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L’Alcorconazo et ses multiples lendemains
Il y a de ça sept ans, le Real Madrid recevait la plus douloureuse fessée de son histoire en se faisant gifler et sortir de la Copa del Rey par le modeste Alcorcon. Un anonyme club de la banlieue madrilène qui, aujourd’hui confronté à Elche, est rentré dans le rang, à l’instar des joueurs qui le composaient alors.
De mémoire madridista, il s’agit de la pire nuit dans l’existence du club. En quelque 114 ans d’histoire, le navire blanc s’échoue pourtant à plusieurs reprises, mais jamais il ne tutoie le ridicule comme lors de cette déconvenue du 27 octobre 2009. Pour rappel, l’armada menée par Manuel Pellegrini, forte de ses nouveaux Galacticos – Cristiano Ronaldo, Kaká et Benzema –, se rend à une dizaine de kilomètres de son lieu de résidence. À Alcorcon, commune limitrophe de Leganés, Getafe et Carabanchel dans le sud de la capitale, les joueurs locaux baptisés les Alfareros (les Potiers, en VF) administrent la pire claque de l’histoire merengue : un 4-0 humiliant à souhait pour Florentino Pérez, tout juste de retour aux affaires, également synonyme d’éviction de la Copa del Rey dès les seizièmes de finale. « C’est le plus grand exploit de ma carrière, rembobine Iñigo Lopez, ancien central de l’AD aujourd’hui à Huesca. Il y a clairement un avant et un après. Sincèrement, je n’aurais jamais été recruté par Grenade pour jouer en Liga sans cet épisode. » Retour sur ces lendemains chantants pour les uns et ce retour à l’anonymat pour les autres.
Journaux asiatiques, groupe Whatsapp et dîners aux chandelles
De taille, l’exploit de l’Alcorcon s’écrit surtout en mondovision. Un jour après cette gifle, les modestes joueurs de Segunda Division B, soit le troisième échelon national outre-Pyrénées, retrouvent alors un centre d’entraînement « envahi par des centaines de journalistes » , dixit ce même Iñigo Lopez, qui poursuit : « Déjà, dans la nuit, nous n’avions pas dormi. Nous étions tous en train de nous appeler, de nous envoyer des messages. Nous voulions nous confirmer à nous-mêmes que ce n’était pas un rêve, que c’était la réalité. À l’arrivée à l’entraînement, je me rappelle ne pas avoir trouvé de place où me garer. Il y avait des médias du monde entier, c’était une vraie folie. À ce moment-là, nous avons pris conscience de la portée de cet exploit. » En plus des remerciements de circonstance de la part des habitants, l’AD Alcorcon fait la Une de tous les canards nationaux, mais, surtout, « de journaux chinois et japonais. On ne comprenait rien mais, en revanche, nous étions bien présents sur plusieurs pages » . Cette effervescence unique dans ce coin de la banlieue madrilène ne fait pourtant pas oublier que la manche retour est encore à disputer.
« Le Real reste le Real, mais, au fond de nous, nous savions que nous allions arracher la qualification au Bernabéu » , rejoue Borja, double buteur de cette divine soirée, pour Marca. De fait, quelques jours plus tard et une défaite minimaliste (1-0), l’exploit passe à la postérité. Plus que l’apathie merengue, les hommes forts de cette aventure préfèrent retenir de ce miracle la force collective d’un groupe. Iñigo Lopez : « Jamais je n’ai connu un tel groupe au niveau humain. Nous formions tous une famille, il n’y avait pas une semaine sans que nous ne faisions plusieurs repas. On aurait dit un couple composé de vingt personnes qui ne voulait jamais se quitter. C’est le meilleur vestiaire que j’ai connu dans ma vie. » Aujourd’hui encore, malgré des choix de carrière qui les conduisent aux quatre coins de l’Espagne, ils se retrouvent autour d’un groupe Whatsapp où ne cessent d’affluer des messages remémorant ce 27 octobre 2009. Certains se retrouvent même au moment de Noël, lorsque le calendrier leur permet. Car malgré des affinités jamais oubliées, aucun des acteurs de l’Alcorconazo n’évolue au club aujourd’hui, le dernier, Ruben Sanz, ayant quitté le club l’été passé.
« Notre vrai Alcorconazo, c’est la montée en Segunda »
Actuellement dans la zone rouge de la Liga 123 – nouveau surnom de la D2 –, l’AD Alcorcon remercie encore ses héros d’antan. Pour sûr, ils restent à jamais les premiers à avoir fait grimper ce club fondé dans les années 70 en seconde division. « Pour nous, cette montée est d’ailleurs notre vrai Alcorconazo. Nous produisions un jeu très offensif, nous nous trouvions les yeux fermés. C’est sans doute pour cela que nous sommes peu à avoir connu la Liga, nous étions forts tous ensemble » , rejoue Iñigo Lopez. Pour autant, ces exploits n’ouvrent les portes de la Liga qu’à très peu d’entre eux. Tout juste cinq membres de cette épopée, dont deux membres du staff partis à Grenade, connaissent le plus haut niveau national, sans oublier l’attaquant, Borja, parti en première division écossaise. Pour sa part, le club poursuit sa croissance malgré les nombreux départs. En attestent d’autres parcours héroïques en Coupe du Roi, mais surtout une saison 2011/12 historique. En course pour la montée au plus haut niveau national, l’AD échoue en finale des playoffs de montée pour un maigre but. Le train est passé. Aujourd’hui, Alcorcon lutte pour sa survie en deuxième division, et ses anciens disciples sont dispersés aux quatre coins de l’Espagne.
Par Robin Delorme