnel, on ne connaît pas, donc fatalement, il y a énormément de choses à faire, pour tout le monde. La charge est importante mais ce qui ne se fait pas aujourd’hui se fera demain.
Vous avez pris des vacances cet été ?Oui, oui.
Vous avez coupé ?(Il souffle et rit) Dans le foot, c’est compliqué d’avoir trois jours.
C’est le seul handicap de ce métier : tu ne peux pas poser trois jours. Parfois, de Dieu, tu as envie de voir ton patron, de lui dire que tu coupes trois jours, que tu vas à la mer ou à la montagne, mais c’est impossible. Ça serait génial, il faudrait que l’UNECATEF y pense ! Tu coupes une demi-journée, c’est déjà bien. Tu vas à la piscine, tu pars en famille, c’est essentiel. On nous en parle beaucoup en BEPF. Il y a la passion, le métier, mais tu as aussi toi : tes pensées, ta vie, loin de ton groupe de 25 joueurs.
Entraîneur, c’est quand même un métier de torturé, non ?Un métier de passionné, plutôt. Ce n’est pas de la torture : on choisit ce métier ou il nous choisit. On l’a en soi ou pas. Ça ne vient pas comme ça d’un coup de baguette magique. C’est quand même passionnant : ça change tous les jours, tous les ans… Tu as des problèmes qui arrivent, tu dois trouver une solution. Tu es au contact de joueurs, c’est toi qui décides, tu es libre de faire des choix. C’est tout sauf de la torture.
Quand vous êtes chez vous, que vous allumez la télé, vous regardez du foot ?Ça dépend du match, de l’équipe… Après, si ce n’est pas passionnant, je prends plutôt un bon livre. Je vois déjà beaucoup de matchs : les miens, ceux de mes adversaires, et, à un moment donné, si j’en vois trop, je peux avoir un sentiment d’overdose. Il faut que je reste réceptif. Je regardais plus de matchs quand j’étais joueur (Laurent Peyrelade a disputé plus de 300 matchs en pro avec Nantes, Lille, Le Mans et Sedan, N.D.L.R.), j’avais plus de temps.
Tout à l’heure, on parlait d’une connexion à bâtir. Quelle place a le public dans votre réflexion ?Déjà, on a des joueurs qui viennent du coin, de l’Aveyron, des mecs qui sont issus de Rodez, de Montauban, de la région Occitanie… Ils sont là depuis longtemps donc je ne dis pas qu’ils sont connus, mais ils ont une certaine identité. Leurs parents sont là le jour du match, leurs grand-parents sont là, leurs amis sont là, donc la connexion est naturelle. Après, le plus dur, c’est de montrer à ceux qui arrivent qui ont est. Mais qui on est vraiment, pas l’entraîneur mais la personne. Dès que le public a vu qui tu étais, tu as gagné, parce que tu es vrai, authentique. Tu ne triches pas.
Propos recueillis par Maxime Brigand