- Euro 2016
- Gr. A
- Roumanie-Albanie (0-1)
L’aigle noir s’est envolé à Lyon
Ballotés pendant vingt minutes, les Albanais sont parvenus à ouvrir le score sur une belle tête de Lenjani. Ils ont ensuite résisté face à de peu inspirés Roumains tout en jouant les coups en contre-attaques. Une victoire logique célébrée dans une ambiance de feu et qui laisse la porte ouverte à une historique qualification pour les huitièmes de finale en attendant les résultats des groupes C et D.
Roumanie 0-1 Albanie
But : Sadiku (43e)
Il paraît que la France est envahie par les Roms. Cela ne s’est pas vu à Lyon ce dimanche soir où l’équivalent de trois fois la population de l’Albanie s’était donné rendez-vous pour supporter son équipe nationale et agiter dans les tribunes d’un stade des lumières – pour le coup loin d’être plein – le drapeau aux deux aigles. Cet étendard est de loin le plus classe de cet Euro, le plus XIXe siècle, le plus « Tintin en Syldavie » , il sent le regard noir des hommes et des femmes d’honneur des montagnes arides, ce drapeau et ses aigles, c’est la tête du Maure des Corses en version balkanique. Parce qu’il en faut aux Albanais, de la fierté et de l’honneur, pour tenter d’exister sur la carte du football européen. De l’unité et du symbole aussi quand on a vu Lorik Cana, de retour de suspension, s’échauffer avec ses camarades dans un stade déjà bouillant un quart d’heure avant le début de la rencontre. Une partie débutée comme un seizième de finale, avec du cœur et du courage côté albanais, il fallait voir le pressing désespéré de Sadiku, l’avant-centre de la sélection, sur les défenseurs roumains après seulement cinq minutes et – il faut bien le reconnaître – un peu plus de maîtrise et de talent du côté des Roumains qui ont évolué quasiment avec quatre attaquants, dont Stanciu, auteur d’une belle reprise de volée des seize mètres boxée par Berisha sur sa ligne.
Oui mais voilà, ce n’est parce que les Albanais, majoritairement issus de la diaspora, sont prêts à mourir sur le terrain qu’ils ne sont pas capables de s’élever au-delà de leur statut d’hommes de devoir et de leur pressing de morts de faim. Après 20 minutes de jeu, une combinaison à trois se conclut par une talonnade de Sadiku au milieu du terrain vers Memushaj, qui renverse vers la gauche sur Hysaj dont le centre trouve Lenjani, seul à six mètres, mais qui trouve le moyen de la mettre au-dessus pour le plus grand malheur de tout un stade. C’est le début d’une belle séquence des Albanais qui trouvent des espaces dans la profondeur, notamment sur leur côté droit avec un Hysaj en feu. Le Napolitain est au four à pizza et au pressoir à huile, défend, déborde, renverse, transperce. Il donne des idées à Memushaj qui envoie un long centre vers Armando Sadiku – quel nom ! – qui trompe le gardien roumain d’une tête décroisée et lobée. C’est la mi-temps et les supporters du pays des aigles peuvent chanter : « Qui ne porte pas un petit chapeau blanc n’est pas alba-nais ! Nais ! » en allumant au passage quelques fumigènes, histoire de démontrer que ce n’est pas l’UEFA qui décide comment se comporter dans un stade.
Une attaque-défense
Le reste ? Un début de deuxième mi-temps comme on ne l’attendait pas, faute de réaction des Roumains sans idées ni génie. Au contraire, les Albanais, avec leurs moyens, continuent à jouer intelligemment et juste, poussés par leur public qui transforme chaque coup franc accordé en célébration de fête nationale. Au bout de 60 minutes, Sadiku est déjà rincé par les efforts consentis et remplacé par Balaj. Les Albanais nous sortent la position des barricades de Tirana, une tortue en 4-5-1 pour tenter de repousser des Roumains revigorés par l’entrée de Gabriel Torje, tout en crochets courts et provocations taurines. Seul aux 20 mètres, il dévisse une frappe du droit, l’une des seules situations qui ressemblent à un début d’occase pour les Roumains.
Sur le bord du terrain, Iordănescu feint la sérénité derrière sa tête d’apparatchik du ministère de la Sécurité nationale, tandis que De Biasi explose à chaque décision de l’arbitre. Andone, entré en deuxième mi-temps, s’enfonce dans la surface albanaise, mais l’attaquant de Córdoba tape l’arête de la transversale de Berisha. Pour les Albanais, le dernier quart d’heure est un séminaire au Futuroscope de Poitiers sur le thème « comment optimiser votre défense quand nous n’avez que 33% de position de balle » . Dans les tribunes, les petits bonnets blancs remettent un coup de « Qui ne saute pas… » Les joueurs, à bout de souffle, trouvent le moyen de lever les bras au ciel façon Diego Simeone. Les dernières occasions sont pour eux. Un brin de simulation pour gagner quelques secondes. Cinq minutes de temps additionnel, les cinq minutes les plus longues de l’histoire moderne du pays des aigles dans une ambiance de corrida. L’arbitre siffle, et le stade explose. Les Albanais vont maintenant retrouver leur camp de base de Perros-Guirec. Peut-être se faire une petite thalasso en regardant les matchs du groupe C et D. Deux jours de vacances et savoir. Le repos des hommes d’honneur.
Par Joachim Barbier, au Parc OL (Lyon)