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L’addition salée de Szalai
Sevrée d’Euro pendant 44 ans, la Hongrie a pleuré de bonheur en parachevant sa qualification contre la Norvège et en terrassant le rival autrichien 2-0 d’entrée de jeu. Écarté du barrage retour budapestois en novembre, l’attaquant magyar de Hanovre, Ádám Szalai, avait néanmoins tenu à marquer le coup en rinçant un bar entier d’eau de vie. Depuis, il s’est racheté une estime en ouvrant le score à Bordeaux. Manière d’éponger ses difficultés en sélection et son parcours relativement chaotique en Bundesliga ?
L’endroit ressemble à des dizaines d’autres sur le grand « körút » (boulevard) de Budapest. Un troquet type, où les jeunes du coin enquillent les pintes à 400 forints (1,30 €) le week-end en descendant du tram 4-6 traversant l’axe central de la capitale hongroise. Arrêt Wesselényi utca ou Király utca de préférence. D’ailleurs, ce n’est pas loin du premier que les beuveries classiques ont explosé les standards mi-novembre. Le missile de Tamás Priskin, préféré à Szalai, l’habituel titulaire en pointe, soulève la Groupama Aréna, et la Hongrie file vers l’Euro. Mais au lieu de ruminer, Ádám a foutu le dawa au Négyes-Hatos Sörözö.
Pendant que Bernd Storck et le staff sabrent le champagne dans le vestiaire, Szalai s’invite derrière le comptoir budapestois et balance la sauce bourré comme un coing : « On s’est enfin qualifiés après 44 ans ! Vous en avez chié comme supporters, putain ! C’est pour nous soutenir que vous êtes venus là. Et c’est pour ça que vous allez tous descendre une pálinka (fameux alcool magyar, ndlr) et que personne n’ira au pieu avant 7 heures du mat’ ! » S’il n’a inscrit aucun but décisif, Ádám réussit néanmoins a transporter une foule en quatre phrases diffusées sur YouTube par un groupe de fans du onze hongrois.
« Ádám a ambiancé la soirée »
Pourtant, hormis la perf’ du « Nemzeti 11 » , Ádám n’avait pas énormément de raisons de faire la nouba accompagné de son frangin Vilmos, défenseur au sein de la modeste équipe des Nyíregyháza Spartacus. Passé par la réserve de Stuttgart, la Castilla, Mayence, Schalke et Hoffenheim, il peut tout juste s’enorgueillir d’une saison 2012-2013 convaincante en Rhénanie lors de laquelle il dépasse le record de finitions d’un Hongrois en Bundesliga (13 contre les 11 de Lajos Détari en 88-89 avec Francfort), d’un exercice 2013-2014 honorable à Gelsenkirchen (28 matchs, 7 pions) et de ses 33 capes internationales.
Insuffisant pour supplanter l’aura d’un Király adulé en Allemagne, désormais papy historique de l’Euro. D’un Pál Dárdai non plus, coéquipier de survet’ de Gábor à Berlin qui s’est glissé sur le banc de son Hertha chéri et a ramené « Die Alte Dame » dans l’Europe six saisons après sa dernière apparition. Insuffisant encore face à un Balázs Dzsudzsák dont le quota de gros mots à la minute, la palanquée de bagnoles de luxe, l’appât du gain et la mèche blonde ont forgé la renommée. Szalai, lui, doit se contenter des critiques incessantes concernant son inefficacité devant les cages adverses et de cette fiesta de malade mental devenue virale sur la toile.
« Je ne connaissais pas Ádám personnellement. Il a vraisembablement checké notre adresse sur Internet et vu que beaucoup de gens viennent prendre des verres et s’amuser chez nous… C’était le seul gars de la sélection qui s’est ramené. Ádám a demandé en criant combien il y avait de personnes présentes à l’intérieur des lieux. Les clients étaient environ deux cents à ce moment-là, alors il a ordonné qu’on leur serve un shooter à chacun immédiatement. Ádám a ambiancé la soirée à lui tout seul » , raconte Máté Gebura, gérant du bar qui observait le bordel depuis son domicile par caméra de surveillance interposée.
Very bad cuite
Invité à une conférence de presse le lendemain lundi histoire d’évoquer le succès de ses potes, Szalai admettra ne plus se souvenir du boucan de la veille qu’il a lui-même provoqué. Hilarité générale. De quoi requinquer le gamin de Kispest façonné au Honvéd et convoqué dès les U16 chez les A magyars. Un gaillard haut perché d’un mètre 93 avide de golaçaos comme l’ex-Auxerrois Kálmán Kovács. Couronnant d’ailleurs sa première cape senior d’un triplé contre Saint-Marin (8/10/2010). Seulement voilà, jusqu’à l’Euro, Szalai n’avait plus planté depuis deux ans, et les doutes persistent sur son compte.
« Beaucoup remettent injustement en cause les capacités d’Ádám, ce qui l’exaspère autant que moi » , avance Dárdai qui l’a supervisé comme sélectionneur et observé en Bundesliga. « Son style n’est pas somptueux, mais il se donne à fond dans l’intérêt de l’équipe. Son intelligence de jeu nous a souvent aidés à obtenir des contres dangereux partant du rond central. Il a besoin d’une équipe forte en face de lui pour s’améliorer. Son niveau a énormément progressé depuis qu’il est en sélection. Je ne compte plus les fois où il s’est retrouvé coincé entre deux-trois défenseurs et s’est débarrassé d’eux aisément. »
À l’instar de son prédécesseur, Bernd Storck apprécie Szalai. Au point de le propulser attaquant numéro un du « Nemzeti 11 » malgré un Nikolić énorme au Legia Varsovie et un Priskin prêt à assumer le job. En Hongrie, on hurle volontiers au piston, compte tenu des piètres contributions du bonhomme. Pas impossible vu son prisme germanique. Le futur Raúl, tel qu’il était présenté par la presse locale, semble encore aujourd’hui chercher sa voie malgré sa glissade ayant débloqué le choc contre les Autrichiens. Trinquer facilite le dialogue. Mais prudence : en football, lever le coude mène généralement au carton.
Par Joël Le Pavous