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Laurence Rosier : « S’interroger sur la raison d’aller chercher dans son inconscient ces mots-là »
Laurence Rosier est professeure de linguistique à l’université libre de Bruxelles, et spécialiste de l’insulte. Pour So Foot, l'auteure du Petit traité de l'insulte décrypte avec philosophie les injures racistes qu'auraient proférées Álvaro González et Neymar.
Si les injures « singe de merde » et « Chinois de merde » ont bien été proférées par Álvaro et Neymar, on est à quel niveau sur l’échelle des insultes ? Quand on analyse les discours, il faut d’abord analyser le contexte et la situation. C’est une situation footballistique où ce genre de termes a déjà été employé. Vous avez raison d’utiliser le conditionnel, c’est important, mais de manière générale dans le milieu du football, c’est quelque chose qui est très courant. Après, est-ce que « chinois », c’est plus grave que « macaque » ? « Chinois », au départ, c’est le degré 0 de l’insulte. C’est-à-dire que ce n’est pas répertorié comme insulte, mais il suffit de mettre « de merde » ou « sale » devant pour que ça le devienne. Ça marche d’ailleurs avec toutes les nationalités. Ce qu’on a en plus dans « macaque », c’est qu’on fait appel à un imaginaire colonial, où les noirs et les arabes étaient considérés comme des singes. Donc là, théoriquement, le poids est plus fort. Cependant, il faut aussi souligner qu’avec le Covid, il y a eu beaucoup d’insultes envers les Asiatiques. Je dis « asiatique », car quand les gens insultent, ils vont aussi bien injurier un Chinois, un Japonais ou un Coréen.
Et pour le coup, Hiroki Sakai est japonais.Tout à fait. Et c’est ça, le racisme. C’est comme quand on dit « africain » pour une personne qui vient de Guadeloupe. C’est réduire une personne à une catégorie, sans en faire un individu.
On a quand même l’impression que l’insulte raciste ou homophobe est ce qui se fait de plus bas de gamme dans l’insulte, non ? C’est compliqué de faire une hiérarchie… Dans le milieu du foot, il y a aussi beaucoup d’insultes homophobes, de type « tapette » ou « tafiole », qui remettent en cause le modèle de la virilité. On a fait pas mal d’enquêtes avec mes étudiants dans le football. Ce qui revient, c’est le racisme et l’homophobie.
Vous comprenez les gens qui disent que dans un match avec une forte tension, comme c’était le cas lors de PSG-OM, des insultes comme celles-ci peuvent potentiellement, et malheureusement, plus facilement sortir ?Ça, c’est une des positions générales de la défense, qui va dire qu’on est dans une situation de tension extrême où les mots nous dépassent. Mais pourquoi ne disent-ils pas « sale con », « gros imbécile », « incapable » ou « vendu » ? En fait, ce sont toujours les mêmes insultes qui vont sortir. Pour les arbitres, ce sera toujours « enculé ». Et dès lors qu’il y a quelque chose de l’ordre du physique ou de l’appartenance géographique qui est visible, le racisme ou l’homophobie va arriver. C’est ce qui est inquiétant. Il ne s’agit pas de ne plus rien dire du tout, mais il faut s’interroger sur la raison d’aller chercher dans son inconscient ces mots-là dans ce type de situations. Si on veut lutter contre l’insulte raciste ou homophobe, il y a une sensibilisation à faire en amont.
Est-ce qu’on n’est pas un peu dans la cour d’école, finalement ?C’est vrai qu’on est dans un modèle d’infantilisation. Mais infantiliser, c’est surtout déresponsabiliser ! Je n’inclus pas que les joueurs, mais également les parents ou les entraîneurs dès le plus jeune âge. On doit avoir un point de vue correct en rapport avec nos références de langage. Une insulte banale, ça fait partie de la bienséance ou de la politesse. Mais pour une insulte raciste, homophobe ou sexiste, on arrive tout de suite dans le registre politique et idéologique.
Au moment où les joueurs auraient proféré les insultes, y avait-il vraiment l’intention d’atteindre les origines du joueur d’en face ?Comme ils sont dans de forts états de tension, je ne sais pas quelle est leur intention. Mais ce qu’il faut prendre en compte, c’est la réflexion. Pendant longtemps, Lilian Thuram disait que le terme « nègre », par exemple, était utilisé de façon banale. La victime l’acceptait sans rien dire. Elle se disait que l’intention était juste de faire un peu rigoler. Et puis, à un moment, cette même victime se rend compte de pas mal de choses et n’accepte plus cela. Ce que je veux dire, c’est que l’intention ou la non-intention n’est pas importante, à partir du moment où ça blesse. C’est là que se joue la force de l’insulte, qui n’est pas que du côté de celui qui la profère, mais aussi de celui qui la reçoit.
Pourquoi ne sort-on pas de ce type d’insultes ?Quand on fait des études de terrain, on se rend compte en effet qu’il n’y a aucune originalité dans les insultes. Il faudrait faire un travail comme je peux faire avec les enfants, en réfléchissant à des insultes qui ne soient pas racistes ou blessantes. Ce sont des ateliers où on sort des injures comme par exemple « cacahuète anarchiste ». Alors oui, c’est amusant, mais ce n’est pas ça qui sort évidemment quand on est en état de tension. Dans un tel état, on reprend un vocabulaire blessant. Ces insultes sont utilisées pour justement blesser l’autre dans son identité, aussi bien sexuelle, ethnique, voire religieuse.
Quels conseils pourriez-vous donner à Álvaro et Neymar pour progresser en insultes ?Aux footballeurs en général ! Ça pourrait être intéressant de leur apprendre des insultes qui ne soient pas racistes ou autres. Il faudrait faire comme avec les enfants. Au lieu de « putain », on va leur apprendre à dire « purée ». Cela leur permet de sortir une petite colère, mais de ne pas utiliser un gros mot. De manière générale, ce sont des personnages publics et des modèles pour pas mal de jeunes. Comme tout personnage public, ils doivent prendre en compte que ce qu’ils disent a un impact. Impact qui est démultiplié aujourd’hui avec les réseaux sociaux. La haine suscite la haine. Quand on relaie des injures, on a juste à regarder les commentaires pour voir que les gens s’insultent à partir des insultes. Les joueurs doivent s’en rendre compte.
Propos recueillis par Félix Barbé