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L’apôtre Rodrigo De Paul
S’il n’a pas encore réussi à s’imposer à l’Atlético de Madrid, Rodrigo De Paul a en revanche déjà conquis le cœur de ses concitoyens avant la confrontation intercontinentale face à l’Italie championne d’Europe ce mercredi à Wembley. Pièce maîtresse du sacre de l’Albiceleste de Lionel Scaloni à la dernière Copa América, l’infatigable et charismatique milieu tout terrain de 28 ans est devenu le symbole de cette Argentine next-gen qui sourit et gagne enfin. En plus d’être le nouveau gars sûr de Leo.
10 juillet 2021. 22h51. Lionel Messi tombe à genoux sur la pelouse du stade Maracanã et éclate en sanglots. Dans une enceinte vidée par la pandémie de Covid-19, l’Albiceleste vient de remporter la Copa América face au Brésil de Neymar (1-0). Plus que le bout d’une interminable nuit de vingt-huit ans sans titre pour l’Argentine, la sélection – pour ne pas dire une grande partie du pays – célèbre surtout la fin de la scoumoune pour son persévérant numéro 10, enfin sacré après quatre finales perdues sous le maillot bleu ciel et blanc. Tous les joueurs se ruent vers l’idole pour le féliciter. Rodrigo De Paul, auteur d’une finale XXL (passe décisive pour Di María) est le premier coéquipier à l’embrasser. C’est tout sauf un hasard.
« Partout où il y a Messi, il y a De Paul », dit un nouvel adage en Argentine. Les réseaux sociaux s’en donnent à cœur joie depuis des mois. Chaque publication de la sélection semble confirmer la règle. Sur les clichés, La Pulga, toujours pas redescendue de son nuage, est presque à chaque fois accompagnée, maté à la main, par « son gardien, son ombre, comme son amoureux », écrit le journaliste Alejandro Wall dans le quotidien Tiempo Argentino pour évoquer l’évidente complicité entre les deux hommes sur et en dehors des terrains. Il y a un meme qui circule beaucoup qui dit : « Ce que souhaite Messi sera accompli immédiatement par De Paul ». Le milieu de terrain de 28 ans en sourit. Il reconnaît sans problème son crush pour le crack.
Lui-même situe le début de leur relation à mars 2019 lors d’un rassemblement de l’Albiceleste à Madrid. Messi retrouve l’équipe nationale après avoir fini par digérer le but de Benjamin Pavard. De Paul, lui, espère seulement connaître sa quatrième sélection contre le Venezuela au Wanda Metropolitano. Ce dernier ne sera finalement même pas sur la feuille de match. Pas plus mal. Cela lui évite d’être associé à une humiliante déroute 3-1 face à la Vinotinto. L’essentiel est ailleurs. Un soir, celui qui est alors un jeune joueur de l’Udinese de 24 ans ose aller taper à la porte de la chambre de l’idole. « Tu viens jouer aux cartes et prendre le maté Leo ? », demande-t-il sans pression. « Vas-y », répond simplement le numéro 10, pas habitué à être traité comme un terrien par les plus jeunes. « Dès le premier entraînement, on a beaucoup parlé et ça a matché avec Leo, se remémore De Paul. Juste en se regardant, on sait ce que pense l’autre. Je sais qu’il comprend ce que je veux sans me parler. » Le multiple Ballon d’or attendra la dernière Copa América pour avouer à son tour son coup de foudre pour Rodri : « On essaie de se chercher en permanence. Il reste proche de moi, comprend ma façon de jouer sur le terrain, les zones où je me déplace. On a appris à se connaître. Je me sens vraiment très bien en jouant avec lui. » Un coéquipier qui maîtrise le « très difficile » – selon Paulo Dybala – langage messien peut-il être une des raisons du nouveau bonheur albiceleste ? Loin de le limiter à cette bromance, l’Argentine et les spécialistes décrivent surtout ce milieu tout terrain comme « le moteur », « l’âme », « le chef de cabinet » de cette sélection qui sourit enfin. Celui qui permettrait d’étirer le règne du souverain rosarino et pourquoi pas de rêver à la plus grande des victoires au buzzer.
Des Poules a des dents
Quelques mois avant que Diego Maradona ne se fasse « couper les jambes » après un contrôle antidopage positif à la World Cup, Rodrigo Javier De Paul, cadet de trois frères, voit le jour à Sarandí le 24 mai 1994. Les futboleros argentins vous diront qu’ils connaissent surtout cette commune de 60 000 habitants au sud de Buenos Aires pour Arsenal, le club de Julio Grondona, ancien et défunt grand manitou de l’AFA, vice-président de la FIFA qui gérait ses sulfureuses affaires dans un bureau caché au fond d’une station-service du coin. C’est à quelques centaines de mètres de là que Rodrigo tape ses premiers ballons au Deportivo Belgrano, le petit club de quartier où sa mère Mónica est trésorière. Pour assurer l’éducation du petit après le divorce d’avec Roberto, elle peut compter sur Osvaldo, le grand-père paternel, qui transmet sa passion du foot au plus jeune des De Paul. Plus tard, Rodrigo se tatouera le prénom de son abuelo sur le dos témoignant l’importance de cet homme dans sa construction.
À huit ans, c’est Osvaldo qui l’accompagne lui et un pote pour se tester à Racing, l’un des deux grands clubs de la zone avec Independiente. Les qualités du gosse de Sarandí n’échappent pas à Ramón Medina, le responsable des catégories jeunes de la Academia : « Il demandait le ballon au gardien, voulait jouer avec celui qui menait la balle, cherchait à marquer, voulait faire les touches, tirer les corners. Il était le centre de tout. Tout passait par lui. Gamin, je lui disais que c’était un joueur pour la sélection. Il était le capitaine de nos équipes. C’était un garçon actif, souriant, entraînant, charismatique, solaire. Il se faisait aimer par tout le monde : les joueurs, les préparateurs ou le mec qui nettoyait le vestiaire. C’était un phénomène. Il a toujours été comme ça ».
Au centre Tita Mattiussi qui a vu grandir les Diego Milito, Lisandro López et plus tard Lautaro Martínez, la personnalité et les aptitudes de ce numéro 10 tout maigre que tous appellent « Des Poules » ne passent pas inaperçues. En 2006, l’entraîneur de Racing, un rookie sur le banc nommé Diego Simeone, invite Rodrigo, 12 ans, à assister aux entraînements de l’équipe première. Sept années plus tard, c’est Luis Zubeldía qui le lance finalement dans le grand bain de la première division argentine. « Je l’avais vu à un match de la réserve contre Vélez. Avant de tirer un coup franc, je le vois faire un geste avec la main pour dire à ses coéquipiers :« Ne vous inquiétez pas, je gère le temps ». À cet âge-là en Argentine, tout le monde joue avec beaucoup d’adrénaline, d’intensité, comme s’ils disputaient la Coupe du monde à chaque match. Ce geste avec la main, je l’ai vu comme le geste d’un mec avec beaucoup de sagesse pour son âge, capable de gérer les temps chauds. C’est peut-être un détail mais ça m’a aidé à prendre ma décision ». Le coach croit dans les capacités de ce jeune milieu de terrain droitier de 19 ans, fan de Riquelme, pour évoluer en milieu gauche de son 4-2-3-1 très offensif. « Il a été au-dessus de mes espérances. Je pensais qu’il lui manquait du physique mais il a résisté. Il était intense, tirait de longues diagonales, allait vers l’avant. Ce qu’il a montré au début de sa carrière, c’est ce que je vois maintenant avec quatre ou cinq kilos de muscles en plus. »
De Valence à l’Irak
Contre un chèque de cinq millions d’euros, Rodrigo De Paul s’envole en 2014 pour Valence qui rêve de voir un Argentin prendre la relève de Pablo Aimar dans le cœur des supporters de Mestalla. Après une première saison convaincante marquée par une qualification en Ligue des champions, la deuxième est plus compliquée. À tel point que le milieu de terrain, devenu entre-temps parrain du second enfant d’Otamendi, supplie le club espagnol de le renvoyer à Racing qu’il croit capable de remporter la Copa Libertadores. « Ça ne s’est pas passé comme il espérait mais c’est tout Rodrigo ça. Il aime tellement Racing qu’il serait encore capable de revenir d’Europe aujourd’hui si on l’autorise à jouer un match continental », pense Ramón Medina, son formateur qui voit encore son protégé venir le saluer chaque année.
En 2016, l’Udinese décide de donner une deuxième chance européenne à De Paul. L’entraîneur Luca Gotti replace l’Argentin en milieu à tout faire. Il explose et devient même capitaine des Bianconeri de l’est de l’Italie qui luttent pour se maintenir. Observateur attentif de la Serie A pour avoir évolué à l’Atalanta et la Lazio, Lionel Scaloni, arrivé à la tête de la sélection argentine – d’abord comme intérimaire – après le désastre russe, suit avec attention les performances du garçon de Sarandí. À ses adjoints, Pablo Aimar et Walter Samuel, il confie déjà « voir un truc chez De Paul. Pas pour toute suite mais pour le futur. Je sens qu’il peut nous apporter quelque chose ». Rodri est pour la première fois appelé par la patrie en octobre 2018 dès le deuxième rassemblement du cycle Scaloni pour un improbable match contre l’Irak en Arabie Saoudite (4-0). « Il n’a joué qu’une mi-temps mais on a vu des choses intéressantes, se remémorait le sélectionneur sur Tyc Sports en mars dernier. La première chose qu’on a remarqué c’est sa façon d’être. À peine arrivé, c’est comme s’il avait toujours été là. »
« Une fusion entre Simeone et Verón »
À la Copa América 2019 au Brésil, compétition fondatrice pour ce groupe albiceleste qui termine troisième, Rodrigo De Paul, entré à la place de Di María en phase de poules, s’impose définitivement dans le onze. Ses passes de quarterback et son énergie, sur et en dehors des terrains, entraîne ses coéquipiers dont Messi, orphelins d’un boss du milieu depuis la retraite de Javier Mascherano. Le sacre continental deux ans plus tard l’installe comme l’un des patrons de la next-gen argentine aux côtés du gardien de but Emiliano Martínez et l’attaquant Lautaro Martínez. Sur le plateau de la chaîne ESPN ce mardi, l’ancien joueur et consultant Diego Latorre se demandait même si Rodrigo De Paul n’était pas devenu le joueur le plus indispensable de cette sélection. « Il est le système nerveux. Un footballeur qui synthétise tout ce que Scaloni veut de l’équipe au niveau de l’agressivité et cette volonté frénétique de récupérer le ballon ».
S’il doit encore trouver sa place à l’Atlético de Madrid de Simeone rejoint l’été dernier pour 35 millions d’euros (18 titularisations en 48 matches toutes compétitions confondues), son premier entraîneur, Luis Zubeldía, aujourd’hui coach de Liga de Quito, ne doute pas de son avenir. « La seule chose qu’il pourrait améliorer, c’est davantage tirer au but. Mais c’est un garçon déjà hyper complet. Il peut jouer à l’intérieur, sur un côté, à deux devant la défense. Il a toujours été un cerveau et la roue de secours avec ou sans ballon du joueur le plus défensif et le plus créatif de l’équipe. C’est le complément parfait de Paredes et Messi. Il est l’allié naturel d’un leader. C’est une fusion entre Verón et Simeone. Le premier parce qu’il était tout terrain, technique comme lui. Le second parce qu’il provoquait les rivaux et leur sautait dessus comme Rodrigo ».
Des qualités et un caractère qui en ont fait l’un des chouchous du public argentin. Un joueur un peu adolescent dans son attitude capable de dire à Cristiano Ronaldo « d’arrêter de pleurer » en huitième de finale de Ligue des champions ou qui doit être arrêté par Messi avant de lancer un chant d’insultes contre les Brésiliens au Maracanã. De Paul, c’est le pote que tous regardent en se marrant à la moindre connerie qu’il déclenche mais avec qui tout le monde veut être en Argentine. Un garçon attaché à ses racines qui invite les gamins de son premier club voir l’Albiceleste à l’Estadio Monumental ou retourne régulièrement dans son quartier pour s’envoyer des kilos de viande avec ses potes et sa famille. Un footballeur hyper actif sur les réseaux devenu une star poursuivie par les paparazzi depuis la révélation de sa relation avec la chanteuse pop Tini Stoessel (17,8 millions d’abonnés sur Instagram). Tatouages, coupe dégradée et boucle d’oreille, son style attire désormais les revues et les magazines de mode. Certains craignent de le voir s’égarer à cause de cette nouvelle popularité au pays. De Paul lui préfère montrer ce maillot de l’Argentine qu’il a désormais dans la peau, à son avant-bras gauche. « Je pense au Mondial tous les jours. Ce sera le dernier de Leo. On va tout faire pour le rendre heureux et transmettre ce bonheur à tous les foyers du pays. »
Par Georges Quirino-Chaves à Buenos Aires
Tous propos recueillis par GQC sauf mention et De Paul tiré d’entretiens à Tyc Sports et Planeta Urbano.