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Laura Georges : « J’ai débuté au Camp des Loges sur du stabilisé »
L'Euro féminin commence ce dimanche aux Pays-Bas, et les Bleues n'y débarquent pas sans ambitions. Et pourtant, si les clubs français dominent le foot européen, l'équipe de France féminine n'a toujours aucune ligne à son palmarès. Le point sur la situation avec la Parisienne Laura Georges, quinze ans de carrière et 178 matchs en Bleu au compteur, qui s'apprête à disputer son quatrième Euro.
Vous avez commencé le football en 1997. Pourquoi ? Il y a eu un déclic ?En fait, j’ai grandi dans le parc du château de Versailles et j’y jouais avec mes amis, mes voisins. Je voyais aussi mon père jouer, il faisait du foot d’entreprise. Et ce qui s’est passé, c’est qu’un jour, je jouais dans la cour du collège, et une fille de la classe de mon frère est venue me voir en me disant : « Hey, Laura, ça serait bien que tu puisses venir nous rejoindre au Paris Saint-Germain. » J’habitais à Versailles, Saint-Germain-en-Laye ce n’est pas très loin, je suis allée faire les détections un an plus tard et ça s’est bien passé. C’est comme ça que j’ai débuté, je m’amusais, puis je me suis dit que ça serait bien d’en faire une vraie activité. J’avais douze ans, et je me suis lancée.
Vous aviez déjà fait un autre sport avant de vous lancer dans le football ?Non, je courais autour du parc avec mon père. Avec mes amis, on faisait du football, du basket, du baseball, des choses comme ça. Je faisais un peu de tout.
Le football féminin était très peu développé à cette époque, vous avez été une pionnière. Ça ressemblait à quoi ?Je ne connaissais même pas l’équipe de France féminine à cette époque-là, je ne connaissais pas le nom des joueuses. Je voulais simplement m’occuper à côté des cours, je ne pensais pas à faire une carrière ou quoi que ce soit. Je suis partie sur cette idée, en me disant que mon père, mes voisins et mes frères y jouaient, donc pourraient me donner des conseils.
Du coup, dans votre famille, votre décision a été immédiatement acceptée. Ils ne vous ont pas fait le coup du « une fille, ça ne joue pas au football » . Il n’y a eu aucun problème, au contraire. Mon père venait à tous mes entraînements, il m’accompagnait aux matchs. Et ma mère n’a jamais eu un regard critique en me disant que j’allais être un garçon manqué. Ils voyaient que j’étais épanouie et c’est ce qui comptait.
Votre rêve en tant que joueuse, c’était quoi ?Non, quand j’étais jeune, je ne me disais pas : « Allez, je vais jouer en équipe de France » , parce que je ne connaissais pas du tout. Je n’avais pas de références. Je regardais les matchs des garçons, de l’équipe de France masculine, du PSG, j’allais au stade avec mon père. Mais je n’avais pas de références féminines.
Vous êtes revenue jouer au PSG en 2013. Nous sommes en 2017, vous y êtes entrée pour la première fois en 1997. En vingt ans, qu’est-ce qui a le plus changé dans la section féminine du club ?Déjà, les conditions d’entraînement, nos installations. Moi, j’ai débuté au Camp des Loges sur du stabilisé. On s’entraînait sur du stabilisé, on jouait à Bougival, sur les terrains du fond. Les joueuses avaient un travail à côté, il y avait aussi quelques mamans, même si c’était rare. Mais il y avait des filles qui bossaient, qui finissaient leur journée à 17 heures et qui étaient à 19h à l’entraînement. On terminait à 21 heures, certaines rentraient à 22h chez elles. Les moyens donnés à l’équipe ont aussi beaucoup évolué. On jouait en Adidas parce qu’on évoluait dans un championnat où les équipes étaient obligées de porter des équipements Adidas, alors que le PSG était Nike. Nos shorts et nos chaussettes étaient Nike, et nos maillots étaient Adidas. Et notre public était vraiment réduit, il n’y avait que des amis et de la famille, c’était vraiment confidentiel.
Vous avez eu une activité professionnelle à côté du football à un moment de votre carrière ?J’étais étudiante, je passais mon bac ES et j’étais au centre de formation de Clairefontaine. J’ai connu le PSG en division 2, on est montées en 2001 en première division, donc j’ai été étudiante une bonne partie de ma carrière. Et au moment où les contrats professionnels sont arrivés, j’étais à Lyon et c’était au moment où j’ai eu mon master 2. J’avais bac +5, et j’ai continué ma carrière de joueuse de foot.
Vous avez également fait un passage de trois ans aux États-Unis, à Boston. C’était pour étudier ou pour jouer au football ?Pour étudier, je voulais avoir de bonnes conditions d’études et pouvoir continuer le football dans les meilleures conditions possibles. J’étais jeune, mais j’avais fait le tour du championnat français, et j’ai eu cette opportunité à Boston College. Ils étaient venus jouer contre le Paris Saint-Germain au printemps, pendant leur Spring Break, à ce moment-là j’étais au centre de formation. J’ai joué le match, à la fin on est venu me demander si je parlais anglais, si j’étais intéressée pour aller jouer à l’étranger. J’ai répondu que oui, et on m’a invitée trois jours à Boston. Je suis allée voir les installations, l’atmosphère, c’était magnifique. Quelques mois plus tard, j’étais à Boston College.
Aux États-Unis, le football est identifié comme sport féminin. Vous l’avez senti ?Ce qui m’a beaucoup marquée, c’est l’engouement autour du sport en général. Quand je suis arrivée, ils n’étaient pas dans l’esprit de concurrence en se disant : « On a une étrangère qui vient, c’est la concurrence, on veut lui prouver ceci cela. » Ils se disaient plutôt : « On va avoir quelqu’un qui va nous apporter. »
Vous étiez la seule expatriée ?Dans mon équipe, j’étais la seule étrangère. Chez les garçons, ils en avaient. J’étais déjà internationale à cette époque, et chez les filles c’était rare d’avoir une internationale qui vienne jouer à un niveau moins relevé qu’en France. Le championnat français est plus costaud que la division universitaire américaine, mais j’y suis allée pour mon expérience personnelle. J’avais envie de continuer dans les études, de jouer au football dans de bonnes conditions, et pour moi, ça a été génial. Ça a été trois années où j’ai beaucoup appris sur moi-même. Et Boston est une ville très sympa, où je n’avais pas trop de décalage avec l’Europe. C’est assez cosmopolite, et c’est bien.
L’engouement autour de votre sport, c’est quelque chose qui vous manquait en France ?Pas spécialement, mais ce dont j’avais envie, c’était de découvrir quelque chose d’autre. En France, peut-être qu’on me cataloguait comme une joueuse assez agressive, ou autre. Je ne voulais pas me confiner là-dedans, et au niveau personnel j’avais envie de grandir, de rencontrer d’autres personnalités, d’autres gens.
Pour revenir sur la notion d’engouement, on se souvient de cette interview dans Le Monde en octobre 2014, dans laquelle vous demandez à Nasser Al-Khelaïfi de venir plus souvent aux matchs des filles du PSG. Pour cette interview, on m’avait demandé d’intervenir dansLe Monde quelques jours avant la triple confrontation entre le PSG et Lyon en championnat et Ligue des champions, en tant qu’ancienne Lyonnaise. Lors de l’interview, on parle de Lyon, de Paris, de la place des présidents, et on me demande si le président vient aux matchs. Je réponds que non, mais il y a eu une discussion, des comparaisons. Tout n’a pas été retranscrit, j’aurais aimé pouvoir lire l’interview avant la publication, car Le Monde, ce ne sont pas des spécialistes de foot féminin. J’ai demandé à avoir un retour de l’article, le journaliste m’a dit que non, que ça ne se passait comme ça qu’avec les ministres. L’article a été publié, il y avait des erreurs en matière de chiffres, d’informations, et tout ce que j’ai dit n’a pas été écrit. Et je n’avais pas accès au titre, qui était : « Le président ne vient pas aux matchs » . Alors que la conversation n’était pas sur le président Al-Khelaïfi, on a parlé de Paris, des installations, des conditions… Ça n’a pas été retransmis dans l’article. Il y a eu des raccourcis et des phrases qui ont été retirées.
Le PSG vous en a tenu rigueur ?Du coup, ça a été compliqué avec le club, mais j’avais les mails qui prouvaient que j’avais demandé à relire l’article, et qu’il ne me convenait pas. En plus, on m’avait posé une question sur le voile. C’étaient des sujets un peu pour faire le buzz. Donc je n’ai pas fait cette interview pour dire : « Président, il faut que vous veniez. » Si j’ai un truc à dire à mon président, je vais lui dire en face. Maintenant, on m’a posé la question, on m’a demandé si le président venait, et au moment où on me l’a posée, il ne venait pas.
Et maintenant ?Eh ben à partir de cet article, il est venu ! On a été en finale de Ligue des champions, il est venu. Après, à mon âge, je ne suis pas là pour dire aux gens : « Venez à notre match ! » Bien sûr que l’idéal, c’est que les gens soient investis. Mais on parle du Paris Saint-Germain, d’un club qui a une équipe de handball, une équipe de garçons qui fonctionne avec des intérêts financiers que je n’ose même pas imaginer. Oui, c’est compliqué. Je ne suis pas là à revendiquer quoi que ce soit, mais j’ai un idéal sur le fait de manager une équipe.
Bon, arrivons-en à l’équipe de France et à l’Euro. C’est votre quatrième Euro en tant que joueuse, comment vous le sentez celui-ci ? En ce moment, le foot féminin français surfe sur une belle vague.On a envie d’aller le plus loin possible. On progresse bien, on bosse bien, ça fait quelques années que les gens nous attendent et je comprends. Parce qu’il y a de la qualité, parce que nos clubs sont champions d’Europe et dominent la Ligue des champions. Donc on a envie de ramener quelque chose, c’est sûr, mais on va la jouer humble. On va travailler, et se fixer des objectifs par étapes.
Les précédentes défaites en Bleu, vous en avez appris quoi ? Vous en parlez parfois dans le vestiaire ?On en reparle, oui. Souvent, après les compétitions, quand on revient en stage. On se demande ce qu’il s’est passé, pourquoi on n’était pas dedans. On a des discussions, on fait le point.
Et aujourd’hui, vous savez ce qu’il a manqué lors des précédentes compétitions ? Vous l’avez identifié ?On en a parlé, on pense qu’on sait, oui !
Aujourd’hui, vous êtes une ancienne du vestiaire, et vous pouvez conseiller les jeunes qui arrivent. Mais quand vous avez débuté, qui vous donnait des conseils ?Les anciennes, ce n’était pas pareil qu’aujourd’hui. Ce n’était pas la même mentalité, je n’ai pas forcément de références à vous donner.
Dans deux ans, le Mondial féminin se jouera en France. On aura la chance de vous y retrouver ?On verra ! Je pense que je ne serai pas très loin de cette Coupe du monde, en tant que joueuse ou autre, on verra les fonctions que j’aurai. Si c’est sur le terrain ou hors du terrain.
Propos recueillis par Alexandre Doskov, à Clairefontaine