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« L’Anglais préférera toujours le tacle au petit pont »

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Luton Town (D5) vs Millwall FC (D2). Le petit poucet de la Coupe d'Angleterre accueille ce midi le club le plus détesté de la banlieue londonienne. L'occasion offerte de causer gonzesse, supporter, tacle assassin et Call of Duty avec Arnaud Mendy, 22 ans, milieu de terrain franco-guinéen box-to-box de Luton. Rencontre.

Comment un jeune milieu de terrain des « - 18 ans nationaux » de Rouen débarque un jour à Derby County, en Angleterre ?En 2008, j’avais la possibilité à 17 ans de signer au Torino, en Italie. Le contrat était déjà préparé, mais cette même semaine j’ai rencontré un agent – une dame – qui m’a simplement dit que j’avais plus le physique pour jouer en Angleterre. C’est elle qui m’a envoyé faire un essai à Derby County, où j’ai signé un contrat de 3 ans directement. Quand je suis arrivé en Angleterre, j’avais 18 ans à peine, c’était vraiment très spécial. Les six premiers mois ont été très difficiles. C’est la première fois que je quittais ma famille. Je suis passé d’un quartier difficile, d’un côté « urbain » à la campagne profonde. Du coup, je restais caché dans ma chambre. Je ne comprenais pas l’anglais et à chaque fois que les gens rigolaient autour de moi, j’avais l’impression qu’ils se foutaient de ma gueule (rires) !

Tu parles d’un « quartier difficile » , c’est-à-dire ?Le quartier de Madeleine, à Évreux, je ne sais pas si vous connaissez… Mathieu Bodmer et mon cousin Bernard Mendy ont aussi grandi ici. Il n’y a pas de travail. Ce n’est pas facile de voir tous les jours ses amis dans la rue à ne rien faire. C’est aussi cela qui te donne l’envie de réussir : leur montrer qu’il n’y a pas que la rue qui paie.

Quand est-ce que la vie anglaise a commencé à être sympa ?On va dire qu’au bout de cinq mois, j’ai commencé à bien parler anglais. Mais ce qui m’a vraiment aidé, c’est la signature de Bernard Mendy à Hull City. Je passais beaucoup de temps – en gros tous les week-ends – avec lui et avec sa femme. C’est le neveu de ma mère, on est très proches. Il prenait soin de moi. C’est un peu comme mon grand frère.

Avec un meilleur anglais, tu as donc pu commencer à draguer les filles locales ?(Il se marre) Je ne vais pas te mentir, quand je suis arrivé ici, je ne me suis consacré qu’au football. Par la suite, comme je dis toujours à mes amis : « Les mecs, je ne pourrais jamais sortir avec une Anglaise. » Elles ne sont pas sérieuses du tout.

Sportivement, tes débuts à Derby County ont-ils été bons ?La première année, je l’ai passée en équipe réserve. La suivante, j’ai fait 25 bancs en équipe première pour une apparition contre Sheffield Wednesday. Mon premier match, putain : celui-là, je ne pourrai jamais l’oublier. J’étais comme perdu. J’avais le sourire, au maximum (rires). C’était un derby. Le premier truc qui m’a marqué, c’est les supporters. Le stade était vraiment plein. Pour te donner un exemple, pour un simple match amical, il y a seize ou dix-sept milles personnes dans les tribunes. Un truc de fou, c’est un rêve, quoi. Voilà, je me suis dis : « J’y suis quoi, maintenant c’est à moi de travailler. »

Finalement, aujourd’hui, tu joues en banlieue de Londres à Luton Town, en cinquième division. Tu n’as pas l’impression de n’avoir peut être pas si bien « travaillé » , comme tu dis ?Tu sais, l’année dernière, le Havre me voulait, mais une fois que tu as goûté au football anglais, c’est difficile de revenir en arrière. Puis comme je te le disais, même en cinquième division, les supporters sont incroyables. Tu as 9 000 spectateurs de moyenne à domicile, un truc comme ça. Sérieusement, tu vois même des grands-mères qui crient au stade. Tu marches en centre-ville, les gosses te reconnaissent. Un jour, j’ai passé mon tee-shirt à une daronne après un match et elle s’est mise à pleurer ! Ça m’a vraiment touché. Un autre, les supporters ont commencé à chanter une chanson à mon nom, en français : « Arnaud, Arnaud, Arnaud… Merci, merci, merci… Mendy, Mendy, Mendy ! » C’est vraiment un autre monde.

C’est comment la vie à Luton, en banlieue de Londres, siège social de la compagnie aérienne easyJet ?Je vis à Luton dans une maison avec mon ami et coéquipier anglais qui joue avec moi au milieu de terrain, Jonathan Smith. Il est en train d’écouter la musique à fond pendant que je te parle… On n’est pas trop dans le même délire ! Comme la plupart des Anglais, il aime bien faire des petites blagues dès le matin (rires). Ils ne sont jamais fatigués. Puis quand ils jouent à Call of Duty sur Playstation, ils sont trop dedans, c’est ridicule. Moi, je les trouve un peu fous, les Anglais. Ils n’ont honte de rien. Tiens, l’autre soir, on était au restaurant, on bouffait avec toute l’équipe quand t’en as un qui pète devant tout le monde. Normal. Ils ne respectent rien (rires)…

Cette année en FA Cup, vous faites un superbe parcours jusqu’à aujourd’hui. Voues êtes en plus le petit poucet de la compétition…(Il coupe) Tu sais c’est beaucoup plus facile de jouer contre des équipes de divisions supérieures. Tu peux contrôler, lever la tête, prendre ton temps : il n’y a personne sur toi. Alors qu’en Conference, ce sont des bouchers. Même si c’est plutôt moi qui mets les coups à Luton (rires)…

Entre nous, tu as le souvenir d’une grosse boucherie… Tous les week-ends ! De toute manière, il faut savoir que l’Anglais préféra toujours un tacle à un petit pont. Je me souviens d’un jour avec la réserve de Derby County, les supporters ont commencé à me crier dessus : « Tacle, tacle, mais tacle, merde ! » Je me suis donc un peu lâché… J’ai frôlé l’expulsion !

À Luton, tu as un contrat professionnel ou amateur ?Professionnel !

Tu gagnes combien par mois ?Je ne peux pas te le dire, sinon mon agent va me faire des histoires (rires). Je gagne très bien ma vie…

Genre plusieurs milliers d’euros par mois, même en cinquième division ?(Il acquiesce) Tu comprends maintenant pourquoi tout le monde est ici…

Tu as aussi deux sélections avec la Guinée-Bissau, le pays de ton père. Quel souvenir en gardes-tu ?La seconde, c’était contre le Togo d’Adebayor. On jouait chez eux. On a perdu 1-0. L’entraîneur vient me voir au début du match et me prévient qu’il va y avoir sans doute 30 000 spectateurs. Ok. Il me dit ensuite : « Les supporters africains sont plus fous qu’en Angleterre. » Ok. J’arrive et dès l’échauffement, j’en vois déjà 40 000. Le match commence dans deux heures. C’est là que je vois avant le coup d’envoi un truc comme 60 000 mecs debout avec leur vuvuzela… J’étais choqué, je te jure. J’avais à peine 20 ans. Complètement perdu !

Dans la presse anglaise, tu as fortement réagi aux propos racistes prononcés par les supporters de Millwall à l’encontre d’El-Hadji Diouf, joueur de Leeds, en novembre dernier. Tu menaces en gros de quitter le terrain si cela venait à se reproduire aujourd’hui…Les journalistes anglais ont un peu changé mes propos. Je n’ai jamais dit ça. Ça m’a juste choqué de voir qu’on pouvait entendre un noir se faire insulter de « nègre » et « d’esclave » . Pourtant, El-Hadji Diouf est allé voir l’arbitre, qui lui a dit de rester dans son match. Ce qu’il a réussi à faire. Si cela devait m’arriver ? Je ne sais pas ce que je ferais. Mais je suis concentré sur mon match. Vu que contre Millwall, c’est un derby, ils ont réussi à vendre tous les billets : il va y avoir 15 000 personnes au stade, un truc comme ça. Pour une CFA 2, hein, c’est énorme.

Propos recueillis par Victor Le Grand, à Londres

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