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L’affaire Jean-Louis Triaud

Par Mathias Edwards
L’affaire Jean-Louis Triaud

« Stéphane Martin devient à partir d’aujourd’hui président délégué salarié du club. » En démarrant ainsi la conférence de presse surprise organisée ce jeudi au Haillan, Jean-Louis Triaud a décidé de tuer tout suspense. La fin brutale d'un mandat démarré il y a vingt et un ans, et une certaine idée du football qui s'éteint un peu plus.

Il est un peu plus de 23h, ce 30 mai 2009, à Caen. Dans le parcage visiteurs du stade Michel-d’Ornano, les fans bordelais qui ont fait le long déplacement jusqu’en Normandie voudraient que cette soirée ne se termine jamais. En reprenant de la tête un centre de Benoît Trémoulinas une heure plus tôt, Yoan Gouffran a offert aux Girondins le sixième titre de champion de France de leur histoire. Face au kop marine et blanc, alors que les joueurs ont regagné le vestiaire, un seul homme est resté fêter l’événement. Marlboro dans la main gauche, Jean-Louis Triaud lance les chants, sous le regard impassible de CRS qui ne demandent rien d’autre que de rentrer se coucher. « Qui ne saute pas est marseillais-ais ! » , hurle le président des Girondins pour célébrer le deuxième sacre bordelais sous son règne. Avant de se retirer, l’ambianceur d’un soir prend soin d’emprunter le mégaphone des Ultramarines, et de leur donner rendez-vous le lendemain dans la capitale girondine, « pour prendre l’apéro » . Jean-Louis Triaud président des Girondins de Bordeaux, c’était cela. Un homme de passion avant tout, avec ses défauts et ses qualités, ses rapports fluctuants avec les supporters, sa communication insupportable pour les uns, authentique pour les autres. Et ces clopes, parfois taxées à des supporters accoudés aux rambardes du centre d’entraînement. Ce jeudi 9 mars, ce volet long de vingt et un ans de l’histoire des Girondins s’est refermé dans un claquement assourdissant, prenant tout le monde de court. À 14h34, Stéphane Martin, financier de 46 ans, a pris ses fonctions de président délégué exécutif des Girondins de Bordeaux. Un salarié remplace un bénévole. Un banquier redécore le bureau d’un passionné. Cela doit être ça, qu’on appelle « le sens de l’histoire » .

Tous les trophées du foot français en vitrine

Au printemps 1996, lorsque Jean-Louis Triaud s’installe à la tête de la SAOS des Girondins de Bordeaux, en remplacement d’Alain Afflelou, le club a beau sortir d’une incroyable épopée européenne, sa situation financière est délicate. En compagnie de l’avocat Jean-Didier Lange, avec qui il partage alors la présidence du club, sa première mission est de trouver un partenaire à même d’assurer le futur de l’institution. Alors que Lange milite pour les investisseurs anglais d’ENIC, Triaud invente Copains d’avant avec trois ans d’avance, et drague Nicolas de Tavernost, son vieux pote de lycée, alors directeur général de M6. « La petite chaîne qui monte » est choisie par le conseil d’administration après la conquête du titre de 1999, et acquiert dans la foulée 99% du capital du FC Girondins de Bordeaux. Depuis, avec le Paris Saint-Germain et Lyon, Bordeaux fait partie des trois clubs à avoir rangé dans sa vitrine les quatre trophées nationaux : le championnat de France en 2009, la Coupe de France en 2013, la Coupe de la Ligue en 2002, 2007 et 2009, et le Trophée des champions en 2008 et 2009. Ajoutés au titre de 1999, Jean-Louis Triaud peut quitter ses fonctions avec le sentiment du devoir accompli, après vingt et un ans de présidence.

Un homme authentique

Pourtant, malgré cette armoire à trophées bien remplie, l’homme est loin de faire l’unanimité. Au sein même de la communauté des supporters girondins, c’est sa communication qui agace. Celui qui a longtemps exercé en tant que dirigeant de club le matin, et viticulteur l’après-midi, a toujours mis un point d’honneur à gérer « en bon père de famille » un club encore traumatisé par les folies de Claude Bez dans les années 80. Au château du Haillan, dont la rénovation avait valu un an de prison ferme au président moustachu, il ne reste d’ailleurs quasiment aucun vestige de cette période faste du club. Cette gestion, jugée parfois frileuse, les supporters lui ont particulièrement reprochée au début des années 2000, époque où les banderoles « Direction démission » étaient régulièrement de sortie au Parc Lescure. Ce qui ne l’a jamais empêché d’entretenir des liens solides avec les Ultramarines, le principal groupe de supporters bordelais, comme Florian Brunet, un de ses porte-parole, l’expliquait à Sud Ouest : « Nous avions une relation très forte avec lui, qui s’est construite au fil des années avec des convergences, mais aussi beaucoup de divergences. C’est un homme authentique, avec une grande intelligence, d’une grande loyauté. Le caractère fort des ultras et son caractère fort ont fait que pendant plusieurs années, on se s’est pas parlé. Mais ce conflit avait permis de renforcer notre relation et a créé quelque chose d’unique en France : une indépendance du groupe ultra vis-à-vis du club, mais un énorme respect mutuel et une confiance réciproque qui est rare. »

« Internet m’emmerde »

En plus de cette gestion jugée parfois frileuse, la communication de Jean-Louis Triaud peut également agacer. « Internet m’emmerde. Twitter, je ne sais pas comment ça fonctionne. C’est de l’information par le bout de la lorgnette. » Celui qui a aujourd’hui 67 ans n’a jamais caché son mépris pour les nouveaux moyens de communication, à l’heure où tout y est analysé. Idem pour les talk-shows, animés par des éditorialistes à qui il reproche de ne jamais sortir de leurs studios, mais d’être au courant de tout ce qu’il se passe dans son club. Le constat a le mérite de la franchise, mais ne pousse pas certains médias à le ménager, dès que le navire girondin tangue un peu. Pourtant, « JLT » était peut-être le dernier dirigeant de grand club français à décrocher son téléphone dès qu’une mise au point était nécessaire, qu’il estimait sa parole indispensable à la rédaction d’un papier. Et ce, même si l’accueil n’était pas toujours chaleureux. Un « Qu’est-ce que tu m’emmerdes alors que je suis à la pêche » n’étant jamais à exclure. C’était aussi ça, le personnage Jean-Louis Triaud, que trop de médias et de supporters n’ont jamais réussi à cerner, préférant se vexer plutôt que de discerner la malice et le second degré qui le caractérisaient. Désormais, il se cantonnera au rôle de président du conseil d’administration des Girondins, sans pouvoir exécutif. Si, en conférence de presse, il fait mine de pouvoir enfin « faire tout ce [qu’il a] négligé pendant vingt ans, parfois les week-ends en famille, la viticulture malgré tout même [s’il a pris sa] retraite, et [son] handicap au golf a besoin d’un sérieux progrès » , on devine le sexagénaire déçu. Car c’est Nicolas de Tavernost, le pote d’enfance, qui a décidé de l’écarter. Copains d’avant, vraiment.

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