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Lauren : « Aujourd’hui, on donne trop de pouvoir aux joueurs »

Propos recueillis par Léo Ruiz
7 minutes
Lauren : «<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>Aujourd’hui, on donne trop de pouvoir aux joueurs<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>»

Depuis qu’il a raccroché les crampons il y a 10 ans, Lauren est rentré à Séville, la ville où sa famille avait atterri du Cameroun lorsqu'il était petit, et s’est fait une place à la télévision espagnole, pour qui il décortique les matchs de Liga. L’occasion de faire un point sur ses projets entre coaching et FIFA, mais aussi de causer foot africain, Arsenal et nouvelles générations.

Il paraît que tu passes tes diplômes d’entraîneur. Pourquoi maintenant, 10 ans après la fin de ta carrière ? J’ai profité du confinement pour m’y mettre, je viens d’obtenir les licences A et B de l’UEFA. Si je poursuis dans cette voie, la prochaine étape sera la licence pro avec des cours au printemps prochain, en fonction de l’évolution de la pandémie. J’aime apprendre, être en formation permanente, donc j’avais ça en tête depuis un moment. C’est aussi lié au fait que je travaille dans les médias. Quand, à la télé, tu dois faire des analyses de matchs, d’équipes et de joueurs, plus tu es formé, plus ta vision sera pertinente. Ces diplômes sont aussi une porte ouverte pour le futur. On ne sait jamais de quoi il sera fait.

En as-tu parlé avec Arsène Wenger, ton coach pendant six ans à Arsenal ? Pas de ce sujet-là en particulier, mais on s’est rencontrés lors d’un événement à Londres. Je lui ai parlé de mon envie d’intégrer la FIFA pour un projet de développement du football africain. Je ne suis pas un Christophe Colomb qui va découvrir l’Amérique ou l’Afrique, il y a déjà beaucoup de gens qui travaillent sur le sujet, mais les nouvelles idées sont toujours bienvenues. Je pourrais apporter une connaissance tirée de mes expériences dans le foot européen et de ma vision de l’administration. Avec Wenger, on s’est rappelés depuis, il m’a dit qu’il devait d’abord prendre ses marques dans son nouveau poste à la FIFA (directeur du développement du football mondial, N.D.L.R.), mais qu’il avait bien pris en compte ma demande.

Le football africain n’aurait-il pas justement besoin de plus de représentants sur les bancs de touche européens ? Cet été, le Nigérian Ndubuisi Egbo est devenu avec le KF Tirana le premier entraîneur africain à qualifier une équipe pour la Ligue des champions. Je pense que ça viendra avec le temps. Il y a Patrick Vieira à Nice, il y a eu Chris Hughton à Brighton… Il faut être positif, les nouvelles générations arrivent, elles sont plus conscientes et préparées. Bientôt, nous verrons des coachs africains sur les bancs européens et mondiaux.

Depuis la Coupe du monde en Afrique du Sud il y a 10 ans, on a l’impression que le foot africain a peu avancé, par rapport à d’autres régions du monde, comme l’Asie ou certains pays d’Amérique latine. Fais-tu le même constat, toi qui es ambassadeur d’Arsenal en Afrique ? Oui, malheureusement. Je dis toujours qu’au niveau individuel, le foot africain a déjà beaucoup donné. Drogba, Eto’o, Foé, Song, Abedi Pelé, Kanu… Je peux te nommer une infinité de joueurs d’origine africaine qui ont triomphé dans le monde. Weah a même gagné le Ballon d’or. Après, au niveau collectif, il y a largement de quoi s’améliorer. Nous, on a été champions olympiques avec le Cameroun, le Nigeria aussi, mais si on parle de Coupe du monde, on est encore un ou deux étages en dessous de l’Europe et de certains pays d’Amérique latine. Les équipes européennes sont beaucoup plus préparées que les équipes africaines pour disputer ce genre de tournoi. Je te donne un exemple : mon fils a 11 ans, il vient d’entrer au centre de formation du FC Séville. Là, avec la Covid, ils ont dû se réorganiser. Ils ont donc deux entraînements par semaine en présentiel, plus un entraînement vidéo le lundi. À 11 ans, on lui montre déjà ses erreurs, ce qu’il fait de bien, ce qu’il doit améliorer. Donc en plus du talent inné, on lui apprend dès le plus jeune âge à compléter ses capacités individuelles par de l’analyse technique et tactique. Là où je veux en venir, c’est qu’ici, en Europe, on prépare très tôt les futurs joueurs pour qu’ils continuent à dominer le football mondial. L’Afrique, du fait de sa situation économique principalement, est encore loin de ce niveau de professionnalisation.

Ton Cameroun du début des années 2000 avait la meilleure sélection du continent, mais il est peu à peu rentré dans le rang, malgré le titre lors de la CAN 2017. Il n’a pas pris un point en Coupe du monde depuis votre victoire contre l’Arabie saoudite en 2002. C’est un problème de générations, de manque de leaders ? C’est un ensemble de facteurs. Je pense que le problème du foot africain en général, et du Cameroun en particulier, est sa vision court-termiste des choses. La preuve dernièrement avec Clarence Seedorf : on le signe, et après trois matchs on le vire pour mauvais résultats. Combien de sélectionneurs a eus le Cameroun depuis mon époque ? (15 depuis la Coupe du monde 2002, N.D.L.R.) C’est un désastre. Il faut des plans à long terme, une base dans la méthodologie de travail et dans la philosophie de jeu, une continuité des U15 aux U20, pour que les joueurs qui arrivent chez les A sachent quel est le système de jeu et comment l’équipe fonctionne. L’Espagne a ça, je pense que l’Argentine et plein d’autres nations l’ont aussi. Est-ce que ça te garantit le succès ? Non, parce que dans le football 10+10 ne font pas 20. Mais on aura plus de chance d’être performant que dans le modèle actuel.

Dernièrement, tu as donné plusieurs interviews en Angleterre pour revenir sur l’époque des Invincibles. Tu expliques que l’engagement était tel à l’entraînement qu’aucun adjoint de Wenger ne voulait arbitrer les oppositions. Vous étiez quand même amis en dehors des terrains ? Bien sûr ! À Arsenal, il y avait des grands professionnels, très compétitifs, mais aussi des grands êtres humains, à commencer par Wenger, qui avant de recruter un joueur s’intéressait à la personne. Arsenal était une famille, on te le faisait sentir tout de suite en arrivant.

Ce niveau d’exigence à l’entraînement, parfois extrême et sujet à tensions, tu penses qu’il existe encore ? Beaucoup de choses se sont améliorées dans le football, notamment ce dont on parlait tout à l’heure, sur le perfectionnement des méthodes de travail dans les centres de formation. D’un autre côté, je pense qu’aujourd’hui on donne trop de pouvoir aux joueurs. Si un joueur dit « Ah ! » , tout le monde flippe. Avant, les institutions et les entraîneurs étaient toujours au-dessus des joueurs. Ce n’est plus le cas. Il y a trop de monde autour des joueurs désormais, et cela influe sur leurs performances. On en est arrivés au point où les clubs craignent les joueurs, là-dessus je pense qu’on a fait un pas en arrière.

Les nouvelles générations seraient aussi plus distraites, incapables de regarder un match pendant 90 minutes. Tu constates ça à la maison avec ton fils ? Il y a quelque chose que j’ai remarqué : à notre époque, c’était quasiment impossible de voir un joueur de 13 ou 14 ans se blesser musculairement. Pourquoi ? Parce que les gamins jouaient dans la rue. À la fin de l’entraînement, ils continuaient à jouer entre eux, donc leurs muscles, leurs articulations, leurs chevilles étaient plus solides, plus résistantes. Aujourd’hui, ils font quoi ? Ils s’assoient dans le canapé, ils jouent à la Play, ils vont sur Tik Tok. Et leur musculature ne se développe pas. Attention, je le répète : il y a plein d’aspects positifs dans le football actuel. Mais on a un peu perdu le nord sur certains points. Les gamins n’ont plus d’interactions physiques entre eux en dehors des entraînements.

Par rapport à ton époque, Arsenal n’a plus le même stade, il n’a plus de grandes figures, il a une autre identité de jeu et il s’est éloigné durablement du podium. C’est un club qui continue quand même à te plaire ? Le club avait besoin de faire un pas en avant sur le plan économique, pour engendrer des revenus susceptibles de faire face à la nouvelle demande et aux nouveaux salaires de l’élite du football mondial. Sans cela, il aurait été impossible de payer des joueurs 150 000 ou 200 000 livres par semaine. C’est difficile de trouver un équilibre entre le développement économique du club et le maintien de son passé. Après, s’il était nécessaire de faire ces changements, sa position actuelle devrait être meilleure. Arsenal a toujours lutté pour le titre ou les premières places. Dernièrement, il y a du mieux : Arteta est un très bon entraîneur, il a gagné la FA Cup la saison dernière, le Community Shield en début de saison. Si on lui laisse le temps de bien travailler, je pense qu’Arsenal redeviendra la référence qu’il a toujours été.

Dans cet article :
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