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L’Angleterre à droite toute
Le sujet a fait débat pendant des semaines au Royaume-Uni et a été conclu par un non-choix : Gareth Southgate avait décidé, avant la blessure de Trent Alexander-Arnold, d'emmener ses quatre arrières droits sur les routes de l’Euro 2020. Et encore, il aurait pu en prendre plus. Ou comment l’Angleterre est devenue la spécialiste d’un poste souvent ingrat où les références manquaient, et dont cette génération déborde.
Quand on voit comment Didier Deschamps, qui a par ailleurs un effectif d’une qualité assez unique au monde, peine à trouver de quoi faire une concurrence correcte à Benjamin Pavard et Léo Dubois en équipe de France, on se dit que le voisin anglais pourrait nous dépanner d’un ou deux joueurs de son vivier. Il faut dire que le réservoir d’arrières droits anglais est si impressionnant qu’il pourrait constituer une équipe entière plus que correcte seulement avec des latéraux : en plus de Trippier (Atlético), Walker (Manchester City) et James (Chelsea), qui iront à l’Euro avec les Three Lions, d’Alexander-Arnold (Liverpool), blessé lors du match de préparation face à l’Autriche, mais initialement dans la liste, des joueurs comme Wan-Bissaka (Manchester United), Aarons (Norwich), Walker-Peters (Southampton), Lamptey (Brighton), Justin (Leicester), ou d’autres un peu plus âgés comme Tavernier (Celtic) ou Ayling (Leeds) pourraient prétendre sans rougir à une place en sélection, si la concurrence n’était pas si rude.
Il y a tellement de qualité à ce poste, à vrai dire, qu’il a longtemps été question que Southgate laisse Trent Alexander-Arnold à la maison, alors qu’il est devenu une référence absolue au poste. Finalement, il a choisi de ne pas choisir : « Si j’avais pu prendre un cinquième ou un sixième latéral droit, je l’aurais fait, a même osé le sélectionneur des Three en conférence de presse, justifiant son choix par la polyvalence des joueurs qu’il a sélectionnés. Oui, on a quatre joueurs qui peuvent jouer arrière droit dans leur club. Mais Kieran a aussi joué piston droit, Reece a joué central droit dans une défense à trois ou piston droit, Kyle Walker peut jouer défenseur axial et a même déjà joué à gauche pour nous. S’ils sont dans l’équipe, c’est qu’ils font partie de nos 26 meilleurs footballeurs. » D’ailleurs, ce mercredi face à l’Autriche, c’est un latéral droit (Trippier) qui a évolué à gauche de la défense anglaise.
« Quel gamin rêve de devenir latéral ? »
À l’annonce de la liste, Gary Neville n’a pas pu s’empêcher de glousser sur Twitter. L’expert le plus en vue du Royaume a forcément eu une pensée émue pour ce jour de septembre 2013 quand, sur le plateau de Sky Sports, son meilleur ennemi balançait une vérité destructrice : « Quand tu finis latéral, c’est soit que tu es un ailier raté, soit un défenseur central raté. Aucun gamin ne rêve d’être latéral ! Personne ne veut être Gary Neville quand il sera grand. » Dans un entretien à FourFourTwo, en 2011, Glen Johnson faisait le même constat : « Quel gamin veut jouer latéral ? Pas moi, en tout cas. J’étais attaquant quand j’étais petit et j’aimais la gloire qui va avec le fait de marquer des buts. J’ai joué devant jusqu’à mes 15 ans. Mais j’adore mon rôle actuel d’arrière droit. Le défenseur latéral moderne est un joueur offensif : les milieux de terrain devenant de plus en plus étroits, c’est nous qui devons monter et descendre et offrir de la largeur. »
En 2021, la roue a tellement tourné qu’il n’y a plus assez de place en sélection anglaise pour l’abondance de latéraux droits de talent. La faute, forcément, à un poste qui a évolué pour désormais faire la part belle à des joueurs ultra-complets – d’où la versatilité des siens que loue Southgate – qui apportent autant offensivement que défensivement. À bien des égards, et notamment parce qu’ils sont très rares sur le marché, des latéraux de qualité sont sans doute aujourd’hui parmi les pièces maîtresses des grandes équipes.
Révolution wengérienne et Right-Back League
Alors pourquoi une telle profusion en Angleterre, plus qu’ailleurs ? Sans doute parce que les latéraux qui sortent des académies anglaises atterrissent immédiatement dans le championnat le plus exigeant techniquement et physiquement au monde, la Premier League. Un championnat qui récolte à peine les fruits d’une révolution totale de ce poste amorcée dans les années 1990, notamment sous l’impulsion d’un certain Arsène Wenger. « Avant, je n’étais jamais critiqué si je n’accompagnais pas les attaques, mais ça a changé avec Wenger, confiait Nigel Winterburn, ancien arrière gauche des Gunners, au Telegraph en 2017. Quand il est arrivé, on nous a donné plus de liberté pour aller de l’avant et on nous a dit de nous projeter rapidement en profondeur et en largeur. Tout à coup, Lee et moi avons été chargés d’aller en avant en même temps. Auparavant, s’il allait vers l’avant, je restais en arrière. »
Au courant des années 2000 et 2010, la Premier League est restée un terreau fertile d’expérimentations tactiques, d’autant plus avec l’arrivée massive d’entraîneurs étrangers ces dernières années – comme, exemple parmi d’autres, Antonio Conte, qui a fait jouer toute l’Angleterre en 3-4-3 et démocratisé au Royaume le rôle de piston. Et certains clubs du « Big 6 » anglais ont pu jouer, avant de voir la vague de talents actuelle débarquer comme un tsunami, avec des milieux de métier (Ashley Young, James Milner et Antonio Valencia pour ne citer qu’eux) au poste de latéral ces dernières années, preuve s’il en faut de la palette tactique exigée par le poste aujourd’hui.
L’équipe d’Angleterre a du talent à toutes les lignes, mais son réservoir de latéraux droits reste aussi impressionnant qu’inédit à l’échelle mondiale. L’Angleterre, et la Premier League dans un sens plus large, accapare une majorité des pointures actuelles du poste – selon les évaluations de Transfermarkt, et bien que cet argument soit tout sauf définitif, 4 des 10 arrières droits les plus chers du monde sont anglais, et 8 évoluent en Premier League. Le signe que ce poste, longtemps parent pauvre du foot mondial, est peut-être en train de redevenir, et notamment grâce à l’éclosion explosive de Trent Alexander-Arnold et ses caviars côté droit, un poste cool. Le signe aussi, et pour revenir à l’Euro, que Ben Chilwell et Luke Shaw peuvent s’estimer heureux d’être gauchers.
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Par Alexandre Aflalo