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Laurence Fautra, maire de Décines : « C’est de santé publique dont on parle ! »
Avec Christophe Quiniou, le maire de la ville voisine de Meyzieu, Laurence Fautra a décidé d'interpeller le gouvernement pour lui demander de « se prononcer défavorablement à la venue des supporters italiens » dans leur commune - où se situe le Groupama Stadium - en marge d'OL-Juventus qui se joue ce mercredi soir en Ligue des champions. Finalement sans succès, puisque les fans des Bianconeri vont pouvoir venir soutenir leur équipe. Une décision qui ne plaît forcément pas au maire LR de Décines, qui ne manque pas de le faire savoir.
Aujourd’hui, près de 3 000 supporters de la Juve vont débarquer dans votre commune et celle voisine de Meyzieu à l’occasion du huitième de finale aller de la Ligue des champions. Dans quel état d’esprit êtes-vous… ?
(Elle coupe.) Et pas que 3000 ! On peut comptabiliser les personnes qui viennent en bus et qui partent d’un point A pour arriver à un point B. Mais on ne peut pas gérer les supporters isolés qui prennent des places via des amis, via la famille, qui viennent de Turin en voiture. Ceux-là seront au milieu des supporters de l’OL, mais on n’a aucun fichage et aucun moyen de traçabilité. Il y aura effectivement entre 2700 et 3000 supporters, issus du déplacement officiel, qui seront confinés et qui auront moins de contacts avec nous. Néanmoins, il y aura aussi une autre partie qui déambulera dans Lyon et qui arrivera en train, en avion, en voiture ou en jet ! Là, il y aura une libre circulation de ces personnes.
Il faudrait suspendre la rencontre, selon vous ?Attention, que l’on soit bien clair : je ne suis pas en train de dire cela. Je ne dis pas non plus qu’il faut jouer à huis clos. Les enjeux sont énormes, financiers notamment, mais je suis dans mon rôle d’élu et de maire de répondre aux interrogations des habitants de Décines qui me demandent d’agir.
Vous avez publié un communiqué, co-signé avec le maire de Meyzieu, Christophe Quiniou, où vous demandiez à l’État de se prononcer « défavorablement » à la venue de ces supporters. Pourtant, mardi matin, le ministre de la Santé Olivier Véran a déclaré sur RTL « qu’aucun argument scientifique ou médical aujourd’hui ne conduisait à arrêter les événements collectifs » . Qu’est-ce qui vous inquiète tant, dans ce cas ? C’est un peu deux poids, deux mesures. D’un côté on nous dit cela, et d’un autre, vous avez le Premier ministre qui m’envoie une lettre me disant : « Ouh lala, si vous faites un déplacement en Italie ou dans un autre pays qui comporte un foyer infectieux, il faut rester chez vous 14 jours ensuite. » Où est la cohérence ? Quand je vois les cas qui commencent à arriver en France, avec trois nouveaux cas confirmés et un décès, ce n’est quand même pas anodin. OL-Juve est une belle fête, une belle affiche, et je suis 100% derrière mon équipe. Mais là, ça nous dépasse un peu tous. C’est de la santé publique dont on parle ! Quand on a des vilains garnements du foot, des supporters un peu dissipés qui se déplacent, là, les autorités ne prennent pas de gants pour dire : « Écoutez, il y a atteinte à l’ordre public, ils ne viendront pas au stade. » Même dans le championnat français, avec les Marseillais à Lyon ou bien quand les Stéphanois doivent rester chez eux et inversement lors du derby. Là, on est dans un cadre – non pas d’ordre public -, mais bien de santé publique.
Parmi les 3000 supporters turinois, tous ne vont pas venir de Turin même. Notamment car le club est le plus populaire en Italie ou même en France…
Vous êtes des spécialistes de foot, vous savez bien que la Juve, c’est comme le PSG. Il y a des Lyonnais qui supportent le PSG, et bon, peut-être moins de Parisiens qui supportent l’OL. Il y a des équipes comme ça, en Europe, qui ont une rayonnance (sic) sur tout leur territoire, comme le Barça. Moi, j’ai des amis du côté de Florence qui sont pour la Juve. Je suis, de part mes origines, à moitié italienne, donc ça m’embête pour mes amis italiens ! Mais c’est le bon sens qui doit primer, sans tomber dans la psychose. Après, vous savez, le problème, c’est que si quelqu’un est atteint du coronavirus dans ma commune, je me sentirai responsable. Là, j’ai la conscience tranquille d’avoir alerté le gouvernement. Je suis responsable de cette population, mais je n’ai pas le pouvoir du ministre de l’Intérieur ou de la Santé, je ne peux pas obliger le gouvernement à faire quoi que ce soit.
Pour le match retour, dans trois semaines à Turin, allez-vous demander aux Lyonnais de ne pas se rendre en Italie ?Mais après… (Elle marque une pause.) Oui. Lors d’une épidémie, moins vous avez de circulation, mieux c’est. Quand on voit en Chine qu’ils confinent tout le monde, c’est qu’il y a quand même une raison ! Mais je ne vais pas empêcher des Décinois ou des Lyonnais de voir un match, c’est la responsabilité de l’État. Mais ce serait du bon sens et de la prudence, oui. Ces matchs sont retransmis à la télévision… On se prive peut-être d’une belle fête, il y a toute la problématique du remboursement de billets, mais bon, là, on fait quand même face à un début d’épidémie. On ne peut pas jouer avec la santé d’autrui.
Pourquoi vouloir interdire les supporters, mais autoriser l’équipe de la Juve à se déplacer ? Car il ne suffit que d’un cas, finalement, pour que le virus se propage.Après, la question peut se poser à un autre échelon. Je veux simplement répondre à ma population qui s’inquiète. Vous avez de grandes instances comme l’UEFA qui sont responsables, de gros clubs comme l’OL et son président Jean-Michel Aulas qui sont responsables et ils se parlent. De mon côté, je suis interpellée depuis ce week-end, et ce matin, ça n’a pas arrêté avec cette question qui revient : « Mme Le Maire, qu’est-ce que vous faites ? » Donc Mme Le Maire réagit en tant que maire d’une commune de 29 000 habitants en demandant à ce qu’ils anticipent quelque chose et la réponse, c’est que le déplacement est autorisé. Et je déplore cette prise de décision, même si une réunion devrait avoir lieu en début d’après-midi. Je ne vois pas comment on pourrait dire maintenant aux Italiens : « Vous rentrez chez vous » , ce n’est pas possible.
Serez-vous présente au match ce soir ?Non, non, non… Je resterai à mon domicile et je regarderai peut-être le match à la télévision, car je supporte mon équipe et j’espère qu’elle va gagner. Après, chacun est libre de se déplacer ou non et libre d’y aller en toute connaissance de cause.
Propos recueillis par Andrea Chazy