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Lanzini, un sourire dans le triste football argentin
Après avoir refusé Boca à l’âge de 9 ans et les millions de dollars des Émirats arabes unis cet été pour le club de son cœur, Manuel Lanzini, le prometteur numéro 10 de River, tâchera d’offrir le Superclásico du week-end à des fans qui n’en peuvent plus du sale état dans lequel se trouve leur football.
Et voilà le Superclásico. Ce match qui, soi-disant, suscite l’intérêt du monde entier. Pour le spectacle en tribunes, bien sûr, parce que sur le pré, on risque encore de s’emmerder. Sauf que cette fois-ci, même dans les gradins, la fête risque de perdre en intérêt. Ce dimanche, au Monumental, il n’y aura pas un seul supporter de Boca Juniors. La faute à une partie de tirs à balles réelles au mois de juillet dernier entre les deux factions qui luttent pour le contrôle de la Doce, la très rentable et mafieuse barrabrava du club xeneize. Un énième affrontement qui avait convaincu l’AFA d’interdire jusqu’à nouvel ordre la présence de supporters adverses dans tous les stades argentins. Mais ce n’est pas tout. La barrabrava de River Plate, Los Borrachos del Tablón, a elle aussi fait l’actualité d’avant-match. Alors que des milliers de fans ont fait des heures de queue pour arracher un ticket à 800 pesos (plus de 100 euros), les barras se sont vu discrètement offrir par la direction du club (coucou Passarella) environ 7000 entrées qu’ils revendront hors de prix à des touristes étrangers ou à des fans prêts à tout pour assister au « match de l’année » . Un trafic habituel, connu de tous, et enfin abordé par les médias locaux.
« Les petits ponts, oublie, on n’en voit plus »
Niveau jeu, ce n’est guère mieux. Avant de reprendre du service l’hiver dernier, Bianchi parlait lui-même de « football pauvre » pour qualifier le championnat local. Son Boca est aujourd’hui très, très loin de celui qui tapait le Real et le Milan AC en Coupe intercontinentale au début des années 2000. Tactiquement à la rue, techniquement préoccupant, le foot argentin est devenu une sorte de boucherie publique, où les fans viennent voir les ballons voler et les joueurs se découper entre eux. « Désormais, dans les stades argentins, quand une équipe réussit deux passes de suite, elle se fait applaudir. C’est un truc de dingue. Et tout ce qui est petits ponts, gestes techniques, actions individuelles de grande classe, qui caractérisaient un peu notre football, oublie, on n’en voit plus » , nous expliquait avec nostalgie Juan Barbas, ancien ailier du Racing, de Saragosse et de la sélection.
Malgré tout, ce Superclásico sera intéressant à suivre. Pourquoi ? Parce qu’il opposera les deux meneurs de jeu qui valent le coup d’œil dans ce championnat. D’un côté, Roman Riquelme, capitaine et supporter de Boca. De l’autre, Manuel Lanzini, grand espoir et supporter de River. Deux joueurs qui n’ont pas grand-chose en commun (Lanzini sourit tout le temps), à part celui de chanter à la moindre occasion leur amour de toute une vie pour le club dont ils portent le très convoité numéro 10. Si l’on sait tout, ou presque, sur le génie balle au pied de Riquelme, Lanzini est encore un inconnu en Europe. Probablement plus pour longtemps, ceci dit. À 20 ans, le gamin d’Ituzaingo est la plus belle promesse du club à la bande rouge, et l’un des rares joueurs à exciter le Monumental.
« J’ai dit à mon père que je n’irai pas à Boca »
La belle histoire de Lanzini commence en fait sur un refus. Alors que Manu n’a que 9 ans et qu’il dribble un à un tous ses petits compagnons de la banlieue ouest de Buenos Aires, Ramon Maddoni, le détecteur de jeune talent de Boca Juniors (Redondo, Riquelme, Tévez, Cambiasso, Gago,…) lui propose de rejoindre les divisions inférieures du club qui rayonne alors sur le continent, avec bien sûr Riquelme, encore lui, à la baguette. Mais le petit Manu a d’autres idoles. Beto Alonso et Ariel Ortega, deux des numéros 10 les plus appréciés chez le club rival. « J’ai dit à mon père que je n’irai pas à Boca, parce que je voulais jouer à River » , rabâche-t-il fièrement. Quelques mois plus tard, il intègre le club de son cœur, où il passe avec classe de catégorie en catégorie, jusqu’à l’équipe première, avec laquelle il débute en 2010, à seulement 17 ans.
La suite n’est pas aussi fluide. Frêle physiquement, Lanzini souffre dans ce football de bourrins. À l’été 2011, River est relégué, « Chori » Dominguez rapatrié et Manu prêté à Fluminense, où il est parfois excellent, souvent transparent. Après un an à Rio, le bonhomme revient à la maison, où on lui file le numéro 10 et les clés du jeu. Le vrai décollage se produit à l’arrivée sur le banc de l’ancien Monégasque Ramón Díaz, qui lui « donne une énorme confiance et ordonne de demander systématiquement le ballon » . Lanzini assume alors pleinement son rôle de leader technique. Il débloque les matchs, cale des petits ponts, marque des buts superbes et remporte même ses duels. Enfin un peu de spectacle, nom de Dieu. Séduit, le Baniyas (Émirats arabes unis) se présente cet été avec son carnet de chèques : 6,5 millions de pétrodollars sont proposés au club de Nuñez, 4 millions au jeune homme. Ambitieux, le joueur refuse, comme il avait refusé Boca dix ans plus tôt. Son avenir, c’est River d’abord, l’Europe ensuite.
Sourire communicatif
Ce Superclásico à domicile est donc un événement tout particulier pour Manuel Lanzini. Lors du précédent affrontement à la Bombonera, il s’était distingué en inscrivant le but le plus rapide de l’histoire du duel entre les deux géants d’Argentine. « Ces matchs laissent des traces » , assurait-il au journal Clarin cette semaine. Laisser la sienne à River et entrer au rang des grands 10 de la maison millonaria est son objectif depuis tout petit, quand il regardait Ortega enfiler les titres de champion et soulever la Copa Libertadores avec ce maillot qu’il porte aujourd’hui. Héros du dernier match de Sudamericana (l’Europa league d’Amérique du Sud), qui a permis à River Plate de se qualifier pour les quarts de finale de la compétition, Lanzini sera à nouveau le joueur dont tout le Monumental attendra un exploit pour se défaire du Boca de Riquelme et Gago et relancer l’équipe dans la course au titre. Une pression dont il a appris à tirer profit. Ses fulgurances et son sourire communicatif ne suffiront pas à sauver le foot argentin, et encore moins à régler les problèmes des tribunes, mais ils pourraient redonner un peu de joie à des supporters désabusés par la lente et profonde crise de leur football.
Par Léo Ruiz, à Buenos Aires