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Larbi Ben Barek, la perle noire

Par Florian Lefèvre
Larbi Ben Barek, la perle noire

Il y a cent ans naissait Larbi Ben Barek. Dix-sept fois sélectionné en équipe de France, un artiste de son époque. Mais le malheur du Marocain, c'est cette époque coloniale heurtée par la Seconde Guerre mondiale. C'était « la Perle Noire ».

« Quand je suis allé en France, les copains marocains m’ont demandé : « Larbi, qu’est-ce que tu vas faire en France ? » – « Je vais jouer en équipe de France. » – « Comment ?! » – « Je vais jouer en équipe de France. » » À l’heure de narrer le plus grand souvenir de sa carrière, attablé face à un journaliste français, dans un café de Casablanca, en 1987, Larbi Ben Barek est fier de rappeler sa conquête inespérée de l’Hexagone. En 1938, l’Olympique de Marseille a repéré ce jeune dribbleur virevoltant qui régale sous les couleurs de l’Union sportive marocaine. Débarqué de l’autre côté de la Méditerranée, Ben Barek est sélectionné en équipe de France quatre mois plus tard, le 4 décembre, lors d’un déplacement en Italie sous pavillon fasciste.

Le Jongleur, le Sorcier, le Leonidas français

La savoureuse sole meunière au menu du Rome express spécial, le train affrété par la Fédération italienne pour les visiteurs, tranche avec l’accueil hostile du public napolitain, qui conspue les Bleus pendant tout le match. L’Italie l’emporte 1-0 et à l’issue de la rencontre, le sélectionneur transalpin Vittorio Pozzo livre un « compliment » propre au contexte de l’époque à son homologue français : « Votre nouvel inter, Ben Barek, m’a beaucoup plu. Comme tous les Noirs, il est meilleur technicien que tacticien, mais il possède néanmoins de jolies qualités. » Un mois et demi plus tard, l’équipe de France terrasse la Pologne 4-0, Ben Barek, homme du match avec deux passes décisives, fait la Une des journaux. Cette fois, c’est sûr, la France compte dans ses rangs un génie. L’Auto organise un sondage pour lui trouver un surnom : « Le Jongleur » et « Le Sorcier » sont notamment suggérés tout comme « Le Leonidas français » , en référence à la vedette brésilienne. Ce sera finalement « la Perle noire » . Mais en dépit de ses exploits sous le maillot tricolore, Larbi Ben Barek n’est pas considéré comme un Français à part entière. Le paradoxe de sa vie.

Né vraisemblablement en 1917 (la date reste incertaine, faute de déclaration de naissance), Mohamed Larbi Ben Barek a grandi dans le protectorat marocain, différent des départements français d’Algérie. De plus, en tant que musulman, il doit subir le discriminant régime de l’Indigénat de 1881 qui établit un mode d’organisation socio-raciale à la société. C’est dans un quartier populaire de Casablanca que le gamin tape ses premiers ballons de fortune, pieds nus, avec un ami proche nommé Marcel Cerdan – dont la carrière de footballeur tiendra, à en croire Ben Barek, au papa, qui préféra voir son fils se défouler sur un ring de boxe plutôt que balle au pied. De l’Ideal de Casablanca à l’USM, avec laquelle il atteint la finale de la Coupe du Maroc, Ben Barek, c’est une allure qui en impose, des gestes techniques, des feintes et une détente impressionnante. « Grâce au football, je suis devenu quelqu’un » , lâchera-t-il. Mais la Seconde Guerre mondiale vient couper l’élan de sa carrière dans la force de l’âge. Après seulement une saison à l’OM, le joueur doit rentrer au pays en 1939.

« On peut vendre la tour Eiffel et l’arc de triomphe, mais Ben Barek jamais ! »

Il reviendra à nouveau dans l’Hexagone à la fin de la guerre. Sous les couleurs du Stade français, la Perle noire brille de mille feux, au point d’attirer l’attention de l’Atlético de Madrid en 1948, qui à la faveur d’une tournée à Paris et Reims, tombe sous le charme du joyau. Au grand dam de la presse sportive qui s’insurge : « On peut vendre la tour Eiffel et l’arc de triomphe, mais Ben Barek jamais ! » Celui-ci devient le transfert le plus onéreux de l’époque. Chez les Colchoneros, l’attaquant remporte deux fois la Liga. Mais à quel prix ! Son départ dans la capitale espagnole se conjugue avec l’arrêt brutal de la sélection. « Ben Barek n’est pas un sujet de nationalité française, encore qu’il figure dans l’équipe de France. Il ne peut donc être question de le retenir chez nous » , assène alors un dirigeant du football français. La trentaine bien trempée, le Marocain revient finalement boucler la boucle à l’OM. Aux côtés du buteur en série Gunnar Andersson, la bande à Ben Barek se hisse en finale de Coupe de France 1953-1954. Marseille est battu par l’OGC Nice… du Marocain Abderahman Mahjoub.

Le 9 septembre 1954, un tremblement de terre ravage la ville algérienne d’Orléansville et ses environs. Un mois plus tard, le match France-Afrique du Nord est organisé au profit des sinistrés, dans l’ancien Parc des Princes. Mais à bientôt 40 ans, Larbi Ben Barek est trop vieux, jugent les sélectionneurs de l’époque Pierre Pibarot et Paul Wartel, qui ont en ligne de mire un match de prestige face à l’Allemagne de l’Ouest. Alors, la Perle noire jouera, mais en face, sous les couleurs de la sélection maghrébine. Les Bleus de Raymond Kopa bombent le torse, ils vont tomber de haut. Emmenée par son capitaine Ben Barek, l’équipe d’Afrique du Nord s’impose 3-2. Au-delà du score, la domination dans le jeu est nette : les Bleus se sont fait balader. Sous la pression populaire, la Perle noire revient en équipe de France pour affronter les champions du monde allemands, le 16 octobre, à Hanovre.

L’idole de Pelé

C’est le premier match de l’équipe de France retransmis à la télévision française. Et Ben Barek n’a rien perdu de ses dribbles envoûtants. Las, il doit sortir dès la 26e, blessé, sous les applaudissements. C’était son baroud d’honneur, presque seize ans après sa première cape : la plus longue présence d’un joueur en sélection tricolore. Le grand Pelé n’avait pas encore quatorze ans. Pourtant, la légende veut qu’El Rey ait souvent répété ceci : « Si je suis le roi du football, alors Ben Barek en est le dieu. » Le pionnier des artistes du football français s’est éteint chez lui à Casablanca, en 1992.

Larbi Ben Barek raconté par la voix de Thierry Roland :

Dans cet article :
Ludovic Blas : « Si je dois refaire la même carrière, je signe direct »
Dans cet article :

Par Florian Lefèvre

Sources : Les Miscellanées des Bleus, Hugo Sport // WeAreFootball // Miroir du football

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