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L’Advocaat du Diable
Contre la France, le nouveau sélectionneur des Pays-Bas, Dick Advocaat, fait face à son premier véritable test depuis sa nomination en juin dernier. Pas sûr que ce soit une réussite, tant le Petit Général a choisi de s'en remettre au passé pour construire son projet, faisant resurgir ses errements de tacticien soudard.
En juin dernier, lors de l’une de ses premières conférences dans son nouveau rôle, Dick Advocaat avait annoncé la couleur : « Il faudra battre le Luxembourg et s’imposer en France fin août. J’y crois. Si ce n’était pas le cas, je n’aurais pas accepté le poste. » L’ennui, c’est que le Petit Général, surnom en référence à son mentor Rinus Michels, est probablement l’un des rares à y croire aux Pays-Bas. Depuis sa place de troisième au Mondial brésilien, rien ne va plus en équipe nationale néerlandaise. Guus Hiddink puis Danny Blind, prédécesseurs d’Advocaat, n’ont pu empêcher la lente descente aux enfers des Oranje, Blind se permettant même de la précipiter quelque peu avec des choix tactiques et techniques souvent contestables. De fait, à l’heure de tenter de se qualifier pour la Coupe du monde en Russie l’été prochain, Advocaat a bien conscience de la mission commando qui l’attend pour les quatre derniers matchs du groupe A, qui verront les Bataves affronter la France, la Bulgarie, la Biélorussie et la Suède. Les deux premiers rendez-vous sont d’ailleurs cruciaux, alors que les Pays-Bas pointent à trois points des leaders français et suédois (13 points contre 10). Or, le fait de nommer Advocaat à la tête de la sélection pour la troisième fois est déjà un aveu de défaite sur le papier.
Advocaat, faute de mieux
En effet, en choisissant le Petit Général en remplacement de Danny Blind, la KNVB – la Fédération néerlandaise – avait choisi de faire du neuf avec du vieux. Si l’expérience s’est révélée concluante sous Van Gaal entre 2012 et 2014, on ne peut pas en dire autant de celle de Hiddink, incapable de qualifier les Oranje à l’Euro 2016. Il est vrai qu’il est devenu extrêmement compliqué de trouver un candidat sérieux au poste de sélectionneur hollandais, les coachs actuels les plus performants (Bosz, Koeman, Van Bronckhorst, Cocu, voire De Boer) préférant se concentrer sur leurs carrières d’entraîneurs plutôt que de coacher des joueurs tous les trois mois à Zeist. Faute de merles, on mange des grives, et Advocaat finit bondscoach pour un an et demi, histoire de maintenir les apparences jusqu’à l’été prochain. Pourquoi pas, au détail près qu’une équipe nationale en reconstruction mériterait sans doute qu’on lui impose un coach aux méthodes fortes, tourné vers l’avenir. Tout l’inverse du tacticien de 69 ans, pragmatique, qui a eu comme grande résolution pour les Pays-Bas de… faire du vieux avec du neuf (bis) ou, tout du moins, de ne pas modifier grand-chose à la situation actuelle.
Babel, Van Persie, Sneijder : la gérontocratie batave
Pour le premier match d’Advocaat à la tête des Oranje, de surcroît face à un faible adversaire luxembourgeois qui aurait pu lui permettre d’expérimenter, seul le gardien du FC Groningen, Sergio Padt, faisait office de petit nouveau. Certes, des joueurs comme Nathan Aké, Matthijs de Ligt ou Wesley Hoedt sont encore des newbies, ayant débuté avec la tunique orange en 2017, mais cette liste des 23 manquait cruellement d’aventure. Rebelote deux mois plus tard avec l’annonce du groupe face à la France et la Bulgarie : seul l’Ajacide Donny van de Beek, 20 ans, est vierge de toute sélection, auquel on peut ajouter la convocation de dernière minute du néophyte Timothy Fosu-Mensah en remplacement de Kenny Tete, blessé. Surtout, Advocaat a fait des choix surprenants pour ces deux confrontations. D’abord, celui de rappeler Karim Rekik alors qu’il vient à peine de ressortir des geôles phocéennes pour s’installer au Hertha Berlin.
Ensuite, celui de ressusciter deux dinosaures de l’offensive hollandaise. Ryan Babel – ok, il n’a que 30 ans, mais sa dernière sélection remonte à 2011 – invité dans le groupe élargi, mais finalement pas retenu, et surtout, Robin van Persie, absent de la liste des invités depuis octobre 2015 et une défaite face à la Tchéquie qui scellait la non-qualification des Pays-Bas pour l’Euro 2016. Destitué du brassard de capitaine au profit de Robben en 2014, Van Persie était devenu l’ombre de lui-même après un superbe Mondial, et pas sûr que sa gloire passée puisse relancer la machine. Dernier exemple d’un sélectionneur définitivement tourné vers le passé – l’expérience, dirons certains : Advocaat avait sommé Wesley Sneijder, 33 ans, de trouver un nouveau club cet été. Auquel cas, il ferait partie du groupe contre la France. Et malgré la méforme flagrante du meneur de jeu, il serait peu étonnant de le voir débuter face aux hommes de Didier Deschamps.
Advocaat et Gullit, à mercenaire, mercenaire et demi
Ces choix pourraient traduire un comportement qui a infusé tout au long de la carrière d’entraîneur d’Advocaat, notamment de plus en plus visible ces dernières années : une tendance au mercenariat, voire à un certain détachement. Sous couvert d’un supposé besoin d’expérience, le Petit Général démontre son manque de solution face à la chienlit que connaît la sélection, alors même qu’il n’a disputé qu’un match. Danny Blind tentait au moins des choses. Des choses qui n’avaient aucun sens, mais il les tentait néanmoins. Avec Advocaat, c’est : « Allez les stars, jouez au football, gagnez des matchs ! » Le pire, c’est qu’il se pourrait que ça marche, pour quelques mois en tout cas. Alors, Advocaat quitterait la sélection en sauveur, qualifiant in extremis les Pays-Bas pour le Mondial russe, mais laisserait un beau merdier et un problème non résolu à son successeur.
Autre renard dans le poulailler batave ? Ruud Gullit, pas aussi performant comme entraîneur que comme joueur et connu notamment pour sa propension à choisir des projets « sportifs » (LA Galaxy, Terek Grozny). L’ancien joueur de l’AC Milan et du PSV a donc été nommé adjoint d’Advocaat… après avoir refusé une première fois la proposition. Et pour cause, Gullit et Advocaat, c’est une relation de je t’aime moi non plus qui dure depuis 1994. À l’époque, Advocaat est déjà sélectionneur. Gullit, la star de la sélection. Pourtant, Advocaat ne construit pas son équipe autour de lui, le place dans le couloir droit, et la Tulipe noire décide de lâcher la sélection juste avant la World Cup 94, déclarant en conférence de presse que les choix tactiques du Petit Général étaient « un pur suicide » . Sur un malentendu, ça peut marcher. Après tout, la KNVB n’attend qu’une seule chose du duo : mener à bien une mission-suicide aux portes de la Russie.
Par Matthieu Rostac, à Amsterdam