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L’Angleterre devait y passer

Thomas Pitrel, au Spartak Stadium
L’Angleterre devait y passer

Alors qu’elle avait le match en main, l’Angleterre s’est fait égaliser dans les arrêts de jeu (1-1), avant de gagner aux tirs au but contre la Colombie, ce soir en huitièmes de finale de Coupe du monde. Elle a enfin vaincu la malédiction qui la poursuivait depuis 1996 et affrontera la Suède en quarts de finale.

Colombie (3) 1-1 (4) Angleterre

Buts : Mina (94e) pour la Colombie // Kane (57e, sp) pour l’Angleterre

Qui a dit que le football n’était pas influencé par le climat ? En 2014, au Brésil, les clubs latino-américains avaient placé sept des leurs en huitièmes de finale contre seulement cinq européens, avant de faire jeu égal jusqu’en finale. Cette fois-ci, ils n’étaient que cinq en huitièmes. Et pour éviter d’être à deux contre six en quarts, même quota qu’en 2006, lors de la dernière Coupe du monde en Europe, il fallait que la Colombie mette à bas l’Angleterre aujourd’hui. Elle y aura cru pendant une demi-heure, entre une égalisation de dernière minute et des tirs au but lors desquels les Three Lions ont enfin vaincu leur vieux signe indien. Elle y aura cru, surtout, parce que ce match ne s’est pas joué en Europe. Il s’est joué en Amérique latine.

Dans les tribunes du Spartak Stadium, qui vivait aujourd’hui son dernier match du Mondial, l’avantage est en effet toujours allé aux Sud-Américains. Comme les Argentins et les Brésiliens avant eux, les Colombiens y ont submergé ce soir leur adversaire européen. Sur l’égalisation de Mina au bout des arrêts de jeu, ils ont dû presque battre le record de décibels d’Espagne-Russie qui, pourtant, se jouait dans un stade deux fois plus grand et à domicile. Les Anglais, à part une poignée réunie derrière un but, avaient apparemment oublié leurs cordes vocales. Mais si la Liga Aguila a sans doute des leçons d’ambiance à donner à la Premier League, le championnat anglais est a priori supérieur dans le jeu. Et sur la pelouse moscovite, le début de match est donc à l’avantage des Anglais, qui ont mieux absorbé le retour de Dele Alli que les Colombiens n’ont digéré la blessure de James Rodríguez.

Une pluie de cartons jaunes

Ces derniers sont désorganisés dans les phases offensives, et leurs rares occasions sont des frappes de loin, un missile dans les tribunes signé Mujica (23e) et un tir complètement dévissé par Quintero (33e). Mais cela ne veut pas dire que l’Angleterre se montre très dangereuse. Les approches se font surtout par les airs, comme sur ce centre de Trippier au deuxième poteau repris de la tête par Kane dans une position improbable. La Colombie défend bien, mais défend rugueux. Yerry Mina semble notamment beaucoup apprécier Raheem Sterling, auquel il sert de sac à dos à plusieurs reprises. Ce style défensif a le mérite de tenir les Anglais éloignés dans le jeu, mais aussi le désavantage de leur offrir de bonnes occasions sur coup franc. Les deux que Young tire très fort sur Ospina (6e) et dépose sur la tête de Maguire (27e), et celui que Trippier enroule au-dessus du mur colombien et qui loupe de peu le cadre (41e).

À la mi-temps, on apprend qu’un membre du staff colombien a profité du retour au vestiaire pour balancer un coup d’épaule à Sterling dans le tunnel. À la reprise, le match devient donc encore plus électrique et il n’y a alors rien d’étonnant à le voir se débloquer sur un accrochage entre Carlos Sánchez et Harry Kane sur corner. L’arbitre signale le point de penalty, les Colombiens pètent un câble et, trois minutes après la faute, Kane arrive enfin à transformer l’essai en plein milieu du but d’Ospina. Son sixième but en trois matchs de Coupe du monde, donc. Pas de quoi calmer le bordel ambiant pour autant. Dès le coup d’envoi colombien, Falcao et Stones se crêpent le chignon. Puis l’arbitre américain Mark Geiger, qui a eu un peu de mal à se faire respecter jusque-là, distribue les cartons comme des petits pains. Après Barrios, Arias, Carlos Sánchez et Henderson, ce sont Falcao, Bacca (à peine entré) et Lingard qui sont sanctionnés dans l’une des plus grandes boucheries de ce Mondial.

Puisque ce monde est fou…

Et puis, comme frappés par la grâce à environ quinze minutes de la fin, les Colombiens réalisent qu’ils n’ont pas encore joué une minute au football depuis le début de cette rencontre. Et qu’ils feraient bien de s’y mettre puisqu’ils sont menés 1-0 dans un match à élimination directe. Pas con. Puisque cette Coupe du monde est folle, on peut clairement tout imaginer. Par exemple, une frappe d’Uribe qui se dirige vers la lucarne au bout des arrêts de jeu, seulement déviée du bout des doigts par Pickford. Ou encore un Yerry Mina qui s’élève plus haut que tout le monde au milieu de trois défenseurs anglais, claque une tête piquée qui rebondit au-dessus de Trippier, et envoie ainsi tout le monde en prolongation. Hier, Cuadrado, passeur sur ce corner décisif, avait répété à l’entraînement une petite célébration avec Mina, aujourd’hui ils l’ont effectuée à la 94e minute, alors que le défenseur marquait son troisième but de la tête du tournoi. Pourquoi pas, après tout ? Puisque ce monde est fou.

Comment se remettre de ça, quand on est une Angleterre traumatisée par des années d’échecs en matchs à élimination directe ? Comment se remettre de ça tout court, d’ailleurs ? Le match se poursuit dans un brasier de chants et de frissons. Le capitaine Kane passe son temps à parler à ses coéquipiers, le poing serré. Alors que la tendance s’était inversée, les Anglais tentent de ressortir la tête de l’eau dans les dix dernières minutes. Danny Rose, remplaçant d’Ashley Young, croise trop sa frappe. Eric Dier, remplaçant de Dele Alli, met sa tête au-dessus. Ils poussent, essaient de fuir leur destin, mais, au fond, ils savent qu’il est plus rapide qu’eux : il va falloir passer par les tirs au but tant redoutés. Kane s’avance en premier et marque, pour montrer la voie à ses coéquipiers. Le plus dur est passé ? Non, puisque Ospina arrête le troisième tir, celui d’Henderson. Mais dans la foulée, Uribe envoie une praline sur la barre, et Pickford sort le tir de Bacca. Dier a le destin d’un pays au bout de la godasse. Il tire, Ospina part du bon côté, mais le ballon fait enfin trembler les filets, et toute l’Angleterre avec. En quarts, les Anglais affronteront la Suède avec un poids en moins sur les épaules.


Colombie (4-5-1) : Ospina – Arias, Mina, D. Sánchez, Mojica – Barrios, C. Sánchez (Uribe, 79e), Lerma (Bacca, 61e), Cuadrado, Quintero (Muriel, 88e) – Falcao. Sélectionneur : Jose Pékerman.

Angleterre (3-5-2) : Pickford – Maguire, Stones, Walker (Rashford, 112e) – Young (Rose, 102e), Henderson, Trippier, Alli (Dier, 80e), Lingard – Kane, Sterling (Vardy, 88e). Sélectionneur : Gareth Southgate.

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