- En route vers l'Euro
- Top 100 Angleterre
- n°2
L’adieu aux Reds de Kevin Keegan
Liverpool a tout donné à Kevin Keegan, et vice versa. Alors quand il annonce au beau milieu de la saison 76-77 qu'il vit ses derniers mois en rouge, Anfield se met presque à détester son prodige. Mais Keegan n'aime pas partir fâché, et prend soin d'offrir un championnat et une Coupe d'Europe aux Reds avant de s'en aller. Une façon de reconquérir les cœurs, et d'écrire les dernières lignes de sa légende avec le club de sa vie.
Ces Reds étaient incroyables, sans doute les plus beaux de l’histoire de Liverpool. À partir de 1970 s’ouvre une décennie au cours de laquelle les Scousers avaient décidé de tout gagner. Sur sa ligne de but, Ray Clemence écœure tout ce qu’il peut d’attaquants adverses. En défense, il s’appuie sur l’indéboulonnable Phil Thompson, natif de la ville. Ian Callaghan, lui aussi born & raised à Liverpool, ratisse le milieu de terrain, tandis que, devant, ce sont John Toshack et Kevin Keegan qui régalent. Une bande qui a offert à Anfield ses plus belles années, en envoyant un nombre fou de trophées dans la vitrine du club. Arrivé en 1971, Kevin Keegan est depuis devenu le chouchou de ces gens, une icône incontournable. Un homme qui a marqué son premier but avec Liverpool en seulement 12 minutes de jeu ne pouvait que plaire. Débarqué à vingt ans à peine en pensant jouer au milieu de terrain, il est vite devenu le chef-d’œuvre de Bill Shankly, qui en a fait l’un des meilleurs attaquants du monde. Un coup de maître de la part du technicien, un plafond de la chapelle Sixtine footballistique. Mais au milieu de la saison 1976-1977, alors que Liverpool s’apprête à jouer la gagne en championnat et reste en lice en FA Cup et en Ligue des champions, Keegan brise le cœur de tout un peuple en annonçant qu’il quittera le club à la fin de la saison. Il ne sait pas encore où il ira, mais juste qu’il veut joueur ailleurs qu’en Angleterre. En un battement de cils, le héros est devenu paria.
L’arrivée de Keegan à Liverpool, « un vol avec violence »
Liverpool n’arrive pas à y croire. Comment Keegan, qui doit tout aux Reds, ose-t-il claquer la porte ? La réalité est que le départ de son mentor, Bill Shankly, l’a beaucoup marqué et qu’il n’a pas trouvé la même alchimie avec son remplaçant Bob Paisley. « Le départ de Bill a certainement joué un rôle dans ma décision de partir. Sans manquer de respect à Bob, mais quand Bill est parti, c’est comme si la moitié du club s’en allait, pour moi. Personne ne pouvait le remplacer » , déclarera Keegan peu après son départ. Un Bill Shankly qui, après avoir acheté le jeune Keegan au petit club de Scunthorpe pour une bouchée de pain, avait annoncé que Liverpool venait de commettre « un vol avec violence » .
La formule est à peine exagérée, et Liverpool avait renoué avec le succès quasiment immédiatement après l’arrivée de Keegan, notamment avec le doublé championnat/Coupe de l’UEFA de 1973 et cette finale au cours de laquelle il claque un doublé victorieux. L’année suivante, c’est la FA Cup qu’il ramène du côté de la Mersey en y allant encore de son doublé en finale. Lors de la Coupe de l’UEFA 1976, à nouveau remportée par Liverpool, il sauve encore les siens en marquant en finale au match aller et au match retour, histoire de faire chavirer le cœur des Liverpuldiens définitivement. Également champion d’Angleterre cette saison, Keegan terminera 2e du Ballon d’or à trois misérables points d’Allan Simonsen. Et c’est cet homme, ce lutin génial d’1m73, qui allait quitter le navire pour le simple plaisir de découvrir le continent ? Anfield pensait ne jamais pardonner à Keegan. Mais Keegan saura reconquérir le cœur de sa belle en jouant une dernière saison d’extraterrestre.
La Ligue des champions pour dire bye bye
L’objectif de Kevin Keegan est clair, remporter tout ce qu’il peut avant de mettre les voiles. Il lui reste quelques mois et trois tableaux à disputer. Liverpool est premier du championnat au 31 décembre 1976, mais Ipsich Town et Manchester City lui colleront au train jusqu’au bout. Et pour que le troisième et dernier titre de champion de Keegan avec Liverpool soit le plus beau, les Reds l’emporteront finalement d’un point devant City. La FA Cup avait elle aussi sorti le tapis rouge pour les adieux de Keegan, en lui offrant l’honneur d’une finale de rêve face aux honnis Manchester United. Un cadre idéal pour un dernier bal anglais, mais Liverpool se craque et repart avec la queue entre les jambes. Avec un joli lot de consolation malgré tout, puisqu’il leur reste une finale de Ligue des champions à disputer, le clap de fin parfait pour clore l’aventure entre Kevin Keegan et l’équipe de son cœur.
Et en ce 25 mai 1977, au Stadio Olimpico de Rome, Keegan connaît plutôt bien son adversaire, le Borussia Mönchengladbach qu’il avait déjà martyrisé quatre ans plus tôt en finale de l’UEFA. Simonsen, qui lui a chipé le Ballon d’or, mène l’attaque du club allemand et le défenseur Berti Vogts est censé être une assurance anti-Keegan. L’Anglais balaiera tout sur son passage, jouant une partition de maestro et rendant fou Vogts au point de lui faire provoquer le penalty qui scelle le match à la 82e. « Il nous a battus tout seul » , dira Simonsen. Liverpool remporte la première C1 de son histoire, et Keegan peut tirer le rideau satisfait. Il plie bagage après avoir marqué 100 buts tout rond pour Liverpool, et s’envole pour Hambourg où son Ballon d’or l’attend. En ayant fait passer Liverpool du rouge de la colère à celui du plaisir en quelques coups de pied.
Alexandre Doskov