- France
- Interview de Didier Domi
« Latéral, c’était le poste le moins sexy »
Le bon latéral, une espèce en voie de disparition. Ce poste, l’ancien Parisien Didier Domi l’a occupé pendant plus de vingt ans. Évolution tactique, 3-5-2 de Laurent Blanc, point faible de l’équipe de France : explications et analyses.
Didier, il y a de moins en moins de bons latéraux.Oui, c’est vrai. Ils sont peut-être un peu moins bons techniquement. Et la technique c’est super important. Souvent, la sortie du ballon se fait avec les latéraux. Les très bonnes équipes mettent la pression sur les milieux de terrain comme Thiago Motta ou Xabi Alonso. Ça fait beaucoup de monde dans cette zone et ça augmente l’importance du latéral. Il doit être positionné ni trop haut ni trop bas et être assez technique pour relancer proprement. On voit de moins en moins de latéraux techniques car on a surtout privilégié la vitesse et la puissance. Marcelo est un exemple type du joueur moderne. Il joue au Real, un des meilleurs clubs du monde. Techniquement, il sait tout faire, que ce soit en position basse, médiane ou haute. Il peut se sortir de situations difficiles, sait orienter le jeu, peut apporter la supériorité numérique si besoin. Un latéral comme lui t’apporte quelque chose en plus.
Quelles sont les qualités fondamentales pour être un bon latéral ?Comme le reste de l’équipe, il faut qu’il soit assez intelligent pour bien défendre. Il doit garder avant tout son côté et aider son défenseur central. C’est son premier boulot. Qu’il soit fort physiquement ou pas, le but est que rien ne passe sur son côté. Après, s’il n’est pas costaud, il doit être très intelligent tactiquement et dans son placement, comme l’est Maxwell par exemple. Il est toujours bien placé pour récupérer les ballons. Parfois, les latéraux très forts physiquement le sont un peu moins dans le placement. Même s’ils sont très véloces et rapides, ils peuvent se faire prendre dans le dos parce qu’ils n’ont pas le sens du jeu. Après, si tu allies physique et intelligence tactique, tu es un monstre. Offensivement, il faut comprendre que ce ne sont plus des latéraux à l’ancienne. Quand je dis « à l’ancienne » , je parle des années 80. Mais tu sais, à l’Ajax ou dans le Liverpool de Dalglish, les latéraux étaient déjà assez haut. D’ailleurs, il n’y a pas longtemps, je discutais avec Graeme Souness, le capitaine de la grande équipe de Liverpool qui a gagnée trois Ligues des champions. Il me disait : « Déjà à mon époque, nos latéraux étaient très hauts. » Ils attaquaient, défendaient, écartaient, étaient techniquement forts et pouvaient s’insérer dans le milieu de terrain. C’est très important pour faire progresser le jeu. Ils étaient assez véloces, pouvaient déséquilibrer l’équipe adverse et prendre les espaces.
Et qu’est-ce qu’un bon latéral à l’ancienne ? Il avait un profil beaucoup plus défensif. On lui demandait de ne pas de trop monter. C’était plus les milieux qui faisaient ce travail. On était moins dans un football total à part pour les équipes dont je t’ai déjà parlé. Mais quoi qu’il arrive, un latéral doit avant tout savoir bien défendre. Après certains doivent être plus intelligents pour s’adapter à des systèmes comme le 4-3-3. Mais bon, en phase défensive, ils ont souvent un milieu pour les aider. Il y a très peu de situations où ils se retrouvent en un contre un. Dans les grandes équipes, ils ont de plus en plus tendance à défendre en avançant.
Qu’est-ce que défendre en avançant ? Certaines équipes ont déjà une grosse possession. Donc à la perte du ballon, elles défendent tout de suite. Certains latéraux ne sont pas forcément forts en 1 contre 1, donc pour te mettre la pression, ils misent davantage sur l’anticipation et là, ils peuvent être très bons. Mais un latéral doit savoir qu’il est avant tout défenseur, ça doit être la première de ses qualités. Même s’il est moins bon dans le duel ce n’est pas grave, on lui demande de récupérer les ballons.
Revenons sur le match aller PSG-Manchester City en Ligue des champions. En première mi-temps, les latéraux parisiens ont été biens bloqués par les Sky Blues. Le pouvoir offensif du PSG fût diminué. Manchester City a très bien joué au milieu de terrain. Sur les deux matchs, Fernando et Fernandinho ont été très bons. Ils ont coupé la source. Comme par hasard, on n’a pas trop vu les milieux de terrain parisien. Ils ont perdu beaucoup de ballons. C’était très dur pour eux d’avancer. On n’a pas vu non plus les latéraux parce que dans l’axe et au milieu, c’était difficile de progresser à cause du bon pressing adverse. C’est dur de sortir le ballon pour eux lorsque les milieux n’y arrivent pas.
Au match retour, Laurent Blanc est passé en 3-5-2. Étrange décision quand on sait que ce système doit être rodé pour fonctionner, surtout pour les latéraux…C’est un des systèmes que tu dois travailler le plus. Le 3-5-2 est très subtil, surtout pour les deux défenseurs placés de chaque côté de Thiago Silva. Ils sont la clé du système. On l’a vu en première mi-temps : Marquinhos jouait comme s’il était dans une défense à quatre. Il aurait dû beaucoup plus s’écarter, presque manger la ligne. Aurier c’est pareil. Il aurait fallu un peu plus travailler, car ils sont très importants pour sortir le ballon. Si la défense parisienne était face à deux attaquants, ok, ils se seraient retrouvés à 3 contre 2. Avec le seul Agüero, tu ne peux pas rester comme ça. Marquinhos et Aurier rajoutaient de la densité dans l’axe, ça faisait trop, ils étaient perdus. Le 3-5-2 c’est très fin, très tactique, ça se travaille. Après, Van der Wiel et Maxwell, même s’ils n’ont pas été bons, ils savent manger la ligne, jouer sur un côté. Il aurait fallu beaucoup plus d’entraînements et de matchs pour assimiler cette tactique, que ce soit défensivement et offensivement. Je n’ai pas compris ce choix.
Quelle différence entre le 3-5-2 et 5-3-2. Le profil des joueurs sur les côtés ? Souvent quand tu joues en 3-5-2, ce sont des vrais latéraux sur les côtés. Il n’y a que le FC Barcelone ou le Bayern qui peuvent mettre des profils plus offensifs. Ils ont une telle emprise sur le jeu, une telle rapidité de contre, de transition… ils peuvent jouer à 3 derrière et mettre un Ribéry ou un Coman sur le côté, ce n’est pas un problème pour eux. Ils jouent tellement haut. Mais pour la Juve et les autres équipes un peu moins fortes, ce sont toujours des latéraux qui occupent ce poste.
Quelle différence pour un latéral dans une défense à 4 ou à 5.Déjà quand tu joues à cinq, tu peux vite basculer à trois. Tu as beaucoup plus de sécurité. Tu sais que tu as quelqu’un derrière toi, donc tu es amené à jouer beaucoup plus haut. Cette liberté offensive te permet de donner beaucoup de largeur au jeu. Après, pour défendre dans une ligne de 5, ce sont les mêmes préceptes qu’à 4, mais tu as un peu plus de facilité.
En ayant plus de liberté, on les attend au tournant offensivement.C’est clair. Ce sont presque des vrais milieux de terrain. Ils doivent donc être beaucoup plus précis dans les passes.
Quelle relation doit nouer le latéral avec le défenseur central à côté de lui ? Ils doivent beaucoup se parler, travailler à l’entraînement, surtout tactiquement. Un latéral doit savoir quoi faire dans toutes les positions. Il doit nouer une bonne relation avec son défenseur et le milieu de terrain défensif. On parle souvent de paire ou de triplette. On sait que s’il y a un bon joueur, technique face à soi, il faut sortir sur lui. Ton défenseur central va venir te couvrir, il va y avoir coulissage. Lorsque ton défenseur central sort sur son attaquant, tu dois oublier ton côté pour couvrir l’axe. La couverture est très importante dans le football. Tu dois toujours être capable de switcher rapidement.
Rolland Courbis explique souvent que le bon équilibre pour une défense c’est d’avoir d’un côté un latéral offensif et de l’autre un élément au profil plus défensif.Il n’a pas tort. Dans le meilleur des mondes, on a Daniel Alves et Jordi Alba sur les côtés. (Rires) Ils sont forts en un contre un, savent défendre en avançant. C’est le top. Après c’est sûr que si l’un des deux ne fait que monter sans savoir défendre, le choix judicieux serait d’avoir un autre latéral qui soit meilleur défensivement. Après, ça dépend de la façon dont ton équipe joue. Si tu défends toujours en avançant, il n’y aura pas beaucoup de un-contre-un, donc c’est moins pénalisant.
Parle-moi des dédoublements du latéral avec son ailier.Là, on est dans le registre offensif. Si tu as un ailier, le but est d’aller d’un côté à l’autre pour qu’il se retrouve en un contre un le plus rapidement possible. Le latéral va souvent faire des fausses pistes avec du jeu sans ballon.
Et dans un 4-4-2 à plat, comment se passe les dédoublements pour un latéral s’il a devant lui un milieu avec le même pied fort ? Il y aura moins d’espaces. La force du 4-4-2 à plat est d’amener les ballons sur les côtés pour avoir le plus de centres possibles. Le latéral va être le soldat de son milieu. Tu vas beaucoup plus jouer sans ballon, passer derrière lui. Il va te faire quelques passes de temps en temps, mais ce n’est pas comme lorsque tu as un Payet ou Pastore sur les côtés. Eux sont des vrais passeurs et vont avoir tendance à rentrer dans l’axe. Mais bon, ça dépend du système de jeu, de l’animation. Après, si devant toi tu as un Neymar ou un Messi en faux pieds, qui peuvent à la fois manger la ligne ou rentrer, c’est le top. Ils peuvent jouer avec toi ou dribbler.
En quoi la banalisation du 4-3-3 ou du 4-2-3-1 a-t-elle changé le comportement du latéral ? Le latéral a une importance énorme dans le jeu, pour la conservation du ballon. C’est là où le travail a énormément évolué. Et ça rejoint ta première question : « Pourquoi est-ce qu’il y a de moins en moins de bons latéraux ? » À l’époque, ils étaient beaucoup moins techniques et s’attachaient avant tout à bien défendre. Maintenant, on est dans une optique où beaucoup d’équipes essaient de jouer au ballon. Le latéral doit donner de la largeur et de l’air au jeu. On est dans un football où il y a moins d’espaces. Avant les équipes s’étiraient sur 70 mètres. Maintenant, surtout en première mi-temps, le jeu s’étend sur 40-45 mètres, donc tu dois être meilleur techniquement, plus alerte, beaucoup plus fort. Les latéraux doivent savoir jouer au ballon, faire avancer l’équipe, être de plus en plus complet. Ta question était très forte dès le début.
Mais en fait, le mal qui touche les latéraux, ne peut-on pas le généraliser à tous les sortes de défenseurs ? On leur demande une telle polyvalence qu’on a l’impression qu’ils sont moyens partout finalement. Et puis, il n’y a plus cette fierté d’être latéral. On les sent comme complexés d’évoluer à ce poste. Tout le monde veut marquer.Je ne suis pas d’accord avec toi. Même avant, le poste de latéral, c’était pour les mecs qui n’étaient pas assez techniques. Maintenant justement, avec cette nouvelle façon de voir le football… l’Ajax et le Barça ont tellement influencé le foot moderne que beaucoup d’équipes veulent bien jouer. Donc le latéral est beaucoup plus valorisé qu’avant. À notre époque, il n’était pas vraiment respecté, c’était celui qui n’était pas capable d’être ailier. Il n’y avait que les Brésiliens qui montaient. Roberto Carlos ou Cafu, même s’il y a toujours eu des exceptions.
Donc le latéral c’est forcément un ailier raté ? Non. Il y a des joueurs qui aiment être latéral, mais il ne faut pas se le cacher : latéral c’est le poste le moins sexy. En tout cas, quand on pense au passé. Après, ça dépend de la mentalité du gars. S’il aime défendre… Aujourd’hui, le fait qu’il balaie tout son côté, c’est devenu un vrai kiff. Le poste a évolué, c’est gratifiant pour nous.
La formation du latéral a-t-elle changée ?Un peu oui. Avant, on avait moins de prérogatives. On travaillait la relation avec notre défenseur central, la façon dont on doit sortir sur notre adversaire direct lorsqu’il rentre ou se situe le long de la ligne. Je pense que les bases sont toujours les mêmes. Savoir défendre individuellement et dans l’espace. Là où ça a évolué, c’est qu’ils doivent savoir jouer au ballon. Quand on parle de 4-3-3, 4-2-3-1 bla-bla-bla… dans le jeu, les grandes équipes, lorsqu’elles ont le ballon, sont plutôt en 2-6-2 ou en 2-5-3. Ça ne ressemble jamais à un 4-3-3. C’est seulement lorsque tu défends. Alba, Alaba, Maxwell, Aurier par exemple, ce sont comme des milieux de terrain. Ils doivent être techniquement un peu plus forts et sentir le jeu. Ça résume l’évolution du poste. Le latéral moderne défend une position beaucoup plus haute qu’avant et doit lui aussi faire le jeu.
Quel est ton avis sur les latéraux de l’équipe de France, notre point faible. Déjà, on a un déficit au niveau technique. On perd trop souvent les ballons. Après, c’est aussi parce qu’on les compare aux joueurs qu’il y a autour. Quand tu vois Varane, malgré la saison moyenne qu’il réalise, Lloris, Pogba, Griezmann… c’est clair qu’en matière de qualités techniques, on a un petit problème. L’exemple type : Patrice Évra. C’est un formidable compétiteur, un monstre physique qui peut faire beaucoup d’efforts, mais il a malheureusement trop de déchets.
Presque toutes les sélections rencontrent ce problème.Oui c’est vrai. Pour revenir à la France, Jallet, lorsqu’il défend en avançant, il est très bon. Lorsqu’il a joué contre Chelsea, il a bouffé Eden Hazard. Bien sûr, il a du mal en un contre un… Mais tout part de la technique.
Pourquoi la qualité des centres est-elle aussi mauvaise ?Si je parle de technique, ça va avec… Tu vois comme tout se rejoint. Le latéral a beaucoup plus de prérogatives. Dès fois les appels sont très bons mais pas la finition. Marcelo réussit deux centres sur trois, lui.
Les postes de milieu relayeur et de latéral se ressemblent. Est-ce pour cela qu’on voit des Essien, Asamoah, voire Lassana Diarra à l’aise dans ce rôle ?Déjà, le milieu relayeur sait défendre, construire. Forcément, il a une science tactique qui lui permet d’évoluer dans cette position. Il doit apprendre les déplacements, mais il peut jouer latéral. D’ailleurs, au Barça Sergi Roberto le fait.
En revanche et sauf à quelques rares exceptions, un latéral ne peut pas jouer à beaucoup d’autres postes. Pas faux. Les latéraux occupent ce poste, car ils n’ont pas la capacité pour évoluer dans le cœur du jeu sauf pour des cas comme Maxwell, voire Bryan Dabo à Montpellier. Ils sont intelligents et techniques. En revanche, beaucoup peuvent jouer en défense centrale. Ils ont cette périphérie, savent quand monter. Ils ont toujours formé ce binôme avec le défenseur central donc ils connaissent les bases du poste. On peut prendre l’exemple d’Armand ou Morel…
Oui, mais ils ont un profil de défenseur central comme Abidal ou Thuram. Et ce type de joueur a souvent moins de vitesse que la moyenne des latéraux.Je te comprends mais les latéraux se débrouillent souvent très biens dans l’axe. Ils savent comment jouer la ligne, contrôler le poste, quand sortir. Monter au milieu demande beaucoup plus de talent. Aurier a été extraordinaire en défense centrale durant la tournée aux États-Unis du PSG.
Quelle différence dans l’attitude pour un latéral, lorsqu’il doit effectuer un marquage en zone ou en individuel comme avec Bielsa ?90% 95% des équipes pratiquent la zone. On a tous été formés à jouer comme ça. En zone, on doit gérer l’espace, mais il y a aussi des duels. Pour le marquage individuel, il faut une grosse concentration et coordination avec les autres. On peut être amené à sortir de sa zone ou alors, il faut faire un gros pressing comme le mettait en place Bielsa. Ce n’est pas facile.
Je reviens à une question précédente. Pourquoi les défenseurs – et j’englobe latéraux et centraux – sont-ils moins bons défensivement qu’ « avant » .Tu penses qu’ils sont moins bons ?
Oui, il n’y a plus de joueurs du niveau des Kohler, Desailly, Baresi…Ce sont des centraux ça.
Oui, mais même pour les latéraux. On a l’impression qu’ils sont devenus meilleurs offensivement, alors qu’il faudrait avant tout savoir bien défendre. Ok, la qualité des relances est meilleure, mais on a vraiment l’impression qu’à quelques exceptions près…Pour les latéraux, tu n’as pas tort. Après, les centraux quand je regarde les Godín… bon il y en a peut-être moins en quantité mais c’est peut-être une histoire de génération.
Oui, puis ils sont moins rugueux. T’as l’impression qu’un défenseur qui tacle, qui salit son maillot, c’est limite dégradant pour lui. Oui, ils sont beaucoup plus fins aujourd’hui. Mais regarde les Vidić, Godín, Kompany, Ramos, ce ne sont pas des enfants de cœurs. Après à l’époque des Di Meco et consort, il y avait des tacles par derrière… ce n’est plus la même chose. Les joueurs offensifs sont beaucoup plus protégés.
On voit beaucoup de latéraux droitiers pouvant jouer à gauche, mais presque jamais l’inverse.Le gaucher est beaucoup plus atypique. Il va avoir plus de mal à utiliser son pied droit.
Pourquoi ?Je pense que des fois, ça se passe un peu dans le cerveau. Le latéral gauche sera plus souvent dans la panade qu’un droitier qui joue à gauche. La sortie du ballon est beaucoup plus difficile. En revanche, plus haut, ça pose moins de problèmes. Quand on est latéral on doit jouer beaucoup en première attention.
Est-ce qu’il y a un joueur actuel dans lequel tu te reconnais ?Je n’étais pas non plus une lumière, je n’ai pas joué dans les grands clubs.
Je te parle au niveau profil, de l’attitude.(Il réfléchit) Peut-être Danilo du Real, attention je ne parle pas du niveau ! Je n’arrive pas à sa cheville. Il est moins bon que Marcelo offensivement en 1 contre 1, mais il peut jouer à tous les postes et défend bien en avançant.
Propos recueillis par Flavien Bories