- Ligue 1
- J38
- Lorient-Troyes
Laurent Abergel : « Je rêvais de faire le challenge Wanadoo au Vélodrome »
Certains attendent avec impatience le multiplex de la dernière journée de championnat, lui préfère encore être sur le terrain pour participer à un Lorient-Troyes comptant pour du beurre. À 29 ans, Laurent Abergel boucle sa deuxième saison en Ligue 1 après avoir découvert l'élite sur le tard. Avant de filer en vacances, il revient sur le parcours des Merlus et remonte le temps pour évoquer ses 17 années passées à l'OM, où il a regardé Didier Drogba avec la bave aux lèvres, puis été considéré comme un sparring-partner pendant quelques semaines par Marcelo Bielsa. Entretien avec l'ancien meilleur tacleur d'Europe.
Malgré le maintien acquis à Bordeaux le week-end dernier, Lorient a vécu une nouvelle saison compliquée après un très bon départ. Quel bilan dresses-tu avant cette dernière journée ? Pendant une dizaine de matchs, c’était top. On était dans la continuité de ce qu’on avait pu faire lors de la phase retour de la saison précédente. Puis, on a eu un creux très, très creux… Il y a eu cette série de quinze rencontres sans victoire qui nous a fait énormément de mal, comme s’il y avait eu une coupure nette entre les bons et les mauvais résultats. On ne l’a pas du tout senti venir, mais on s’en sort. Ça nous a aidés que les autres avancent doucement derrière, et on a su rester solidaires.
Beaucoup de clubs auraient fait le choix de se séparer de l’entraîneur après 15 matchs sans gagner. À Lorient, Christophe Pélissier a su garder la confiance des dirigeants. Comment l’expliques-tu ?Je pense qu’ils se sont appuyés sur la saison précédente. Le coach avait déjà été mis en difficulté dans la presse, et on était restés solidaires. C’est la même chose cette année. Les entraîneurs sautent plus facilement que les joueurs. J’ai l’impression qu’ils prennent beaucoup pour nous, même trop. Christophe Pélissier est un très bon technicien, et tout le monde a été gagnant en le voyant rester sur le banc. Il nous a beaucoup parlé quand ça n’allait pas, notamment avec des discussions individuelles. Chacun a su monter le curseur, et on a beau parler, on ne sait pas vraiment quel rôle ça a pu jouer dans notre saison.
Peux-tu raconter votre victoire folle contre Saint-Étienne (6-2) le mois dernier ?
On l’avait très bien préparé, ce match. On est rapidement menés 2-0, mais on ne se sent pas moins bons qu’eux. On ne s’est pas trop parlé ni regardé, on ne s’est juste pas posé de questions. Au moment de l’égalisation, tout le monde était possédé, et ça nous a permis d’enchaîner. C’est mon plus beau souvenir de la saison. Quand on sort de ce match, on se dit qu’on envoie un message aux concurrents, même si rien n’est fait.
Vous allez disputer un match sans enjeu contre Troyes au Moustoir ce samedi. Comment prépare-t-on une rencontre qui ne sert à rien ? (Rires.) C’est une bonne question parce que ça fait très longtemps que je n’ai pas joué une dernière journée qui ne sert à rien. On a quand même essayé de bien la préparer cette semaine. On a besoin de prendre du plaisir et d’en donner au public qui n’a pas toujours été gâté cette année. Puis, si on peut gratter une ou deux places au classement, ça ferait du bien au club. J’aime bien les matchs à enjeu, mais après un maintien aussi délicat, ça ne fait pas de mal de pouvoir jouer libérés.
En vrai, tu n’aurais pas préféré te poser devant le multiplex pour le suspense ? Surtout que tu es un enfant de l’OM. C’est vrai que ça va être top pour le téléspectateur, ce multiplex, mais quoi qu’il arrive, je préfère être sur le terrain. Bien sûr que j’aimerais que l’OM accroche la Ligue des champions directement, je pense que c’est possible. Après, ce n’est pas parce que j’aime Marseille que je ne vais pas me dépouiller pour Lorient. Disons que je pense pouvoir porter un maillot de l’OM dans la vie de tous les jours sans qu’on m’en veuille, mais je fais attention, les supporters sont attentifs à tout ça. C’est surtout dur quand on me donne un maillot de Paris. (Rires.) Ce n’est pas celui que je rêve d’avoir dans mon armoire. J’aime beaucoup Verratti, donc je suis déjà allé lui demander, mais c’était à reculons. (Il se marre.)
Tu es né à Marseille et tu es arrivé à l’OM dès l’âge de 5 ans. Qu’est-ce que ça fait de jouer pour un club comme ça quand on est gamin ? On imagine que ça permet un peu de se la raconter, non ? Déjà, il faut dire que lorsqu’on est marseillais, c’est dur d’échapper au foot. On baigne directement dedans. Dans ma famille, tout le monde supporte l’OM, même ceux qui ne suivent pas trop le foot. Plus on grandit, plus on a l’impression de se la raconter, c’est vrai. (Rires.) Mais quand on est enfant, on ne pense pas à tout ça, on est juste fier. J’ai le souvenir des tournois dans la région. L’OM, c’est l’OM : on était tous bien apprêtés, bien habillés. Entre les matchs, on voyait les camarades d’autres clubs amateurs en train de manger des chips ou des frites avec de la mayo… Pas nous. On était formatés pour ressembler aux professionnels, on devait récupérer, se régénérer. Dès 10 ans, on sentait une différence. Pour nous, c’était normal, c’était logique. Quand on était à l’OM, il fallait absolument gagner, même s’il restait quand même la notion de plaisir.
Tu répètes souvent que tu n’étais pas le plus fort à l’époque. Qu’est-ce qui a fait la différence ? On ne disait jamais : « Lui, c’est sûr qu’il va passer pro. » On parlait plutôt de ma régularité et de mon côté travailleur. Par exemple, quand l’équipe gagnait 31-0, j’étais le seul derrière à ne pas marquer, mais j’étais content ! J’avais respecté ma tâche, j’avais fait mon boulot. C’était ma force. Il y avait des joueurs qui finissaient chaque année meilleurs buteurs du championnat ou qui brillaient en tournois, ils étaient destinés à finir pros. Et ça n’a pas forcément été le cas, c’est une histoire de détails, de chance, de travail, de rencontres. Est-ce que tu as un nom en tête d’un joueur qui était beaucoup plus fort que toi et qui n’a pas réussi à percer ? Je pense à Enzo Canovas, qui venait de mon quartier et dont j’étais proche. Jusqu’à 14-15 ans, tout le monde le connaissait dans la région. Il était prédit à un très bel avenir, et il suffit de quelques détails pour perdre le fil. Aujourd’hui, il travaille en dehors du foot, mais ça ne veut pas dire que c’est moins bien, il a juste pris un autre chemin. Il y avait plein de super joueurs, je n’étais pas le meilleur d’entre eux, j’ai peut-être eu plus de chance. J’avais aussi cette chance d’être marseillais, de pouvoir rentrer chez moi et d’être dans un cocon. Je n’étais pas intéressé par les filles ou par sortir, j’étais à fond dans le foot.
Quels sont les rêves d’un adolescent qui a fait toutes ses gammes à l’OM ? J’ai souvent été ramasseur de balles au Vélodrome. On a fait de gros matchs, on a vu Drogba briller, on a vu les Galactiques du Real Madrid… On rêvait de faire le challenge Wanadoo, je n’ai jamais pu le faire ! On voulait participer à quelque chose de grand en entrant sur la pelouse. On s’amusait déjà à faire des jongles autour du terrain, mais avoir la tenue et pouvoir marquer, ça aurait été énorme. On avait aussi la chance de s’entraîner au même endroit que les pros, on avait la bave. Je me souviens de Drogba qui me touche la tête pour s’excuser d’avoir déjà donné son maillot, je ne me lavais plus les cheveux pendant deux jours !
Tu as pu te consoler en foulant la pelouse du Vélodrome avec l’OM, mais également avec Lorient cet automne dans un stade plein. Comment as-tu vécu ces moments ? C’est énorme. Je fais ma première entrée contre Valenciennes (le 29 janvier 2014, NDLR) où je remplace Thauvin au poste d’ailier droit pour les cinq dernières minutes. Le stade n’était pas plein, mais dans ma tête, il était archiplein. Après le match, on réalise avec la famille et les amis ce qu’on a vécu. Avec Lorient, malheureusement on perd, mais ça reste un de mes meilleurs souvenirs cette saison. En plus, c’était l’hommage à Tapie, et l’ambiance était fabuleuse. J’avais commandé une cinquantaine de places pour ma famille, il y avait tout le monde. J’étais capitaine, j’ai fait le toss avec Dim Payet, ça restera gravé. Comme quoi, c’est mieux d’être patient que de faire le challenge Wanadoo. (Rires.)
Entre 2012 et 2014, tu passes deux ans entre le groupe professionnel et la réserve de l’OM. La marche était-elle trop haute à ce moment-là ? J’ai dû faire deux ans en CFA et une saison pleine avec les pros en m’entraînant tous les jours sans jamais entrer, c’est une façon d’apprendre que je ne regrette pas. J’ai même fait un banc à Dortmund en Ligue des champions, j’ai fait partie du groupe pour le déplacement à Arsenal… En gros, ma carrière a commencé au plus haut, puis j’ai fait mon trou en passant par la Ligue 2. Quand tu es dedans, tu n’as pas le temps de prendre du recul. Aujourd’hui, j’ai la lucidité pour me dire que je n’étais pas prêt.
Tu as même connu Marcelo Bielsa à son arrivée avant de partir en prêt à Ajaccio à la fin de l’été 2014. En quoi cet entraîneur est-il différent des autres ? Quand Bielsa arrive, jamais je ne pense qu’il va faire jouer les jeunes. Je fais les quatre premiers matchs sur le banc, mais j’ai des contacts avec Ajaccio et je me dis que ma progression passe par un prêt. J’ai passé deux mois avec lui, c’était à base de jeu, donc c’était top. C’est un très bon entraîneur, mais il a une méthode spéciale qu’on ne connaît pas trop en France. Par exemple, tous les jeunes avaient dû passer une journée de détection pour pouvoir prétendre à s’entraîner avec les pros. On était jugés sur la technique. Pour lui, on était même des sparring-partners. Parfois, il nous appelait de loin pour participer à l’entraînement : « Hey, venez les sparring ! » J’avais un peu l’impression de reculer et de repartir de zéro.
C’est justement à Ajaccio que tu t’es installé au poste de milieu de terrain, au point d’être parmi les meilleurs tacleurs d’Europe la saison dernière avec le FCL. Parle-nous de cette évolution. Je suis passé pro en étant latéral droit, mais j’avais aussi un peu joué au milieu. Tout s’est joué sur un coup de dé à Ajaccio lors d’un match de Coupe de France où le coach Pantaloni m’a demandé si je pouvais jouer à ce poste pour dépanner, et je fais un très bon match. Jo Cavalli m’a énormément aidé, puis c’est l’enchaînement des matchs qui fait qu’on apprend plus vite. Je ne sais pas quelle aurait été ma carrière si j’étais resté latéral droit, j’ai peut-être eu un beau coup de pouce. C’est vrai qu’on m’a aussi beaucoup parlé de cette statistique de meilleur tacleur d’Europe, c’est une façon de bien défendre et ça correspond à mes caractéristiques. Ce qui m’a aidé la saison dernière, c’est qu’on évoluait à deux numéros 6. Cette année, je suis un peu plus haut avec un rôle de relayeur en étant moins face au jeu, c’est différent. Mais j’aime toujours le duel.
Tu as découvert la Ligue 1 sur le tard, à 28 ans, avec le FC Lorient où tu es sous contrat jusqu’en 2025. Est-ce que ce serait trop risqué de tenter l’aventure ailleurs maintenant que tu as goûté à ce championnat ? Je ne ferme aucune porte dans ma tête. Mais j’ai tellement rêvé de vivre tout ça que j’espère évidemment rester en Ligue 1 le plus longtemps possible. En plus, je regarde tous les matchs de L1 et de L2. D’ailleurs, j’ai été très sérieux dans les votes pour les trophées UNFP, j’ai fait un 9/11 pour l’équipe type. J’avais mis Savanier au milieu et Benítez comme gardien. Quand on voit le onze sur le papier, c’est quand même pas mal. J’ai l’impression qu’on a eu une saison avec de la qualité, du jeu et beaucoup de buts. Je vois beaucoup de gens parler de l’étranger, de la Premier League, et c’est vrai que c’est sympa, mais si on me donne la possibilité de rester en Ligue 1 pour plusieurs années, je signe tout de suite.
Propos recueillis par Clément Gavard