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L’âme aspirée

Par Maxime Brigand, au Stade de France
5 minutes
L’âme aspirée

Sur un nuage depuis sa victoire en demi-finale de l’Euro contre l’Allemagne en juillet dernier, l’équipe de France est retombée brutalement sur terre mardi soir contre l’Espagne (0-2). Car si ce n’est qu’un match amical et que le résultat importe peu, c’est surtout la manière qui doit faire réagir.

Huit mois, c’est long, mais parfois pas assez. L’occasion était pourtant rêvée, cette fois le football français allait se réinjecter une dose de culture du travail au cœur d’un projet sportif dont on a longtemps peiné à percevoir les contours. C’était un espoir et aussi, au fond, une envie. Au-delà du résultat final – une victoire ou une défaite –, on allait enfin voir plus loin que l’instant T pour filer vers un futur construit sur des bases solides au-delà d’un simple tableau d’affichage. L’idée était simple : parler de jeu plutôt que de résultats, analyser un ensemble plutôt que s’arrêter à une soirée ratée. Après l’Euro 2016, il n’y avait pas de blanc ou de noir et Didier Deschamps n’avait pas eu tort parce qu’il avait perdu en finale contre le Portugal et raison parce qu’il avait écarté l’Allemagne en demi-finale. Le football est un peu plus complexe qu’une simple copie. C’est un ensemble, l’harmonie d’un orchestre ou les finitions d’un ballet. Si l’Allemagne et l’Espagne en sont arrivées là au cours des années 2000, ce n’est pas en s’arrêtant à la simple envie de « marquer un but de plus que l’adversaire » . Non, c’est en pensant projet et non immédiateté, simplement et finalement logiquement, tout en sachant que le foot reste un sport cruel qui ne file pas de médailles qu’aux vainqueurs. Alors, la défaite contre le Portugal le 10 juillet dernier, chacun avait des larmes, mais on avait tous un rêve : que la défaite tragique pousse au changement et qu’enfin, elle nous donne une direction.

Suicide tactique et identité

Car, à cette époque déjà, l’équipe de France était jeune, offensive, séduisante par instants, déséquilibrée et peu ordonnée souvent. Elle était déjà imprévisible, mais, surtout, avant tout obsédée par le résultat plus que par le jeu. Faut-il lui en vouloir ? N’est-ce pas Didier Deschamps qui répète souvent qu’entre « le beau jeu et le résultat » , il choisirait le résultat ? Tout simplement car, de son aveu, c’est ce qu’il a avant tout ramené de la Juventus : « On n’est pas là à jouer pour jouer, on est là pour gagner. » L’esthétisme est une chose, le succès en est une autre, c’est une certitude, mais voilà, huit mois après la chute au sommet, l’équipe de France a-t-elle évolué ? Dans ses hommes oui, en partie, car le foot bouscule vite les ordres, mais un projet se construit avant tout avec des individus au-delà des idées. Dans les faits, pas tellement et il faut déjà, ce matin, se poser les bonnes questions. Oui, les Bleus n’ont perdu qu’une fois depuis le 10 juillet 2016 et c’est arrivé le 28 mars 2017, au stade de France, contre l’Espagne (0-2). Mais aucune direction n’a pour le moment été vraiment donnée et c’est là une question d’identité, de style, d’approche plutôt que de résultat pur, un amical restant purement qu’anecdotique.

Mercredi soir contre l’Espagne, qui a encore les tripes plongées dans son ADN malgré ses récents échecs, Didier Deschamps avait décidé de coucher un 4-4-2 en losange face au 4-3-3 espagnol, soit une forme de suicide tactique dès la feuille de match. Le sélectionneur français aime dire qu’il n’a rien à faire des schémas et que l’important est donc la table de marque. Reste qu’en ne cessant de bousculer les dispositifs, Deschamps montre déjà qu’il ne sait pas encore vraiment où il veut aller et cela s’explique avant tout par les nouveaux pions qu’il vient de ramener lors de ce rassemblement de mars. Partir ainsi face à l’Espagne, c’est accepter de livrer les couloirs directement dans la gueule de mecs qui adorent la liberté (Alba, Carvajal), mais aussi obliger Kurzawa, par exemple, à castrer ses envies offensives au risque de déséquilibrer le tout, ce qu’il n’a pas fait. Pourquoi ne pas sécuriser les couloirs avec Dembélé et Lemar tout en s’amusant à commencer à construire des automatismes à deux, que ce soit à droite ou à gauche ? Un choix, mais aussi un pari perdu. Comme installer Kanté seul en sentinelle – ce qu’il n’a jamais été – avec pour relais Rabiot, encore en soin post-traumatique de Barcelone et posé ce mardi face à ses bourreaux d’hier, et Tolisso dans une forme de nuit d’intégration sans douceur. Le tout avec une injprécision technique rare et des repères inexistants. Un match amical est fait pour essayer oui, mais pas pour se suicider.

Le principal constat de cette défaite humiliante dans la forme, soit une forme de répétition de la baffe reçue au Brésil en juin 2013 (0-3), est là : ces Bleus ne savent toujours pas où ils vont et avancent encore aujourd’hui avec un objectif à court terme plutôt qu’un rêve à long terme. Oui, tout n’a pas été mauvais mercredi soir, mais c’est l’ensemble qui pose question, car sans ligne directrice malgré la conviction profonde que la France tient entre ses mains une putain de génération. Une intégration se fait en douceur, mais doit aussi passer pour ce genre de soirées pour grandir. Il suffit simplement d’en tirer les leçons et de savoir maintenant ce qu’on veut mettre en place et comment. Histoire de ne pas recevoir un cours de maîtrise sans l’apprendre. Une victoire en Coupe du monde ou en championnat d’Europe tient à ça. Et une équipe tient à son identité, cette faculté à la reconnaître en quelques minutes et non en regardant un score. Didier Deschamps a les cartes entre les mains, reste à voir désormais comment elles seront abattues dès le mois de juin. Pour ne pas avoir laissé filer huit mois à se chercher dans les victoires et la défaite pour ça.

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