- Les pépites de Football Manager dans la vraie vie
Labinot Harbuzi, joue-la pas vraiment comme Zlatan
Dans un univers parallèle issu de Football Manager ou de son ancêtre Championship, ils ont été des cracks : buteur industriel, muraille infranchissable, artiste ultra-créatif... La réalité a été moins tendre pour eux. Dans cette funeste caste, le meneur de jeu Labinot Harbuzi : voisin de palier de Zlatan Ibrahimović et trajectoire foireuse.
2 août 2010. conférence de presse dans les travées du Camp Nou à Barcelone. Sandro Rosell, fraîchement élu président du Barça, est fier de poser avec sa nouvelle recrue, Labinot Harbuzi, arraché pour 70 millions d’euros à l’Olympique lyonnais où il évoluait avec succès depuis deux ans. Fort d’une saison réussie qui l’a vu emmener l’OL en finale de la C1 et arracher un triplé historique en France, le génial milieu suédois sort également d’une Coupe du monde parfaite avec la Suède, ponctuée par une troisième place, cinq buts, trois passes décisives et surtout le titre de meilleur joueur du tournoi. Sitôt la compétition terminée, la situation d’Harbuzi est devenu le feuilleton de l’été. C’est Florentino Pérez qui a lancé les hostilités le 14 juillet, en déclarant que « Labinot Harbuzi est né pour jouer au Real Madrid. Non, le Real Madrid a été fondé pour un jour accueillir Harbuzi » . Il n’en fallait pas plus pour que le Suédois parte au clash avec Lyon – alors que le club s’est pourtant officiellement affirmé ouvert à la négociation avec la Maison Blanche – afin d’obtenir « un transfert dans le club où il a toujours rêvé de jouer » . Le 19 juillet, le joueur affirme en conférence de presse qu’il jouera au Real Madrid ou nulle part ailleurs, menaçant par là même d’arrêter sa carrière au sommet. Au final, un contrat à 900 000 euros brut mensuels lui est proposé par les Merengues, mais le Suédois s’engage avec le FC Barcelone le 1er août, où il va émarger à 920 000 euros. « Le FC Barcelone est le club préféré de mon grand-père » , a-t-il justifié lors de ses premiers mots en Catalogne…
Originaire de Rosengård, comme Zlatan
Labinot Harbuzi aurait bien aimé que le paragraphe précédent soit tiré de sa biographie réelle. Il est simplement inspiré d’une partie de Football Manager 2005 dans laquelle le milieu suédois est un monstre. Il faut préciser que Labinot Harbuzi avait tout pour réussir une belle carrière dans le monde réel : de la technique, de la créativité, un sens de la passe unique. Mais la réussite implique également de faire les bons choix au bon moment ou encore de savoir tenir sa langue. Or, les erreurs de timing et les déclarations à l’emporte-pièce sont un fil conducteur dans l’histoire du Suédois. La première gaffe : partir au Feyenoord Rotterdam à 15 ans, accompagné de toute sa famille pour finalement ne jouer qu’en réserve ou en D2 néerlandaise, le temps d’un prêt à l’Excelsior Rotterdam en 2004-2005. Souvent blessé, Harbuzi ne dispute que dix matchs et repart au Feyenoord pas plus avancé. Pas à la hauteur des promesses. Originaire du Kosovo, que sa famille a fui en raison de la guerre, Labinot Harbuzi a grandi et joué à Rosengård, en banlieue de Malmö. Comme un certain Zlatan Ibrahimović, son modèle et joueur préféré. Mais la trajectoire du meneur de jeu, plutôt que de prendre le pli du Parisien, a plutôt suivi la courbe d’une autre gloire rosengardienne, Yksel Osmanovski, ancien intermittent à Bordeaux.
Le Labinot a cependant droit à une seconde chance, à Malmö, qu’il avait quitté adolescent, plein d’illusions, en 2003. Trois ans plus tard, il revient par une grande porte, celle de l’infirmerie et en béquilles suite à une opération du ménisque. Le moment n’est pas spécialement bien choisi pour signer dans un nouveau club, mais Harbuzi déclare au quotidien Sydvenskan que « Malmö est le meilleur choix » malgré l’intérêt de clubs néerlandais et russes. Il ne regrette pas sa période au Feyenoord, car il a « progressé constamment » , et le montre rapidement sur le terrain avec des gestes de grande classe. Pour la première fois de sa jeune carrière, à 20 ans, Harbuzi devient indispensable à une équipe, à tel point que les portes de l’équipe nationale suédoise s’entrouvrent. Demi-finaliste de l’Euro espoir 2009 avec la Suède – en compagnie du Rennais Toïvonen – Labinot Harbuzi est pressenti en A, il a d’ailleurs ses soutiens. Jan Majlard, du quotidien Swenska Dagbladet, milite pour lui dans un article où il présente le meneur de jeu comme « le camarade de Rosengård dont Ibrahimović a besoin » . Encore aujourd’hui, le journaliste suédois se souvient qu’Harbuzi « ressemblait à un meneur de jeu de classe mondiale, un peu lent, mais avec une vision et une technique hors du commun » .
Labinot Harbuzi, ephémère nouvel Ibrahimović
Mais alors que tout semble s’enchaîner dans le bon sens, le milieu d’origine kosovare fait de nouveau parler son sens du timing en 2009 : à six mois de la fin d’un contrat qu’il refuse de renouveler avec Malmö, Harbuzi s’engage avec Gençlerbirliği. Il lui reste six mois à tirer dans le championnat suédois, pas un drame, sauf que le joueur l’ouvre dans les médias. Il se félicite publiquement du transfert et déclare à Fotbollskanalen que « le club turc est mieux que Malmö » et qu’il a encore à supporter « six mois d’enfer avant de pouvoir vivre comme un roi » . Il n’en fallait pas moins pour casser l’ambiance et s’embrouiller avec la direction de Malmö. Début 2010, il débute en Turquie et plutôt bien, ce qui lui vaut l’intérêt de plus gros poissons, comme Galatasaray et Fenerbahçe. Mais Gençlerbirliği ne veut pas entendre parler d’un départ de sa nouvelle perle. Bingo, tout va donc partir en vrille : la motivation baisse, Thomas Doll, l’entraîneur qui l’a choisi, se fait lourder, et avec son nouveau coach, le courant ne passe pas. « Il n’accepte pas mon opinion » explique Harbuzi sur Fotbollskanalen, avant de résilier en décembre 2011. Après coup, il attribue son échec à Gençlerbirliği à la politique sportive du club turc, lequel chamboule trop souvent son effectif. L’occasion de prendre en exemple le club qu’il a précédemment pourfendu : « À Malmö, le projet de jeu est dans la moëlle épinière, tout le monde sait exactement quoi faire et c’est leur force. Ici (Gençlerbirliği), on ne sait pas comment les autres fonctionnent… » dit-il au Fotbollskanalen. Timing du feu de dieu, encore une fois.
Harbuzi a beau se retrancher derrière le choc des cultures pour expliquer son échec, il reste sur place. Pas pour jouer à Galatasaray ou Fenerbahçe, mais pour relever le challenge sportif de Manisaspor. Bien qu’il soit « honoré de rejoindre le club » , Harbuzi ne s’y impose pas et taille rapidement la route pour revenir en Suède, à Syrianska, qu’il voit comme un tremplin pour rejouer avant de retenter sa chance à l’étranger. Nouvel échec, à défaut d’avoir des solutions sur le terrain, le meneur de jeu se trouve des circonstances atténuantes : « L’équipe était en cours de saison et les joueurs en pleine forme physique, pas moi qui manquait de rythme. Quand on revient de l’étranger, il ne suffit pas de se placer sur la ligne de départ, il faut un certain temps. » Ou alors le sens du timing, ce qu’Harbuzi n’a toujours pas acquis en 2013, après une nouvelle pige mitigée dans le petit club de Prespa Birlik, en D2 suédoise. Cet échec reste une énigme pour le journaliste sportif David Larsson, de TV4 : « Il était tellement bon que certains médias l’appellaient le nouveau Ibrahimović. C’est donc dur de comprendre pourquoi il n’a pu s’imposer, même en division inférieure. »
Une belle note de potentiel
Jeroen Thijssen, chef de recherches Pays-Bas pour Sport Interactive, est le scout qui a évalué Labinot Harbuzi pour Football Manager 2005, il se défend d’une erreur de jugement à l’époque : « C’est toujours difficile de juger de jeunes joueurs, en particulier s’ils ne sont pas déjà dans la base de données de FM. Labinot était considéré comme une grande promesse, et il avait joué brillamment une vingtaine de matchs en U17 et U19 suédois. Même s’il n’était pas dans l’équipe première du Feyenoord, il avait été bien noté par mon assistant, un spécialiste du club. » Pour Thijssen, l’algorithme de Football Manager, qui prévoit l’évolution possible d’un joueur, ne pouvait prendre en compte les sorties de route d’Harbuzi : « Nous avions évalué Harbuzi comme un jeune talent, donc on lui avait attribué une note de potentiel pouvant en faire un excellent joueur. » La réalité a été moins tendre que les millions d’histoires générées par FM 2005, car à 27 ans, Labinot Harbuzi cherche aujourd’hui un club qui lui permettra de renaître au football. Quant à ses rêves d’équipe nationale et de Real Madrid, ils semblent bien trop loins désormais.
Labinot HarbuziNé à Pristina au Kosovo le 4 avril 1986
1,80m, 68kgMilieu offensif
International espoir suédois (6 sélections, 1 but)
Clubs : Malmö (2000-2001), Feyenoord (2002-2004), Excelsior Rotterdam (2004-2005), Feyenoord (2005-2006), Malmö (2006-2009), Gençlerbirliği (2009-2012), Manisaspor (2012), Syrianska (2012), Prespa Birlik (depuis 2013)
Par Nicolas Jucha