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Lainez, le divin enfant
Invité surprise de la manche aller au Roazhon Park, Diego Lainez pourrait goûter à une titularisation jeudi soir, à Séville, face au Stade rennais. La nouvelle étape de l'intégration express d'un bonbon mexicain qui refuse de calculer.
Il faut le voir slalomer entre les lignes à la recherche du bon décalage et guider ses partenaires du bout du doigt. Piqué par une entame de match catastrophe en matière de scénario, lors de laquelle le Stade rennais a réussi à inscrire deux buts en neuf minutes, Sergio Canales hurle dans le rond central du Roazhon Park. On joue la vingt-huitième minute d’un seizième de finale aller de Ligue Europa mal embarqué, le Bétis s’éveille : William Carvalho commence à distribuer les plats, les circuits chers à Quique Setién naissent sous le ciel breton et, trois minutes après son coup de gueule, Canales bloque Ben Arfa, laisse Joaquín trouver Loren, qui n’a plus qu’à décaler Lo Celso à la baguette de la première réduction du soir. Comme si les choses venaient de rentrer soudainement dans l’ordre, Setién souffle.
Cinq minutes plus tôt, le coach sévillan vient pourtant de perdre sur blessure l’un de ses joyaux – Júnior Firpo – et a été obligé de bouger ses pions (Guardado décalé côté gauche, Canales replacé aux côtés de Carvalho) tout en faisant entrer un gosse qui a encore tout à écrire. Il s’appelle Diego Lainez, n’a que dix-huit ans, ne pèse même pas soixante kilos et est arrivé du Mexique à peine un mois plus tôt. Et alors ? Lainez saisit l’opportunité et pétille sur la piste. Une piste où, au milieu du bruit et des pièges tendus, le gamin semble n’écouter rien d’autre que son instinct. Un instinct qui lui ordonne de s’agiter sur chaque possession de balle là où le Bétis de Setién est avant tout une machine huilée construite sur « une série de mécanismes » . Diego Lainez lève le bras, crie, exige, demande et semble tenter de convaincre l’ensemble de ses partenaires de son bon placement. Derrière lui, Canales le voit, évidemment.
Un joueur qui pète au visage
Quand il n’est pas trouvé, Lainez baisse violemment les bras, souffle un gros coup et n’hésite pas à faire sentir au coéquipier qui a refusé de le nourrir qu’il y avait mieux à faire. Quel est ce phénomène ? Un ensemble fait d’envie débordante, d’ambition démesurée et d’insouciance. Un truc qui pète au visage en quelques minutes. Lors de sa première balade sévillane, le 20 janvier dernier lors d’un Bétis-Gérone (3-2), le Mexicain n’avait d’ailleurs, déjà, pas hésité à gueuler sur Canales, coupable de ne pas l’avoir servi. Dans la foulée, Diego Lainez s’était replacé, avait gratté un ballon et avait vu ses nouveaux potes poursuivre leur action jusqu’à l’obtention d’un penalty décisif dans les arrêts de jeu de la rencontre.
À Rennes, Lainez est tout simplement venu aider à retourner la rencontre grâce à son jeu entre les lignes, son activité délirante, une qualité de passes rare (deux ratées seulement, ce qui est assez énorme pour un joueur de son profil) et une résistance précieuse dans les duels malgré son gabarit. Surtout, le Roazhon Park a vu le petit format poser l’égalisation dans les arrêts de jeu d’une inspiration géniale. « Son but était inespéré, je pensais qu’il allait centrer, a glissé après la rencontre Sétien. Il a eu parfois du mal à se situer, mais son entrée nous a fait du bien, il a fait un bon match. Il doit encore corriger certaines choses sur son placement, mais il fait des choses intéressantes, il déséquilibre. C’est pour ça qu’on l’a recruté, pour qu’il nous aide et qu’il continue à progresser. » Jeudi soir, à Séville, Lainez sera de nouveau prêt à mettre son nez dans le gruyère tactique breton.
Prêt à enfoncer la porte
Le voilà surtout sur la troisième marche d’une jeune carrière qui débute à l’allure d’un hors-bord. Si l’étiquette de talent pressé est scotchée à sa semelle depuis qu’il a rejoint l’académie de l’América en 2012 à l’âge de douze ans, ce qui l’a obligé à partir à plus de 800 kilomètres de ses parents, Diego Lainez fait surtout partie de la catégorie de ceux qui savent ce qu’ils veulent. Alors, il fonce et dégomme les haies. Au printemps 2017, alors qu’il n’avait que seize ans, le jeune ailier tapait dans l’œil d’un Ricardo La Volpe qui voyait dans sa pépite un peu de tout : « Il a le mental, la technique et le caractère. Malgré son âge, il a su apporter sa clarté. » Et, là aussi, son insouciance, ce qui l’a aidé à surmonter un changement d’entraîneur lors de sa deuxième saison professionnelle et lui a permis de devenir le plus jeune joueur à inscrire un doublé avec l’América en Liga MX lors de l’été 2018. Quelques mois plus tôt, Lainez avait marché sur le tournoi de Toulon et la sélection nationale l’a naturellement attrapé dans ses bras. La première fois, c’était face à l’Uruguay, en amical, le 7 septembre dernier, et Ricardo Ferretti lui a filé sa première titularisation dans la foulée, contre les États-Unis, lors d’une rencontre marquée par sa prise de bec avec Matt Miazga. Après l’explosion au pays et le débarquement en sélection, son arrivée en Europe, où Lyon et l’Ajax voulaient aussi le choper, est donc la troisième étape. Setién a déjà annoncé que cela se ferait en douceur. Lainez, lui, semble déjà prêt à enfoncer la porte.
Par Maxime Brigand