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Larbi Benbarek, l’Étoile de Casa
Le Maroc a offert trois illustres de ses natifs au sport français : Marcel Cerdan, Just Fontaine et l’immense Larbi Benbarek. Quoique trop souvent oublié, ce dernier figure très haut au panthéon footballistique commun de la France et du Maroc. Que des bonnes raisons de lui rendre hommage...
On doit à Pelé d’avoir porté à la postérité la triple consonance BBB, Larbi Benbarek. « Si je suis le roi du football, alors Benbarek en est le dieu », avait-il dit avec révérence de celui qui a été la première grande star du football arabe et africain.
Longévité record en bleu
Le natif de Casablanca, passé par l’OM avant-guerre puis après au Stade français et à l’Atlético de Madrid, s’était aussi illustré en sélection du Maroc (1934-1937) puis en équipe de France (1938-1954). Il avait pu disputer 17 matchs en bleu (3 buts), le Maroc étant alors protectorat français… En mars 1975, alors que le Santos FC était de passage à Casablanca, la ville de toujours de Larbi, le Roi et le Dieu se rencontrèrent lors d’un méchoui mémorable donné en l’honneur des Brasileiros. Pelé offrit à Larbi une médaille d’or et un maillot floqué de son numéro 10. Ce fut l’avant-dernier hommage prestigieux que connut le vieux Larbi, âgé alors de 59 ans. En avril 1988, il sera un des invités d’honneur de la célébration à Alger du 30e anniversaire de la création de la fameuse équipe du FLN. De quoi raviver les souvenirs glorieux du football maghrébin d’antan…
Le 7 octobre 1954, un match de bienfaisance au profit des sinistrés du séisme d’Orléansville (en Algérie) se tient au Parc des Princes. La partie oppose l’équipe de France à une sélection de pros nord-africains. Promu capitaine, Benbarek, encore vaillant milieu offensif de 37 ans, guide sur le terrain les talentueux Algériens Ben Tifour et Zitouni, le Marocain Abderrazak ou le Tunisien Hassouna. Contre toute attente, la France est battue 3-2 ! Larbi a été impérial, offrant une passe décisive et inscrivant le but du 2-0. La « Perle noire » , un surnom qu’il porte depuis l’avant-guerre, est ovationnée par le public parisien médusé. À cette date, il n’était plus convoqué chez les Bleus depuis 1948, à cause de son âge, de son éloignement à l’Atlético de Madrid (1948-1953) et, sans doute aussi, à cause de certains préjugés inavouables (arabe et noir de peau) qui avaient encore cours au sein de la FFF et du groupement (ex-LFP). Or, le Marocain se vit rappeler en équipe de France littéralement par la grâce du « plébiscite populaire » au Parc des Princes et par la grâce, bien sûr, de son talent encore intact. Le 16 octobre 1954, à Hanovre, il participe à la surprenante victoire tricolore 3-1 contre la RFA. Même s’il a dû quitter les copains au bout de 30 minutes, blessé, trahi par ses vieux muscles. Car il serait né bien avant la date officielle du 16 juin 1917… À Hanovre, pour sa dernière cape, Larbi Benbarek a établi un record de longévité en équipe de France, étalée sur 15 ans et 10 mois depuis sa première sélection contre l’Italie à Naples le 4 décembre 1938 (0-1). À la fin de la saison, il quitte l’OM, où il a effectué un second passage, pour finir sa carrière à l’USM Bel Abbès, puis à la FUS de Rabat (1956-1958). À 42 ans…
Le pied de Dieu
La France avait découvert ce merveilleux et robuste (1,79m) technicien au profil zidanesque, organisateur et buteur, quand il débarqua à l’OM à l’été 1938 après avoir fait les beaux jours de l’US marocaine. Gamin, il avait musclé à Cuba, quartier pauvre de Casablanca, son endurance en pratiquant le foot, le vélo et la boxe. Un sport que son pote de ballon Marcel Cerdan choisira plus tard. Pour sa première expérience en pro, il brille au sein d’une attaque menée par Emmanuel Aznar, marquant 14 buts en 33 matchs. Sa technique tout en finesse qui fait lever les foules s’ancrera dans les mémoires phocéennes. Après un titre de champion de France perdu à l’ultime journée à Strasbourg, la guerre éclate, et Larbi retourne jouer au Maroc. En France, il a disputé auparavant quatre matchs brillants avec les Bleus, démontrant fierté et bravoure lors de sa première à Naples où, comme son coéquipier « de couleur » Raoul Diagne, il a été copieusement sifflé. De retour en métropole à la Libération, il entame un bail de trois ans au Stade français (56 buts en 103 matchs) sous la férule d’Helenio Herrera. Un coach qu’il retrouvera ensuite cinq saisons durant à l’Atlético de Madrid, ayant tapé dans l’œil de son président Cesareo Galindezil lors d’un match des Colchoneros face au Stade français.
Benbarek justifie son recrutement à prix d’or (17 millions de francs, un record à l’époque) : en cinq ans, il devient l’une des idoles du Metropolitano, remporte deux fois la Liga (1950 et 1951), plante 63 buts en 126 matchs et gagne de l’autre côté des Pyrénées un nouveau surnom, « le pied de Dieu » ! Il fut sans doute le premier « Français » à réussir à s’imposer dans un grand club étranger. Mais, hélas pour celui contre qui le temps s’était acharné (la guerre), il brilla tardivement, avant que naissent les Coupes d’Europe… et la télévision ! La malchance lui fit perdre contre Nice la finale de Coupe de France 1954 (2-1) avec l’OM où il était revenu. Elle lui fit perdre aussi deux de ses fils bien aimés. Il entraînera sans grand succès des clubs marocains de 1960 à 1972 après une courte mission à la tête de la sélection du Maroc à la demande du roi Mohammed V. Larbi Benbarek est décédé dans la solitude le 16 septembre 1992, oublié du football marocain, mais pas de la FIFA qui lui a décerné, à titre posthume, la médaille de l’ordre du Mérite. Le grand Larbi était un joueur immense. Un homme bon, humble. Un sage. En décembre 2020, le président Emmanuel Macron avait émis le souhait d’identifier 300 à 500 personnalités issues des Outre-mer, des anciennes colonies ou de l’immigration, afin de les honorer à travers des noms de rues et de bâtiments publics. Larbi Benbarek figurait parmi les noms pressentis.
Par Chérif Ghemmour