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L’argent ne fait pas le bonheur de Marta
À 26 ans, la Brésilienne Marta est la meilleure joueuse du monde. L’une des mieux payées aussi. Alors, heureuse ? Pas forcément, quand, malgré son talent, les grands matchs internationaux se finissent le plus souvent en larmes. Explications.
« Elle a un avantage, sur moi : ses jambes sont plus jolies que les miennes. » Le compliment est sorti de la bouche de Pelé lui-même, un jour d’été 2007. Marta venait d’aider la Canarinha à remporter les Jeux panaméricains dans un stade Maracanã rempli de 68 000 spectateurs enamourés. Habitué à décerner ou non les certificats de « nouveau Pelé » , o Rei était cette fois interrogé sur le bien-fondé du surnom attribué à la joueuse brésilienne : « la Pelé en jupon » . Tout ça, reconnaissons-le, fleurait bon son machisme gentillet. Mais l’ambassadeur de l’ONU et de l’Unesco a adoubé Marta, là est l’essentiel. Au reste, évacuons pour de bon la question physique : malgré les flatteries de l’ex-ambassadeur de Coca à l’intention de Marta Vieira da Silva, celle-ci n’aurait probablement pas sa place au concours beauté des joueuses de foot féminin. Sauf à la voir évoluer balle au pied.
La meilleure de son époque
À l’heure du tournoi olympique à Londres, la comparaison avec l’ancienne gloire de Santos apparaît boiteuse. Oui, comme Pelé, Marta a joué au Santos FC et aux États-Unis. Certes, comme lui, elle est sans conteste la meilleure joueuse de son époque. Comme lui aussi, elle enfile souvent les buts plus vite que les matchs. Mais contrairement au seul mec à avoir remporté trois Coupes du monde, Marta a la poisse quand il s’agit de disputer les phases finales de grandes compétitions internationales. Ses victoires au Sudamericano Femenino (2003 et 2010) – la Copa América chez les filles – et aux Jeux panaméricains en 2007 font office de cache-misère. Car les Coupes du monde et JO auxquelles elle a participé se sont tous soldés par des échecs cruels. Où, soit dit en passant, son rendement personnel fut rarement en cause.
Petit flash-back : en 2004, aux JO d’Athènes, Marta, 18 ans, emmène le Brésil en finale, avec trois buts au compteur. Reste que l’aventure grecque se termine par une défaite dans les dernières minutes face aux coéquipières de Mia Hamm. Trois ans plus tard, lors de la Coupe du monde en Chine, Marta prend sa revanche lors des demi-finales en giflant les Ricaines (4-0), avec un petit but perso pour le kif. Le Brésil, désigné équipe la plus spectaculaire de la compétition, survole les débats. Avec 7 pions inscrits, Marta est la meilleure buteuse du tournoi. Samba ? Ou pas. Au-delà des stats, l’image que les médias retiendront sera celle de la numéro 10, les yeux rougis par les larmes, après une défaite en finale contre l’Allemagne. Triste. Qu’à cela ne tienne, le retour en Chine, un an après, pour les JO de Pékin, est l’occasion rêvée de casser cette image d’éternelle seconde. Une occasion ratée. Malgré trois pions dans la compétition, Marta perd la finale face aux États-Unis. Dernier épisode : au Mondial allemand de 2011, le Brésil retrouve les États-Unis en quarts. Marta inscrit un doublé. C’est bien. Mais insuffisant quand votre équipe en prend trois. Comment dit-on loseuse en portugais ?
« J’ai très rapidement appris à me battre »
L’histoire de Marta ressemble finalement à un conte de fées où la charmante dulcinée se prendrait à chaque fois des râteaux improbables et à la dernière minute du prince charmant. Au tout début, la trajectoire de la Brésilienne ressemble pourtant à une belle fable. Marta est née dans un des États les plus pauvres du Brésil, l’Alagoas, au sud de l’État du Pernambouc. « Ma famille était pauvre, et on me faisait tellement de difficultés parce que j’étais une fille et que je voulais jouer au football, j’ai très rapidement appris à me battre » , raconte Marta au journal Le Matin, puisque c’est en Suisse que la sélection auriverde est venue se préparer pour Londres. Dans un tournoi féminin de sa région, un entraîneur demande son exclusion au motif qu’une gamine qui touche aussi bien le ballon ne peut être qu’un garçon.
À quatorze ans, Marta part pour Rio, au Vasco de Gama. Mais deux ans plus tard, le club arrête son équipe professionnelle féminine. La petite brune aux grandes dents part alors pour la Suède. Là-bas, un club, Umeå IK, domine l’Europe. Pour la Brésilienne, l’adaptation à cette ville de 80 000 habitants, où le thermomètre affiche en moyenne -10 degrés en hiver, va se faire très rapidement. En quatre années, elle remporte quatre titres de championne de Suède. Et affiche l’abattage d’un bûcheron suédois : 111 buts en 103 matchs. Les récompenses individuelles pleuvent. Entre 2006 et 2010, elle monopolise le titre de la FIFA de meilleure joueuse mondiale. De quoi susciter l’intérêt des grosses équipes américaines.
Son empreinte au Maracanã
En 2008, Marta rejoint les Los Angeles Sol et la nouvelle Ligue de football féminin made inUS. Avec, à la signature, un juteux contrat de 500 000 dollars annuels. Et les rumeurs qui vont avec : le club aurait aussi engagé une joueuse suédoise pour convaincre la Brésilienne de s’installer en Californie. Marta et sa coéquipière nient toute relation. Mais l’épisode souligne le statut de « star » que l’attaquante a acquis, à 23 ans à peine. Dès sa première saison, Marta conserve ses habitudes suédoises et finit meilleure buteuse. Mais la scoumoune s’incruste dans son rêve américain. Les Los Angeles Sol croulent sous les dettes. Changement de club et bis repetita : Marta plante 19 buts en 24 rencontres pour le FC Gold Pride, qui met les clés sous la porte, fin 2010. La joueuse s’en va voir du côté du Western New York Flash, où elle remporte le championnat. Avant que la Women’s Professional soccer ne se saborde pour de bon. Marta, qui, entre-temps, a profité de deux courtes piges au Santos FC pour ramener une Copa Libertadores – elle marque deux buts en finale – retourne à ses premières amours. Direction la Suède, donc, où elle rejoint la modeste équipe de Tyresö FF, en janvier dernier.
Très douée techniquement, virevoltante, elle est devenue en quelques années la meilleure ambassadrice du foot féminin. Elle restera d’ailleurs la première joueuse à avoir l’empreinte de son pied au Maracanã. Mais elle est aussi peut-être, paradoxalement, le meilleur ennemi de sa discipline. Car sur le terrain, ses adversaires paraissent souvent maladroites et lentes. De quoi relancer les contempteurs qui critiquent la qualité du jeu et le manque d’intensité chez les filles. À Londres, Marta sera bien loin de ces débats sans fin sur le niveau du foot féminin. Avant les Jeux de Rio, en 2016, auxquels elle pense déjà, voilà une bonne occasion de mettre fin à sa série de désillusions. « Deuxième, au Brésil, ce n’est pas suffisant. En Suède, où je joue en club, mes collègues me disent: « Mais tu as déjà gagné deux fois l’argent, c’est bien. »Pour moi, l’argent, cela ne veut rien dire ; l’argent, cela signifie que nous sommes arrivées deux fois en finale et que nous avons perdu le match. » À écouter cette croyante, l’air des alpages suisses, durant la préparation pré-olympique, aurait été bénéfique : « J’ai dit à mes camarades : regardez, les filles, ici, en altitude, on est plus proche de Dieu. Il verra beaucoup mieux ce que nous allons faire pendant ce camp d’entraînement. » Il ne reste qu’à souhaiter à Marta que Dieu, au moment de choisir son camp, ait aussi bon goût que Pelé.
Par Yann Bouchez