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L’Arménie en deuil de sa légende
Alors que l'Arménie s'apprête à défier la France, ce jeudi à Nice, des centaines de nostalgiques pleurent la disparition d'Hovhannes Zanazanian, capitaine de la mythique équipe de l'Ararat Yerevan de 1973 et légende du football arménien.
Dimanche 4 octobre 2015. Après des mois d’un combat acharné contre la maladie, Hovhannes Zanazanian s’éteint, à l’âge de 68 ans. Si ce nom demeure inconnu en France, il est, de l’autre côté de la Mer noire, le symbole d’une des plus grandes épopées que le football arménien ait jamais connu. Joueur, d’abord, et capitaine de l’Ararat Yerevan, il avait également honoré plusieurs sélections avec l’équipe soviétique. Avant de se concentrer sur son combat contre la maladie, il avait également entraîné plusieurs équipes et s’était même payé le luxe de coacher les U19 arméniens, entre 1994 et 1995. Si son décès endeuille le football arménien, il rappelle aussi à tout le monde quelle fabuleuse équipe l’Ararat Yerevan possédait dans les seventies. Plus de 40 ans plus tard, cette équipe est encore gravée dans les mémoires comme le symbole de l’Arménie qui gagne. Une Arménie fière et unie derrière l’épopée incroyable d’une équipe de football qui devait à l’époque batailler contre les plus grosses écuries soviétiques.
L’historique Ararat 73
Fondé en 1935 par le Spartak, une société omnisport qui reliait les différents pays de l’Union soviétique, le Football Club Ararat Yerevan décroche très vite ses premiers succès. Effectivement, dès 1940, Yerevan déflore son palmarès avec une Coupe d’Arménie. Un titre qui en appelle d’autres, même si le club ne dispute aucun match pendant 4 ans, de 1940 à 1944, en raison de la Seconde Guerre mondiale. À la reprise de la compétition, le Yerevan reprend toutefois immédiatement sa marche en avant. Le club arménien finit ainsi second de la seconde division de la région transcaucasienne, un petit point derrière le FC Tbilissi. Puis dispute pour la première fois la première division soviétique en 1949. Les lettres d’or du club sont cependant gravées une bonne vingtaine d’années plus tard. Porté par son trio Zanazanian-Andreasyan-Bondarenko, le Yerevan illumine en effet les seventies. Deuxième du championnat soviétique en 1971, le club arménien réalise un formidable doublé coupe-championnat en 1973. Qui plus est, en prenant sa revanche en finale de Coupe sur le Dynamo Kiev (2-1), vainqueur en 1954 sur le même score. Aharon Boyadjian, fils du premier arbitre international arménien de l’histoire, Khatchadour Boyadjian, et fervent supporter du Yerevan, abonde : « Je crois bien que le Yerevan 73 est la plus grande équipe arménienne de football de tous les temps. »
Présent au stade Lénine lors de la finale de Coupe remportée face au Dynamo Kiev, Aharon Boyadjian, radiologue de profession, accroche le négatif de l’époque au tableau : « Sur les 65 000 à 70 000 spectateurs, il y avait 30 000 Arméniens, 10 000 Ukrainiens et le reste, c’étaient des Russes. Bien sûr, les Russes étaient pour les Ukrainiens. On a vu des Arméniens de France, des Arméniens de Yougoslavie, etc. C’était un symbole d’unité nationale. Dans le monde entier, les Arméniens ne parlaient que de l’Ararat. Ce doublé, c’était l’un des plus grands moments de l’histoire du sport arménien. » Sans toutefois oublier la confrontation face au Bayern Munich, en mars 1975 en quarts de finale de Coupe des clubs champions 1975. Défait 2-0 à l’aller à Munich, le Yerevan manque effectivement de peu de créer l’immense surprise au retour face à l’ogre bavarois de Sepp Maier, Franz Beckenbauer ou encore Gerd Müller, futur vainqueur de la compétition (1-0). Aharon Boyadjian étaye : « C’était un sacré moment. Moi, je m’attendais même à ce qu’ils se qualifient lors du match retour. Je ne sais plus qui a été blessé, mais ils ont perdu dix minutes sur le terrain. Moi, j’écoutais à la radio, et j’entendais que Zanazanian parlait à l’arbitre. Quelques mois plus tard, quand je l’ai vu, je lui ai demandé ce qu’il avait dit à l’arbitre. Il lui avait en fait demandé de vite sortir le blessé parce que les joueurs de l’Ararat étaient en train de se refroidir. » Le genre de détails historiques perdus dans le recoin de la mémoire des plus fidèles supporters. À la différence de la légende Zanazanian.
Jeu long et je humble
Pour entrer dans les mémoires collectives comme la meilleure équipe arménienne de tous les temps, l’Ararat Yerevan pouvait avant tout compter sur « son capitaine, son milieu de terrain emblématique » , Hovhannes Zanazanian. Sur le terrain, le milieu de terrain était la pierre angulaire de ce que Aharon Boyadjian qualifie aujourd’hui de « trio magique » . « Au sein du 4-3-3, les trois milieux, Zanazanian, Andreasyan et Bondarenko, permutaient tout le temps. Ils existaient tous les uns grâce aux autres. Ils pratiquaient un football de rêve. Ils ne s’arrêtaient jamais sur le terrain, jamais » , se souvient le radiologue, un brin de nostalgie dans la voix. Au sein de cette superbe association, Hovhannes était le chef d’orchestre. Sa principale qualité ? Son jeu long. « Il aimait distribuer des longues passes à ses deux ailiers et frapper de loin. Il marquait souvent des buts depuis 30 mètres, 40 mètres » , se remémore le docteur Boyadjian.
Une qualité reconnue dans son club, bien entendu, mais également au sein même de la sélection soviétique. Même Oleg Blokhine, le Ballon d’or, admirait son talent. « Il avait carrément l’habitude de dire qu’il aimait être mis en orbite par Zanazanian » , se souvient son ami de longue date. « La première fois qu’on a rencontré M. Zanazanian, c’était en 1969, lorsque l’équipe olympique d’URSS était venue au Liban. On a fait connaissance et on a gardé contact » , confie en effet Aharon Boyadjian. Bien au-delà des terrains de football, Hovhannes Zanazanian était le représentant charismatique de l’Ararat 73. « C’était quelqu’un d’extrêmement communicatif. Il souriait beaucoup, avait beaucoup de charisme. C’est pour ça qu’il représente si bien cette équipe de l’Ararat 73. C’était le symbole de cette équipe. Il personnifiait cette équipe à merveille » , assure aujourd’hui M. Boyadjian. Un symbole qui méritait bien un hommage.
Par Eric Marinelli et Gabriel Cnudde