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L’Angleterre et ses dessous-de-table

Par Maxime Brigand
L’Angleterre et ses dessous-de-table

Tout le monde s’y attendait, mais personne n’avait vraiment imaginé l’ampleur de la grenade dégoupillée par le Daily Telegraph. L'affaire porte désormais le nom de Football for sale. Il y a eu la sélection nationale, via la tête d’Allardyce, voilà maintenant la Championship, avant le cas de la Premier League. Plongée dans un autre monde.

Le Daily Telegraph avait prévenu. Les révélations qui ont conduit mardi soir à la démission de Sam Allardyce de son poste de sélectionneur national, soixante-sept jours à peine après sa nomination, n’étaient qu’un début, et l’affaire a désormais un nom : Football for sale – en VF, le football à vendre. Il fallait s’attendre à une bombe et voilà ce qui ressemble de plus en plus à une volonté de faire la lumière sur des pratiques qui datent de plusieurs années et auxquelles la FA entend désormais s’attaquer de face. Dans la matinée de mercredi, alors que l’Europe du foot avait la tête tournée vers la C1, le quotidien britannique avait annoncé avoir des billes sur huit autres entraîneurs jouant avec la cession des droits économiques d’un joueur à un fonds privé en échange d’un futur partage sur le montant du transfert, une pratique qui est strictement interdite en Angleterre depuis 2008. Le Daily Telegraph avait également prévenu que deux coachs de Championship faisaient partie des dirigeants ayant joués avec les règles de la FA, ce à quoi s’ajoutent des vidéos montrant trois agents de joueur, dont l’Italien Pino Pagliara qui explique clairement avoir ouvert des comptes dans une banque suisse pour des managers et avoir travaillé avec des intermédiaires pour couvrir des paiements illégaux. Il ne restait alors qu’à ouvrir la boîte de pop-corn, les pieds sur le canapé et à déguster le bordel. Et comme toute bonne série, chaque épisode coupe le souffle.

Une nouvelle déflagration a eu lieu dans la soirée de mercredi, se prolongeant dans l’édition papier de jeudi du Telegraph. Interrogé par la BBC, Alan Shearer avait reconnu que « l’Angleterre a un problème avec l’argent. C’est de la corruption. C’est tout simplement parce qu’il y a trop d’argent dans notre football.(…)C’est la situation dans laquelle on est aujourd’hui, on doit régler ça maintenant et nettoyer le tout pour repartir dans la bonne direction, on doit aussi accepter que les gens rigolent de nous. Là, c’est sûr, on y est : nous sommes la risée du football mondial… » Et les premiers noms continuent de défiler. Cette fois, le Daily Telegraph a affiché les visages de Tommy Wright, l’assistant de Paul Heckingbottom à Barnsley (Championship), suspendu par le club après les révélations dans la soirée de mercredi ; celui de l’ancien international hollandais Jimmy Floyd Hasselbaink, à la tête de QPR depuis décembre 2015 ; mais aussi celui de Massimo Cellino, le sulfureux propriétaire italien de Leeds United. Trois affaires pour un seul tableau : celui d’un football anglais gangrené de l’intérieur, pourri, et qui mange aujourd’hui en pleine face les tentacules d’un monstre qu’il s’est battu à créer.

« En football, tout se fait sous la table »

Pour comprendre le problème, il faut taper au cœur. Dans le cas de cette affaire, l’une des langues déliées s’appelle Pino Pagliara. Un mec qui aime dire « qu’en football, tout se fait sous la table. » Un homme, aussi, qui n’est rien d’autre qu’un agent italien qui officie sans licence après avoir été suspendu de toute activité liée au football pendant cinq ans suite à une affaire de matchs truqués datant de 2005. C’est en partie lui qui a révélé les coulisses de son job au Daily Telegraph. Au cours de leur enquête, les journalistes britanniques ont notamment interrogé de nombreux agents dont Pagliara qui va avoir un rôle central dans l’affaire.

Prenons le premier cas, celui de Tommy Wright, l’adjoint de Paul Heckingbottom. Il faut remonter le temps à une réunion organisée il y a quelques semaines à l’Oakwell Stadium, l’historique complexe où joue le Barnsley FC, entre Wright, Heckingbottom et le propriétaire des Tykes, Patrick Cryne. Les trois hommes se sont alors mis d’accord pour recevoir les représentants d’un groupe d’investisseurs asiatiques. Autour de la table, on trouve une femme qui vient représenter la société intéressée, Dax Price, le partenaire financier de Pagliara, Francesco Marroccu, qui se présente comme un consultant de la société, et un mystérieux Joseph, qui serait le traducteur de Marroccu. Tout a été mis en place lors de trois rendez-vous précédents organisés avec Tommy Wright, décrit par Dax Price comme « son homme de confiance » .

La mission de Wright est simple : convaincre Barnsley de faire signer des joueurs co-détenus par la société. Son prix ? 5000 livres. Voilà comment on est arrivés à ce rendez-vous du 23 août à l’Oakwell Stadium. Joseph est en réalité le masque de Pino Pagliara. Ce que personne ne sait alors, c’est que les investisseurs asiatiques sont en réalité des journalistes déguisés du Telegraph qui filment chaque rendez-vous. L’objectif est de fouiller les pratiques, trouver comment le football anglais s’amuse avec la tierce propriété et, malgré les peurs premières de Wright, l’histoire a avancé dans ce sens après le règlement de 5000 livres en billets de 20£ à l’adjoint de Barnsley pour ses services. Ce qui est assez drôle, c’est que pendant le rendez-vous à l’Oakwell Stadium, Tommy Wright a fait référence à « Pino » , ce qui a menacé de faire basculer l’affaire. Les journalistes du Telegraph n’ont plus eu aucune nouvelle de la part des dirigeants de Barnsley après ce rendez-vous, mais peu importe, une première tête vient d’être touchée, malgré le fait qu’un porte-parole de Wright a affirmé « que tout acte contraire à la loi ou à celles de FIFA et de la FA était catégoriquement rejeté » .

Singapour, Jimmy Floyd et le whisky

C’est donc le premier cas. Celui de Jimmy Floyd Hasselbaink est similaire, et le déroulé sera finalement un copié-collé. Cette fois, l’idée a été de proposer à l’entraîneur de QPR de devenir l’ambassadeur d’un groupe qui proposait de vendre des joueurs à son club. Une affaire que l’ancien buteur de Chelsea a négocié autour de 55 000 livres, tout en acceptant des voyages à Singapour pour parler aux dirigeants de ce groupe d’investisseurs asiatiques, toujours. Sa seule consigne ? « Bon, faites-moi plaisir… 35 000£, non. 40 000 ? Un peu plus. » Sacré Jimmy. Avec Hasselbaink, il y aura eu deux rendez-vous lors desquels, à aucun moment, le néo-entraîneur n’a pensé se mettre de barrières face aux règles du système, ni même à un éventuel conflit d’intérêts qui aurait été de faire dépenser l’argent de son club pour une compagnie qui le rémunère ensuite. Au cours de ces entrevues, on verra l’ancien joueur de Manchester United, Scott McGarvey, devenu agent et qui aurait balancé face aux infiltrés quatre noms d’entraîneurs prêts à prendre des commissions. Hasselbaink avait également négocié pour que l’argent soit envoyé sur son compte au Pays-Bas, histoire de. Dans la soirée de mercredi, le coach de QPR a nié d’éventuelles irrégularités, alors que le club a annoncé l’ouverture d’une enquête interne.

Et Cellino ? Bon, plus grand-chose ne peut nous suprendre avec lui, mais le propriétaire de Leeds United a proposé face caméra aux investisseurs fictifs de devenir co-propriétaires des Peacocks en échange de quelques commissions. Pour rappel, les règles de la FIFA interdisent strictement la tierce propriété ou la réception de commissions pour une entreprise après un transfert de joueur. L’Angleterre a banni cette pratique en 2008 après l’avoir comparé à de « l’esclavage » . Pino Pagliara s’est retrouvé dans cette histoire où 20% des parts de Leeds United ont été évoquées contre 20% de commissions sur de futures ventes. The manager eater, qui a consommé 43 entraîneurs en 24 années partagées entre Cagliari et Leeds, a donc décidé de taper toujours plus haut, toujours plus fort, une bouteille de whisky à la main et déclarant tranquillement face caméra : « Ne m’emmerdez pas. Je suis italien, pas anglais! » Oui, en deux heures de rendez-vous, Cellino a également utilisé 50 fois le mot fuck et a parlé d’une offre « merveilleuse » . Plutôt tranquille. Après Allardyce, les projecteurs se sont donc tournés vers la Championship avant de toucher bientôt la Premier League. Une enquête indépendante a été ouverte pour tuer la corruption dans le foot anglais, ce qu’avait demandé publiquement Gary Lineker dans la matinée de mercredi.

Dans un entretien donné au Daily Telegraph, le boss de la FA, Greg Clarke, a assumé « ne pas encore avoir tous les pouvoirs judiciaires pour lutter contre ces dérives. On doit faire le ménage. » De son côté, la League Managers Assocation (LMA) s’est dite « extrêmement concernée » par cette affaire, alors que tous les enregistrements ont été fournis aux autorités. Un communiqué commun publié par la Premier League, la FA et la Football League a détaillé mercredi une position commune : « Le football anglais prend très au sérieux la gestion d’un sport où l’intégrité est un paramètre important. Chaque accusation fera l’objet d’une enquête avec tous les outils judiciaires dont nous disposons, qui sont larges et développés. »

Tout ça ne fait que commencer et les têtes risquent d’être nombreuses à tomber. « Je pensais que les Italiens étaient corrompus. Mais ici, c’est pire… Un manager très connu. On fait un transfert de joueur, il cligne de l’œil et me dit qu’il le veut. Il ajoute : « Y a-t-il un peu de café pour moi Pino ? » » , explique même dans l’une des retranscriptions Pino Pagliara, le café étant un code pour bakchich. Selon lui, un voire deux managers de Premier League prendraient d’ailleurs toujours de l’argent alors qu’il explique avoir ouvert des comptes en Suisse pour certains d’entre eux. L’un aurait d’ailleurs été viré par son club après avoir été pris les doigts « dans le pot de confiture » . Interrogé par le Telegraph après le début des publications, Pagliara a expliqué avoir raconté des conneries. Au-delà de la méthode, c’est aujourd’hui un débat public qui s’ouvre en Angleterre pour un sport qui y était hier roi et qui a définitivement perdu l’essence qui faisait de lui un totem à part de sa société. George Orwell avait peut-être raison quand il parlait du sport comme d’une « guerre, les fusils en moins » .

Dans cet article :
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