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L’Atlético peut-il toujours se présenter comme un club de losers?
Avant d'atteindre les sommets de la Liga et peut-être de l'Europe, les Colchoneros étaient surtout les plus beaux perdants d’Espagne. Une image qu’ils ont travaillée au point d’être devenue leur image de marque. D’où cette question : avec l’arrivée de la gagne, le club ne serait-il pas amené à bouleverser sa communication ?
« Le club venait de descendre en Segunda Division, c’était un drame terrible. La première publicité que nous avons faite était une campagne graphique. Nous avons mis des posters dans la rue qui disait : « Une année en enfer ». » Miguel Garcia Vizcaino se souvient comme si c’était hier de sa première campagne de communication pour l’Atlético de Madrid. « On a voulu dire aux gens que ce n’était qu’une année au purgatoire, pas deux ou trois. Juste une. C’était une annonce avec de l’autodérision, pour rire de soi-même » , sourit-il aujourd’hui. Président de la création de l’agence Señora Rushmore, il était chargé de remettre en ordre de marche la famille colchonero. Son arme, des annonces et des clips publicitaires innovants. C’était en 2000, et l’Atlético venait de découvrir l’horreur d’une descente en Segunda Division, quatre ans seulement après avoir réalisé un doublé historique. Depuis, le club des bords du Manzanares n’a pas changé d’un iota sa communication décalée. Avec ce succès en Liga, et une possible première Ligue des champions, le club ne serait-il pourtant pas amené à changer son fusil d’épaule ?
« Un message qui parle de la vie plus que de football »
À en coire l’un des chefs d’orchestre de cette com’, non. À dire vrai, l’image qui colle à la peau de l’Atlético lui donne raison. « Dans le monde du football, il y a des équipes qui ont un caractère impérial, où l’argent, les transferts, le budget sont rois. Comme le Barça et le Real en Espagne, résume-t-il. L’Atlético, qui est également un grand club, représente plus l’émotion. L’Atléti est celui qui se bat face aux puissants, celui pour qui tout est plus difficile, mais qui ne se rend jamais. » Depuis 14 ans, l’agence Sra. Rushmore a en quelque sorte révolutionné le monde policé de la communication sportive. « Tout est parti d’une vision du directeur du marketing de l’Atlético, Emilio Gutiérrez, rappelle-t-il. Il pensait qu’il fallait faire une communication de marque. Pas seulement pour augmenter le nombre de socios, mais avec une vision plus large, plus globale. » Dès la première saison de purgatoire, le résultat est plus que satisfaisant. Le club arrive à doubler ses abonnements, le coup de poker est gagnant. Tout le contraire de l’image transmise.
Miguel Garcia Vizcaino, toujours : « On a voulu mettre en avant les valeurs, ce que signifiait être de l’Atlético, la personnalité du club. Cela a généré de la sympathie pour le club, et même au-delà des simples amateurs de football. Des gens qui n’aimaient pas ce sport se sont reconnus à travers ce message. C’est un message qui parle de la vie plus que de football. » Une image de loser, donc, qui se rapprochait de la Roja d’alors. Avec une sélection toujours placée, mais jamais gagnante, les Espagnols se sont retrouvés dans ce message tout en autodérision. Oui, l’humour noir a également sa place au pays de Cervantés. Cette stratégie a même pu « profiter » de la crise économique qui a frappée l’Espagne dès 2008. « Nous n’allons jamais avoir le budget du Real Madrid ou du FC Barcelone, raconte le chef du projet, également supporter du fanion rojiblanco. Même si nous gagnons la Ligue des champions, nous ne devons pas changer d’idée. La victoire de l’Atlético n’est pas celle des millions, mais celle du combat. »
Plus fighter que beautiful loser
Justement, sans les deux mastodontes merengue et blaugrana, les Matelassiers n’auraient pu jouer sur cette image. Une image de perdants magnifiques que Miguel Garcia Vizcaino réfute légèrement : « Lorsque la campagne a été lancée, il y avait cette image de « beautiful loser ». Mais lorsque nous sommes remontés, c’était plus une image de fighter, du challenger. » Une équipe proche des valeurs des « gens » sur laquelle le club en fait des tonnes. Quitte à détourner s’il le fallait le club en petit Poucet espagnol – son budget reste tout de même le troisième de Liga. « Le Real et le Barça ont une image très forte. Mais ils provoquent également un fort rejet chez les gens qui ne les supportent pas. L’Atlético n’a pas ce rejet, mis à part si tu es du Real. Nous n’avons évidemment pas la même notoriété, mais c’est une équipe qui paraît abordable. » Les succès de l’ère Simeone ne devraient pas changer fondamentalement le message de la bande de la Señora Rushmore : « Si nous gagnons la Ligue des champions, nous ne devons pas changer d’idée. La foi est trop présente dans ce club. »
Par Robin Delorme, à Madrid