- Mondial 2014 – Éliminatoires – Groupe B – Arménie/Italie
L’Arménie, poil à gratter
Vingt ans après son indépendance, l’Arménie est toujours en quête d’une première participation à une compétition internationale. L’adversaire de l’Italie ce soir n’a jamais semblé aussi fort et ambitieux. Son principal problème étant d’avoir été versé dans un groupe B particulièrement relevé. Car pour le reste, la sélection ne manque pas d’arguments. Découverte.
Petit rappel historique. Jusqu’en 1991, l’Arménie appartenait à l’URSS, qui éclate à l’époque et s’éparpille par petits bouts, façon puzzle. De tous les satellites qui ont pris leur indépendance à cette date, c’est loin d’être le mieux loti. Climat hardcore, relations tendues avec ses voisins, industrie balbutiante, ressources minérales faibles… Les freins sont nombreux et le passage à l’économie de marché a sacrément fait morfler l’Arménie, qui a dû partir de zéro ou presque. Autant dire que dans un contexte global aussi sinistré, le football n’est pas la priorité. Le sport y est pourtant pas mal populaire et quelques succès passés sont à retenir, notamment le titre de champion d’URSS décroché par l’Ararat Erevan en 1973.
Satanés Irlandais !
Mais ces exploits d’une autre époque sont rangés au placard et la fédé arménienne de foot démarre par une feuille blanche. La sélection doit composer avec l’absence de joueurs de haut niveau, un système de formation défaillant et des infrastructures obsolètes. Résultat : jusqu’en 2010, toutes les campagnes de qualification se sont soldées par des échecs du genre bien violents, l’Arménie ne décollant jamais de la dernière ou de l’avant-dernière place de son groupe. Mais ces dernières années, miracle : l’équipe d’ordinaire habituée à être au-delà du top 100 Fifa et à se manger gamelle sur gamelle en matchs officiels se met à enchaîner les bons résultats et à frôler la qualification pour l’Euro 2012.
C’était il y a un an jour pour jour. Après de belles victoires acquises face à la Slovaquie et la Macédoine – battre ce genre de nation, c’est nouveau pour l’Arménie –, les barrages étaient encore accessibles, à condition de disposer de l’Irlande chez elle. Mais dès la 26e minute de jeu, le gardien Berezovski est injustement expulsé pour faute de main en dehors de la surface, alors que son vis-à-vis Simon Cox avait lui-même contrôlé le ballon de la main. Deux ans après l’affaire Thierry Henry, l’Irlande bénéficiait cette fois de cette erreur d’arbitrage… L’opposition tronquée, l’Arménie s’était finalement inclinée 1-2 et avait donc vu ses rêves de qualification s’envoler. Au moins avait-elle marqué les esprits au cours de cette campagne, avec au final une 3e place de son groupe et 22 buts marqués. Seuls l’Allemagne, les Pays-Bas, la Suède et l’Espagne ont fait mieux.
Le phénomène Henrikh Mkhitaryan
En fait ces performances à la hausse, si miraculeuses soient-elles, ne sont pas vraiment le fruit du hasard. Interrogé en octobre 2010, le sélectionneur Vardan Minasyan insistait sur « le travail de formation » entamé quelques années auparavant et qui commence à porter ses fruits. Henrikh Mkhitaryan en est la parfaite preuve. A 23 ans, ce pur produit du Pyunik Erevan, club le plus titré du pays, est en train d’exploser au Shakhtar Donetsk, affichant des stats invraisemblables : 14 buts et 5 passes décisives en 11 matchs du championnat ukrainien, ainsi que 2 buts en autant de rencontres de C1. Et il n’est même pas attaquant mais milieu offensif. En sélection aussi, Mkhitaryan – coucou Olivier Rouyer ! – cartonne aussi, avec 6 buts inscrits lors de la dernière campagne qualificative.
La sélection arménienne bénéficie par ailleurs de l’apport de ses joueurs issus de la diaspora. L’actuel buteur Yura Movsisyan a été formé dans une université aux États-Unis, où il avait déménagé tout gamin, a remporté la MLS avant de revenir s’aguerrir en Europe. Autre exemple avec l’ailier droit Aras Özbiliz, Arménien né en Turquie et repéré par l’Ajax Amsterdam, chez qui il a fait ses gammes. Les deux joueurs évoluent désormais en Russie, le premier au FC Krasnodar, le second chez le rival du Kuban Krasnodar. Ils y réalisent un début de saison pas dégueulasse du tout, Movsisyan étant même l’actuel co-meilleur buteur du championnat. C’est cette émulation qui peut faire la réussite de l’Arménie 2.0. Avec une nouvelle génération de joueurs évoluant pour certains à l’étranger, en Ukraine et Russie essentiellement, où le football est en progrès constant. Des jeunes qui n’ont pas ou n’ont que très peu connu l’époque soviétique. Sans nostalgie aucune, ils sont résolument tournés vers l’avenir. Lequel s’annonce prometteur.
Par Régis Delanoë