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L’Argentine en « lune de Lionel »
Grâce à son succès face au Pérou (1-0) dans la nuit de jeudi à vendredi, l’Albiceleste compte désormais 25 rencontres consécutives sans la moindre défaite. Avec le billet pour la prochaine Coupe du monde pratiquement en poche, les coéquipiers de Lionel Messi commencent peu à peu à avoir la gueule d’un sérieux outsider au Qatar. En Argentine, depuis la victoire en Copa América, une véritable histoire d’amour lie le pays à cette sélection menée par Lionel Scaloni. Une relation puissante après des années compliquées étalée à l’Estadio Monumental.
Quatre heures avant le coup d’envoi de la rencontre, les supporters sont déjà là. Même en pleine semaine. En Argentine, la previa, comprendre l’avant-match ou plutôt l’apéro, c’est sacré. Encore plus pour ceux qui retrouvent les tribunes pour la première fois depuis le début de la pandémie il y a un an et demi. Sur l’avenue Libertador, à quelques centaines de mètres de l’Estadio Monumental, les odeurs de grillade se mêlent déjà aux reflux d’alcool. Les nombreux vendeurs ambulants beuglent pour convaincre les passants d’acheter un drapeau mal imprimé à 800 pesos, un poncho certainement perméable ou un masque flippant de Messi.
Canette de Quilmes à la main, Matías, 24 ans, maillot de l’Albiceleste sur les épaules, titube un peu au moment d’accrocher une banderole à un grillage avec ses potes. C’est un drapeau argentin avec la gueule de la Pulga imprimée au-dessus de l’inscription : « Je t’aime tellement que ça me fait mal. » Visiblement, ça va quand même. « Il faut qu’on profite du plus grand tant qu’il est là », prévient celui qui est venu de Monte Grande en province de Buenos Aires pour voir le match avec ses amis qui enquillent les Fernet-Coca dans une bouteille en plastique coupée en deux. Un classique local. Ces gars-là font partie des plus de 36 000 chanceux qui ont réussi à obtenir une place pour assister à la rencontre entre l’Argentine et le Pérou ce jeudi soir en éliminatoires de la Coupe du monde 2022. Avec le protocole sanitaire, l’enceinte de River Plate est encore limitée à 50% de sa capacité. Il a donc fallu se battre pour obtenir le précieux sésame malgré un système de vente particulièrement pourri. Tous ont été obligés de patienter sur leur ordinateur dans une file d’attente virtuelle puis dans une autre bien réelle pour récupérer leur entrée à la billetterie du stade. Mais quand on aime, on ne compte pas. Même si cela signifie attendre plusieurs heures pour avoir son bout de papier.
Cristian et son sésame.
« On se sent davantage représenté par ces mecs-là »
Le fait est que l’Argentine est en ce moment « en lune de Lionel ». C’était le jeu de mots en une du quotidien sportif Olé cette semaine pour accompagner la photo de ces hinchas prêts à tout pour voir leur sélection et surtout leur numéro 10 désormais adulé à domicile. « Il y a de l’amour ! », prévient le journal tout excité. Cristian en est une preuve. Avec sa mère et sa sœur, ils ont roulé plus de 1500 km depuis Santiago del Estero au nord du pays pour aller au match. « Cela a été un sacrifice énorme, mais cette équipe vaut bien ça », assure celui qui porte sans pression un chapeau type arlequin bleu ciel et blanc. « On a toujours suivi la sélection, mais là il y a quelque chose dans l’air qui a été réveillé depuis la victoire en Copa América. Les joueurs ont une autre attitude. On sent qu’ils viennent vraiment défendre le maillot maintenant. On se sent davantage représenté par ces mecs-là. »
Sûrement parce que cette équipe a mis fin en juillet dernier à 28 ans de lose en s’adjugeant le trophée continental au Maracanã face au Brésil de Neymar. Difficile de rêver mieux. « Le titre a tout changé, pense Fede Rodas, journaliste à Direct TV Sports et bord-terrain ce soir-là. Je crois que même lors de la finale de la Coupe du monde en 2014, il n’y avait pas une telle cote d’amour pour l’équipe. La connexion qu’il y a en ce moment entre les supporters et ce groupe est complètement dingue. » Au point d’avoir déjà fait zapper la génération de Mascherano, Higuaín ou Biglia. Même si Messi reste plus que jamais le favori du public, il n’est plus le seul aujourd’hui dans les cœurs. Comme sur le terrain, la Pulga partage désormais l’affiche et l’amour des supporters avec des coéquipiers devenus soudainement charismatiques. Lorsque la speakerine de l’Estadio Monumental égrène le nom des joueurs dans l’avant-match, des chants personnalisés tombent des tribunes à l’annonce d’Emiliano « Dibu » Martínez, le gardien de but trashtalker, Rodrigo De Paul, le milieu de terrain qui en plus de porter le thermo du Diez balance des passes laser de quarterback, Ángel Di María, le héros du Maracanã, mais aussi Lionel Scaloni, le patron d’un groupe désormais surnommé « La Scaloneta », un bus qu’il mènerait lui-même sur l’autoroute de la win.
« L’euphorie des gens est super, mais nous sommes les mêmes qu’avant, expliquait cette semaine un sélectionneur toujours prompt à tempérer l’enflammade propre à son pays. Gagner est important, mais il y a d’autres choses qui le sont tout autant, comme la façon de représenter le maillot national et de ne jamais baisser les bras. C’est ce que les gens veulent voir. Ces joueurs sont leur représentation sur le terrain, au-delà de la victoire ou la défaite. Ces gars-là ne vont pas les laisser tomber. Ils peuvent jouer bien ou mal, mais il y a une dynamique installée dans l’équipe. Je crois que les gens s’identifient à ces joueurs. C’est le plus important. Les résultats et tout ce qui viendra seront la conséquence de tout ça. »
« Cette équipe peut être championne du monde »
Une force collective qui permet à l’Argentine, sans être flamboyante comme contre l’Uruguay dimanche dernier (3-0), de s’imposer quand même. Ce jeudi soir, l’Estadio Monumental a ainsi pu exploser sur le but de la tête de Lautaro Martínez ou sur ce penalty péruvien loupé en deuxième période. Possiblement en raison de l’intimidation qu’exerce désormais un gardien de but argentin qui n’a encaissé qu’un but sur les cinq dernières rencontres. L’émergence du défenseur central de Tottenham Cristian Romero y est aussi pour quelque chose. Grâce à cette solidité, l’Albiceleste, vainqueur du Pérou 1-0, n’a plus connu la défaite depuis 25 matchs. Deuxièmes des qualifications au Mondial derrière le Brésil (le résultat du match interrompu entre les deux équipes reste à définir, NDLR), les coéquipiers de Lionel Messi comptent neuf points d’avance sur la cinquième place de barragiste à six journées de la fin. Le Qatar se présente en toute sérénité. À des années-lumière de la dernière campagne d’éliminatoires. Quand le sextuple Ballon d’or était obligé de claquer un triplé en Équateur lors de l’ultime journée pour éviter à son pays l’humiliation d’un no-show en Russie.
« L’équipe actuelle ressemble beaucoup à la nôtre », faisait remarquer ce mercredi sur ESPN Sergio Batista, milieu de terrain champion du monde argentin en 1986 avec Maradona sur le terrain et Bilardo sur le banc. « Dans cette sélection, tous comprennent qu’ils ont un travail à accomplir sur le terrain et qu’ils doivent le faire à la perfection. Et à côté de ça, tu as le meilleur joueur du monde qui va terminer les actions. Comme nous avec Diego. Quand je m’assois sur mon canapé, cette équipe me transmet beaucoup de tranquillité. Je la vois très sûre d’elle, avec beaucoup de personnalité. Et le sélectionneur est un crack ! Il a supporté les critiques et a mis en place une équipe qui fait plaisir à voir jouer. Il a surtout réussi à créer un groupe très uni. Il n’y a aucun problème quand un joueur doit entrer ou sortir. Ils sont tous contents. Tous les mecs qui entrent jouent bien ! Scaloni a beaucoup de mérite. Et en plus, c’est le meilleur moment de Messi avec la sélection. »
Reste que la Scaloneta n’a pas croisé la route d’une puissance européenne depuis un match amical contre l’Allemagne en octobre 2019 (2-2 à Dortmund). Difficile dans ces conditions de véritablement jauger cette équipe argentine qui n’a pour l’instant à son programme qu’un seul match face à une sélection du Vieux Continent avant de rejoindre Doha : une alléchante opposition contre l’Italie en juin 2022 pour déterminer le superchampion entre le vainqueur de l’Euro et celui de la Copa América. Sergio Batista, lui, n’a pas besoin d’en voir plus. Comme plusieurs millions d’Argentins, il a déjà cette intime conviction : « Je crois que si cette équipe continue de jouer comme ça, elle peut être championne du monde. » Trente-six-ans après, c’est le moment ?
Par Georges Quirino-Chaves, à Buenos Aires
Tous propos recueillis par GQC sauf mentions // Photos : GQC et Iconsport.