- Pays-Bas
- Disparition de Johan Neeskens
L’adieu à Neeskens, l’autre Johan des Oranje
Avec le décès de Johannes Jacobus « Johan » Neeskens survenu ce lundi à 73 ans, le cercle des poètes disparus de l’Ajax et des Oranje des années 1970 s’est encore rétréci. Se faire un nom aura été le grand mérite de « l’autre Johan ».
Été 1973. L’Ajax über alles, vainqueur des trois C1 d’affilée 1971, 1972 et 1973, est en stage à De Lutte, près de la frontière allemande. Le nouveau coach George Knobel a fini son speech en annonçant que le nouveau capitaine serait choisi par les joueurs. Johan Cruyff, porteur du brassard, est ulcéré par ce crime de lèse-majesté qui l’oblige à passer au vote face à Barry Hulshoff et Piet Keizer. Ce dernier est élu avec une douzaine de voix. Cruyff, battu et alors décidé à quitter l’Ajax pour le Barça, n’en a recueilli qu’entre trois et cinq. Dont celle de Johan Neeskens, loyal et fidèle écuyer qui s’en est allé ce lundi, à l’âge de 73 ans.
Neesken, l’Ajacide surdoué
L’histoire d’amitié quasi fraternelle entre Johan 1er et Johan Segon (« Johan le second », son surnom en néerlandais) a débuté à l’orée de la saison 1970-1971. C’est le coach de l’Ajax, Rinus Michels, créateur d’un football total bientôt au top mondial, qui avait repéré l’infatigable milieu de terrain de 18 ans qui évoluait en D2, au RC Heemstede, à 20 kilomètres d’Amsterdam. En août 1970, Rinus avait lancé Johan dans un match amical de présaison contre Chelsea. Juste la première période, le temps pour le rookie de faire une passe décisive à Johan-le-Grand. Banco ! Le beau gosse blond aux yeux bleu illuminé, cadet de quatre ans, est adoubé par le boss.
La suite est une rêverie de football pour Johan II dont la polyvalence (football total, n’est-ce pas ?) lui permet de reculer en latéral droit, en lieu et place de l’immense Ruud Krol, blessé et forfait, lors de la finale de Coupe des clubs champions 1971 (ancêtre de la Ligue des champions). À 19 ans, à Wembley, le p’tit nouveau participe au premier sacre européen de l’Ajax en battant le Panathinaïkos (2-0) ! Deux autres C1 suivront, ainsi que deux Supercoupes UEFA (1972, 1973) et une Coupe intercontinentale (1972). Johan Segon gagnera donc ce surnom en restant un proche de « Cruyffie », dont l’autoritarisme parfois blessant ne plaît pas à tous ses coéquipiers.
C’est l’admiration sans borne pour son aîné qui scellera leur pacte de fidélité. « Johan Cruyff lisait le jeu comme s‘il savait à l’avance ce qui allait arriver, racontait-il dans L’Équipe. Et il ne se trompait pas. Quand il vous disait : “Vas-y fonce !”, vous pouviez vous dire : “Mais pourquoi moi, et maintenant ?” Quelques secondes plus tard, vous teniez l’explication : vous aviez, par exemple, créé un espace pour un autre. » Tactiquement, dans le milieu en 4-3-3 qu’il occupait avec Arie Haan et Gerrie Mühren, Rinus Michels avait dévolu à son jeune milieu défensif un rôle plutôt destructeur : c’est lui qui actionnait le pressing carnassier, en tant que voltigeur. En premier chasseur agressif, il symbolisait à merveille l’aspect bipolaire du grand Ajax des années 1970 : doté d’une très bonne technique et buteur occasionnel, ce précurseur du registre de box to box à la manière d’un Paul Scholes mettait aussi de l’impact tabasseur dans les duels, écornant ainsi la vision trop policée d’un « Ajax joliment esthétique ».
Pays-Bas–Brésil 1974 : signé Johan & Johan !
À la Coupe du monde 1974 en Allemagne, Johan Neeskens a été un fabuleux concertiste au sein de l’Orchestre orange, composé pour moitié d’Ajacides. En numéro 13 proche du 14 du Maître, il se distingue par la puissance inouïe de ses deux penaltys transformés contre la Bulgarie en poule (4-1). Il est encore à la manœuvre au milieu pour chasser le porteur adverse et faire remonter le bloc, pareil à une marée orange qui déferle sur l’adversaire. Mais c’est au second tour, dans une quasi-demi-finale contre le Brésil, que Johan II va cesser d’être l’ombre de Johan 1er en accédant lui aussi à la lumière éternelle de son aîné, qu’il aura partagée au moins une fois : il marque d’une reprise splendide après un une-deux avec Cruyffie (1-0) et ce dernier achèvera la Seleção en marquant d’un bond de félin (2-0).
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En finale, face à la RFA, au bout de deux minutes, les deux compères offriront prématurément, avait-on cru, le titre suprême à une « Hollande » favorite avant de jouer. Johan Neeskens transforma le penalty acquis sur un dézingage de Cruyff, parti en raid, au bout de 50 secondes de jeu. La frappe violente de Johan a soulevé un nuage de craie comme un pistolet encore fumant… Mais la RFA reviendra à 2-1 à la mi-temps, et la course-poursuite désespérée en seconde échouera notamment sur une volée surpuissante de Neeskens, repoussée pratiquement à bout portant par Sepp Maier ! Ce 7 juillet 1974, le « football romantique » avait le visage déçu de Johan Neeskens, cheveux longs, yeux clairs et favoris seventies à la Led Zep…
Après la Coupe du monde, Johan Neeskens rejoindra Cruyff (et Rinus Michels) au FC Barcelone pour un bail mi-figue mi-raisin, puisqu’il n’y remportera avec son aîné qu’une Coupe d’Espagne en 1978. Après le départ de Johan 1er pour les USA, Neeskens remportera avec le Barça la C2 1979. Entre-temps, il avait disputé le Mundial argentin 1978 où, parvenu à nouveau en finale avec les Oranje, il échouera face à une Argentine survoltée portée par tout un peuple (3-1 A.P.). Johan avait été parmi les leaders du groupe qui mirent un point d’honneur à ne pas aller serrer la main du dictateur Videla…
Ensuite, Johan II alla lui aussi cachetonner aux USA, au New York Cosmos, décrochant deux titres de champion NASL (1981 et 1982). En novembre 1981, il avait honoré sa 49e et dernière sélection au Parc contre la France de « Oui, Michel ! » sur une défaite 2-0 synonyme d’élimination pour le Mundial 1982. Après des piges à Groningen (1985) et aux USA (South Florida Sun, et en indoor aux Kansas City Comets), il a raccroché officiellement en 1991 au FC Zug, en Suisse, à presque 40 ans. Il reviendra dans le game en coach assistant de Guus Hiddink avec les Oranje au Mondial 1998, puis de Frank Rijkaard à l’Euro 2000. Il assistera ensuite encore ce dernier au Barça (2006-2008). Ces dernières années, Johan Neeskens s’était discrètement engagé avec sa femme Marlis dans des projets caritatifs auprès de la jeunesse urbaine défavorisée. Gentleman jusqu’au bout.
Par Chérif Ghemmour