- CDM 2019
- Billet d'humeur
L’amour dure un mois
Alors que le Mondial démarre pour un mois, nombreux sont celles et ceux qui trouveront quelque chose à redire sur le football féminin, son manque d’intérêt ou encore sa couverture médiatique. Faisons donc en sorte que les uns puissent faire la fête sans que les autres ne viennent la gâcher.
Voilà, on y est. Un an après le sacre des Bleus en Russie, on va pouvoir regoûter au plaisir de la Coupe du monde. À la maison qui plus est ! Ce Mondial à domicile est l’occasion rêvée de se mettre à la page d’une discipline qui n’en finit plus d’évoluer.
Partagez vos jouets !
Car oui, avec 165 000 licenciées, trois fois plus qu’il y a dix ans, le football ne cesse de gagner en popularité chez les filles. Ajoutez à cela les familles et les proches des joueuses, on ne peut plus dire que cela n’intéresse personne. Et plus les Bleues iront loin, plus les conséquences de leur succès se verront au sein des clubs de tout le pays. Il faut vivre avec son temps, car c’est un fait, les filles ne se cachent plus pour jouer au foot. Au contraire, elles aimeraient bien que leur passion arrête d’être regardée comme une bizarrerie.
Est-ce cela qui fait frémir tant d’hommes ? Que les femmes s’approprient en partie un sport qui a de tout temps été considéré comme l’apanage du sexe dit « fort » ? À lire certains commentaires, on a l’impression d’être dans une cour de récréation, en présence de petits garçons qui ont peur que les filles viennent piquer leur jouet. Comme si l’intérêt des femmes pour le football, son suivi et sa pratique allaient remettre en question les soirées bières-pizzas devant la Ligue des champions ou les five suants avec les potes au gymnase municipal. Comme si cette Coupe du monde venait sonner le glas d’une ère où le football n’est intéressant que lorsqu’il est pratiqué par des hommes. Peut-être serait-il temps de donner un grand coup de pied dans la fourmilière conservatrice qui caractérise le sport en général. Cela permettrait peut-être de révéler au grand jour sa mission d’inclusivité universaliste.
Enlarge your ballon rond
Parce que le football, ce n’est pas que le dernier carré de la Ligue des champions. Cela, beaucoup semblent l’avoir oublié, et il est déplorable de n’avoir que cette base pour juger de la qualité ou de l’intérêt d’une compétition. Il suffit d’écouter tout le mépris d’une certaine vox populi pendant la CAN ( « niveau médiocre, sans intérêt » ), la Copa América ( « fabuleuse ambiance en tribunes. En revanche, pour ce qui est du terrain… » ), sans oublier la Gold Cup ou la Coupe d’Asie, lesquelles suscitent un nombre incalculable de moqueries, à condition déjà de leur accorder le droit d’exister. Gageons que ce Mondial 2019 serve au moins à définitivement jeter aux oubliettes cette théorie selon laquelle le football féminin ne serait ni du football, ni féminin. Pour cela, le plus dur sera de chausser une autre paire de lunettes que celle avec laquelle on a l’habitude de regarder un match de foot.
Et de se rappeler que les filles reviennent de loin elles aussi. « Quand, aujourd’hui, des jardiniers arrosent un terrain hybride avant notre entraînement, limite, je suis émue » , déclarait par exemple Gaëtane Thiney à Libération. Une petite phrase qui en dit long sur les attentes de tout un public longtemps rendu invisible et qui s’apprête à tout simplement à apprécier son moment, comme les footballeuses aiment entrer sur le terrain pour taper la balle. Au diable les comparaisons foireuses avec le niveau supposément faible d’un match féminin et les théories qui voudraient que les meilleures joueuses du monde se fassent taper par l’équipe C d’un club de poussins du Lot-et-Garonne. Au même titre qu’il est ridicule d’envisager un affrontement entre des hommes et des femmes au handball, en boxe ou en water-polo, à quoi bon comparer ce qui n’est pas comparable ? Hommes et femmes pratiquent le même sport, mais dans des catégories différentes. Ce n’est pourtant pas si compliqué à comprendre.
Personne ne vous force à rien
En attendant, Corinne Diacre l’a rappelé dans sa conférence de presse, à la veille du match d’ouverture contre la Corée du Sud : « L’essor du foot féminin français, ce ne sera pas notre problème demain, ni pendant la compétition. » Voilà, au moins les choses sont claires. Pendant un mois, on va vivre une compétition sportive internationale durant laquelle chaque Française et chaque Français devraient normalement espérer que les Bleues gardent la coupe à la maison. Le tout avec une couverture médiatique sans précédent, signe, une fois plus, que les lignes bougent.
Et puisque personne ne force personne à faire quoi que ce soit, inutile de crier sur la place publique son intention de boycotter cette Coupe du monde. Personne n’aime celles et ceux qui clament haut et fort qu’ils n’ont jamais regardé Game of Thrones dans le seul but de se démarquer de la masse qui vibre devant la dernière saison. C’est pareil pour le foot féminin. Le train est en marche et s’arrêtera seulement pour celles et ceux qui en feront la demande. Les autres, qui choisiront de rester à quai lorsqu’il passera, ne sont pas à blâmer, cet été regorge de compétitions en tous genres pour qui veut s’injecter sa dose quotidienne de sport. Faisons juste en sorte que la fête ne soit pas gâchée. Au regard du nombre de billets vendus jusqu’à présent (plus des trois quarts), on peut déjà parier que pas mal de villes seront en effervescence devant ce qui se veut être une vraie fête populaire et ouverte à tous. Ce que devrait être le sport partout et tout le temps.
Par Julien Duez