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L’ancien joueur qui murmurait à l’oreille des chevaux
Il y a quarante ans, Patrick Chanceaulme entamait une carrière de footballeur aux Girondins. Trente ans plus tard, il devient copain comme cochon avec le cheval. Une histoire d'amour qui dure et qu'il a appliquée au monde de l'entreprise grâce au Horse Concept. Yes we canasson.
Un après-midi ensoleillé de mars au beau milieu de Sèvres. Esprit pavillon de chasse et feu de cheminée dans le réfectoire du Poney Club de Brimborion. Une vingtaine de personnes s’agitent et devisent autour de tables disposées en forme de U, sur lesquelles on retrouve en vrac calepins et stylos. Au fond, un écran et un paperboard. Sur la porte, une affichette annonce : « Bienvenue dans le monde du cheval… et de l’entreprise » . Un homme prend la parole. Il a la cinquantaine, une veste de velours marron sur les épaules et un châle gris autour du cou. Il s’agit de Patrick Chanceaulme, créateur du Horse Concept, une technique de formation managériale à base de… chevaux, donc. « On a un dicton : Aussi doux que possible et aussi ferme que nécessaire. On travaille le leadership, la capacité à convaincre sans contraindre. Comment créer cette adhésion, comment faire en sorte que les autres veuillent tout donner pour vous, annonce-t-il sous l’œil assidu de ses « stagiaires », dont certains sont des cadres de grandes compagnies telles que Bouygues, Total ou encore Airbus. Le cheval cherche un leader en permanence. Quand vous approchez sa bulle d’espace, il vous teste comme il se teste quand il est en groupe. Seul le cheval peut nous aider si vite et si fort à devenir un leader. C’est le miroir en instantané des émotions. Il ne sait pas s’il a vous, Bill Gates ou Carlo Ancelotti en face de lui. Je vous mets face à un cheval pendant quinze minutes et vous verrez. » Dont acte. Trente minutes plus tard, au milieu d’un cercle de sable fermé par des barrières, à l’aide d’une corde, deux stagiaires tentent de guider un cheval libre comme l’air. Patrick, lui, donne le tempo à l’aide d’un micro. « Faites comme lui, suivez-le, menez-le… » Puis s’autorise une blague. « Bon là, il fait caca, vous n’êtes pas obligé de faire pareil ! »
Avant de donner dans le bourrin d’hippodrome, Chanceaulme a côtoyé ceux des terrains de Division 1 avec les Girondins de Bordeaux. C’était il y a trente-cinq ans et son genou s’en rappelle encore. « J’avais subi une mauvaise opération. Pour que je rejoue très vite, ma jambe avait été déformée. Maintenant, ce type d’opération, ça irait, mais à l’époque, c’était la boucherie. » Après dix-neuf petits matchs, le prometteur défenseur doit mettre un terme à sa carrière professionnelle et décide de rejoindre l’AS Libourne « pour se faire caser à la Caisse d’Épargne comme guichetier » en échange de quelques joutes dominicales sur un pied au stade Jean-Antoine Moueix. Sur les bords de la Dordogne, la lose footballistique prend des airs de win dans le milieu de la banque pour Chanceaulme. « Pendant vingt-cinq ans, j’ai gravi tous les échelons pour finir au comité directeur et au comité exécutif. À la fin, en 2005, je faisais partie des douze personnes les plus importantes de la Caisse d’Épargne d’Aquitaine. Mais j’avais envie de voler de mes propres ailes. » Dès lors, le futur de Chanceaulme prendra les traits d’un pégase, puisqu’il ne se fera pas sans le cheval.
« Je ne suis pas le Monty Roberts français »
Pourtant, au départ, quand son ancienne DRH de la Caisse d’Epargne veut lui faire rencontrer ses chevaux, l’ancien Marine et Blanc se cabre : « Je n’aimais pas particulièrement cet animal parce que je ne le connaissais pas. J’ai découvert qu’elle était passionnée par les chuchoteurs et qu’elle travaillait sur la façon dont faire passer ça dans l’entreprise. Donc j’ai décidé de me lancer pour développer chez les managers leurs talents de leader. » Par les chuchoteurs, comprenez ces éleveurs de chevaux à la méthode douce, inventé par Monty Roberts. Quand on le compare au personnage immortalisé par Robert Redford dans L’Homme qui murmurait à l’oreille des chevaux, l’ancien Girondin rigole. « Je ne suis pas le Monty Roberts français. Mes formateurs, oui. Moi, j’ai juste adapté cette technique au monde de l’entreprise. Monty Roberts, je l’ai fait venir à Montauban. C’est un mec fantastique. Bon, le film, c’est romancé. Ça montre pas vraiment le travail des chuchoteurs, c’est plutôt un film d’amour. Mais ça a au moins appris à modifier les façons de former les chevaux. » Et par conséquent les managers.
D’après Chanceaulme, le Horse Concept est un vrai succès : leader européen de l’exercice, licence vendue en Pologne et bientôt au Brésil, vingt formateurs (dix coachs en entreprise et dix chuchoteurs) qui s’activent chaque jour et six mille exécutifs reçus pendant ses ateliers pour seulement deux échecs. Même Élie Baup s’est prêté au jeu du manège à chevaux. D’ailleurs, selon l’ancien défenseur, nombreux sont les entraîneurs qui mériteraient une petite remise à niveau managériale. Il en a d’ailleurs fait son prochain cheval de bataille avec la sortie de l’ouvrage Les entraîneurs sont-ils entraînés ? (Collection New Peps). « 50% du coaching en foot, c’est de la technique. Mais 50%, c’est du relationnel. 95% des entraîneurs exercent un métier pour lequel ils ne connaissent que 50% des compétences du métier, assure Chanceaulme. J’en parlais avec Jean-Louis Triaud qui m’a dit recruter ses entraîneurs au renom, au passé sportif. Je lui ai dit qu’il devrait faire passer des tests aux coachs qu’il recrute. Il m’a répondu : « Tu rigoles, je vais pas faire passer un test à Tigana ? » Ah si, même à Zidane, s’il le faut. À tout le monde. Vous avez vu ce que ça a donné, Tigana, avec les joueurs ? » Pour sûr, il n’a pas réussi à en faire des cracks.
Le livre « Les entraîneurs sont-ils entraînés? » de Patrick Chanceaulme est disponible ici
Par Matthieu Rostac