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L’ascension du petit Saint-Bernardo
Né benfiquista, formé et révélé par Benfica, Bernardo Silva a mis du temps avant de briller au plus haut niveau. La faute à un petit gabarit et un refus du duel qui l'ont longtemps handicapé. Retour sur un magnifique joueur que le championnat portugais a laissé filer au profit de notre Ligue 1. Merci Jorge Jesus.
Au Portugal, il y a deux catégories de grands joueurs. Ceux qui, comme Cristiano Ronaldo et Luís Figo, sont les meilleurs depuis leur enfance, et les autres, qui, comme Rui Costa, ont explosé au crépuscule de l’adolescence sans que personne ne s’y attende vraiment. Bernardo Silva fait partie du deuxième groupe. « Quand nous étions plus jeunes, il n’était pas indiscutable à Benfica » , raconte Guilherme Matos, aujourd’hui à Beira-Mar, et responsable avec un certain Rony Lopes de la rétrogradation au statut de remplaçant de l’actuel monégasque à l’époque où ces trois-là squattaient le centre de formation du Seixal. « Il était déjà très bon, mais le problème, c’était sa taille. Il était tout petit et avait peur du contact » , ajoute Matos. Avant d’affronter ses peurs et d’apprendre à résister aux taquets de poids lourds – il y a deux semaines, on l’a étonnamment vu encaisser une grosse charge de Jonathan Mensah, 18 kilos de plus que lui -, le jeune Bernardo se sauve grâce sa tête. « Ses carences physiques lui ont appris à réfléchir plus vite que les autres pour éviter le contact » , analyse Helena Costa, sa première entraîneuse, dans les colonnes de Mais Futebol. Fuir le duel relève alors plus de l’instinct de survie que du manque de courage pour l’ex-Benfiquista, qui est amené à jouer « contre des gamins qui faisaient presque deux fois sa taille » , comme l’explique l’éphémère coach de Clermont. On comprend mieux pourquoi le défi physique de la Ligue 1 pose aussi peu de problèmes au Lusitanien et son mètre 73.
Dribbles et jeu de tête
S’il met du temps à s’imposer chez les jeunes de Benfica, c’est que l’adolescent Bernardo Silva n’attache pas autant d’importance à la prise de masse que son ex-coéquipier Rony Lopes. Le natif de Lisbonne préfère de loin passer ses après-midi à se shooter au footvolley avec ses potes plutôt qu’à bosser son physique. Résultat, il perfectionne une technique déjà très au-dessus de la moyenne ( « il était trop rapide et bon dribbleur pour que les défenseurs puissent le suivre » , se souvient un ancien coéquipier qui a tenu à garder l’anonymat) et développe… un jeu de tête hors du commun. « Bernardo contrôle mieux de la tête que beaucoup de joueurs avec leurs pieds. Mais après, c’était toujours la même histoire. Quand il fallait disputer un duel aérien, il n’y allait pas » , en rit encore Guilherme Matos, qui souligne le gros travail effectué par son pote pour effacer ses lacunes dans ce domaine et survivre au milieu des gros gabarits, qui disparaîtraient au fil des catégories. Le jeu pratiqué chez juniors et seniors correspond au contraire parfaitement au profil de Silva : plus d’espaces, plus de technique et moins de baston. Les heures passées à tripoter le ballon avec ses amis se révèlent enfin utiles, au point que le petit remplaçant des catégories inférieures explose et se mue en pièce maîtresse de l’équipe B des seniors de Benfica. Une consécration pour un gamin benfiquista au point de « fêter les buts de ses coéquipiers comme si c’était les siens, et de pleurer en cas d’erreurs et défaites, même quand il n’y était pour rien » à en croire Helena Costa. L’amour du maillot, le vrai.
« Je savais que s’il voulait s’affirmer, il devait quitter Benfica »
Malheureusement pour le petit bonhomme, les sentiments ne sont pas réciproques malgré quelques minutes passées chez les A de Jorge Jesus, connu au Portugal pour vouer un culte aux joueurs sud-américains. Et quand la possibilité d’évoluer en Ligue 1 sous les couleurs de Monaco se présente, Bernardo Silva n’hésite pas longtemps. « J’ai toujours dit que s’il voulait s’affirmer, il devait quitter Benfica. Là-bas, les Portugais sont victimes du favoritisme accordé aux étrangers. Ivan Cavaleiro, Hélder Costa et lui… Ils ont tous le talent pour jouer dans l’équipe première, et pourtant… » , regrette Guilherme Matos qui avait quitté le navire plus tôt que ses amis pour rejoindre l’União Leiria afin d’y terminer sa formation, dégoûté par un système qu’il espère voir changer avec la crise que traverse le football portugais. « Espérons qu’elle oblige les clubs à miser sur la formation, comme on le voit au Sporting » . En attendant, et malgré les promesses du président Vieira, le désamour du SLB pour sa jeunesse a fait une nouvelle victime lors du dernier mercato hivernal. Bernardo Silva, probable futur international portugais, s’est envolé pour 15 millions d’euros vers Monaco, en provenance d’un club qu’il chérit, mais ne le regrette même pas. Pire, il se frotte les mains d’avoir encaissé une grosse somme sur le dos de l’un de ses plus beaux espoirs. Sans doute le plus grand drame de la vie du nouveau Monégasque, qui nourrit sans doute l’espoir de pouvoir retourner à la Luz, quitte à montrer un chèque en blanc au président comme a pu le faire Rui Costa. Encore faudra-t-il réaliser la même carrière.
Par William Pereira