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L’Allemagne n’a plus Löw à la bouche
Humiliée 6-0 mardi soir à Séville par une équipe d'Espagne en reconstruction, l'Allemagne a subi sa plus large défaite depuis 1931. De quoi se demander si la Mannschaft ne s'est pas perdue dans le sillage de son sélectionneur, Joachim Löw, dont les choix techniques ont façonné une équipe qui manque aujourd'hui cruellement d'identité.
Commenter le néant est un exercice difficile. Après la débâcle subie par ses hommes face à l’Espagne à Séville ce mardi, Joachim Löw est donc resté concis face aux médias allemands : « Langage corporel, agressivité, engagement dans les duels, on n’a rien vu de tout ça sur le terrain. Rien n’a fonctionné. » Rien. C’est bien le mot qui résume le mieux le match de la Mannschaft face à l’Espagne, un sommet où la Roja a englouti la possession de balle (69% en faveur de la Selección) et, avec elle, le scénario d’une rencontre où sa domination fut absolue : 15 occasions à 1, 23 tirs à 2, 6 buts à 0. On n’avait plus vu l’Allemagne dépouillée à ce point de sa dignité depuis 1931, où la Wunderteam autrichienne avait déplumé les Aigles sur le même score. Face à tant d’impuissance collective, les médias d’outre-Rhin ne pouvaient que se poser une question mercredi matin : Joachim Löw est-il vraiment encore l’homme qu’il faut pour mener la sélection vers les sommets auxquels elle est habituée ?
Le mauvais syndrome Guardiola
Ce n’est pas la première fois que ce débat anime l’Allemagne du football. La méthode Löw divise depuis des années au pays, dans la continuité du coup de massue du Mondial 2018, qui avait vu la Mannschaft sortir dès la phase de groupes de la compétition. Au sein d’une épreuve qui avait drastiquement ringardisé les équipes qui pratiquaient un football de possession – à l’image de l’élimination de l’Espagne face à la Russie –, le champion du monde en titre avait payé le mimétisme tactique de son entraineur. Manifestement un peu trop obsédé par l’idée de jouer comme Pep Guardiola – que Löw revendique ouvertement comme une référence et une inspiration majeure –, le sélectionneur avait rendu le jeu de l’équipe nationale moins vertical et efficace. Notamment, entre autres exemples, en se privant d’un vrai avant-centre de surface, le bizut Timo Werner étant préféré en pointe à la vieille gâchette Mario Gómez, pourtant encore fringant il y a deux ans.
Un déficit de vitesse dans la circulation de balle, de cynisme face aux cages, comme d’expérience, qui n’a semblé que se creuser depuis. Löw y est franchement pour quelque chose, lui qui se refuse désormais à appeler en sélection trois de ses anciens tauliers (Mats Hummels, Thomas Müller et Jérôme Boateng) en prétextant la nécessité d’effectuer une transition générationnelle : « Nous avons décidé de ne plus appeler ces joueurs et cela ne changera pas. Nous ne pouvons pas faire demi-tour maintenant. » Mais la jeune génération a-t-elle ce qu’il faut en magasin pour combler le vide laissé par l’absence de ces monstres sacrés ? Décevante face à la Turquie et la Suisse début octobre (match nul 3-3 à chaque fois), ridicule contre l’Espagne ce mardi, l’Allemagne semble au contraire indiquer qu’elle n’est pas encore prête à tourner la glorieuse page griffonnée par ses aînés.
2014 : si près, si loin
C’est précisément la question de l’utilisation de cet héritage laissé par l’équipe championne du monde en 2014 qui fâche. À l’époque, Löw avait façonné une sélection hybride, furieuse de modernité dans son utilisation du ballon et ses déplacements, mais qui parvenait aussi à s’inscrire dans la tradition allemande. En atteste l’importance de Miroslav Klose, buteur charognard dans le style classique des avants-centres des Aigles, mais aussi de grandes gueules charismatiques, comme Thomas Müller et Bastian Schweinsteiger, capables de remettre au pas sur le pré leur formation dès qu’elle avait tendance à s’éparpiller. C’est cette voie médiane, tenant d’un football à la fois allemand dans l’esprit et ouvert sur des influences étrangères, notamment ibériques, qui avait magnifié le travail de Joachim Löw. Que reste-t-il désormais de ce cocktail jouissif, qui avait broyé (1-7) il y a six ans le Brésil en mondovision ? Pas grand-chose, à en croire Bastian Schweinsteiger, désormais consultant vedette de la chaîne ARD : « Le style de jeu manque cruellement d’attractivité. C’est compliqué de s’identifier à 100 % à cette équipe. » L’Euro 2021, lui, approche à grands pas. Peut-être achèvera-t-il de démontrer que Joachim Löw a sabordé de l’intérieur une sélection qu’il avait jadis menée à la consécration.
Par Adrien Candau