- Journée mondiale de l'alphabétisation
L’abécédaire du football
C'est la journée de l'alphabétisation. Mais apprendre à lire et à écrire commence d'abord par maîtriser les fondamentaux : réciter son alphabet du foot en fait partie.
A comme Argentine 1978. Le foot peut-il se livrer à un examen de conscience. Peut-on se rendre dans un pays dont la dictature assume pleinement ses horreurs au nom de la lutte contre la sédition communiste ? Le petit monde du ballon rond va trancher et même offrir gentiment un trophée, avec emballage cadeau, à Videla et Kempès. Toutefois, désormais, il sera impossible d’expliquer que ce sport n’est pas politique.
B comme Battiston. Tout part de là. De cette course vers l’exploit qui se fracasse sur Harald Schumacher. Pour toujours, ce n’est pas la bonne génération qui a gagné la première Coupe du monde du football tricolore. L’Allemagne demeure pour toujours une équipe à battre. Ne me dites plus que ce n’est que du foot.
C comme Cockney Rejects. Manchester City peut se rhabiller avec Oasis et ses frangins en thérapie de couple. Un seul club a compté de vrais musiciens hooligans : West Ham avec les Rejects qui portèrent haut leur street punk trempé dans l’humeur prolo et bastoneuse de l’East End. Ils furent même capables d’imposer leur version de l’hymne des Hammers, « I’m forever blowing bubbles » dans les charts.
D comme Dhaleb. Quand ton fils sait que le plus grand joueur du PSG s’appelle Mustapha Dahleb et pas Ibra, l’essentiel de son éducation est assurée. Et bien sûr la Coupe du monde de 1982, la victoire sur la Mannschaft et après le match de la honte. Mais les héros du peuple sont immortels, de Paris à Alger…
E comme Edel. Si qui que ce soit un jour ou en soirée tente de vous convaincre que le foot peut se mettre en équation, qu’il est possible de tout prévoir, que les recrutements peuvent s’anticiper, se rentabiliser, il vous suffira d’invoquer le grand nom de ce gardien de but qui restera la démonstration incontestable que le surnaturel n’a pas dit son dernier mot.
F comme Foot à 7. Le foot est plus grand que la FIFA. Si le rugby à 7 a réussi à se faire une place aux JO, autant se battre pour que son équivalent footballistique, hautement plus crédible, accède lui aussi au monde des anneaux.
G comme Garrincha. Sans folie pas d’art. Quelques joueurs ont su élever le foot au niveau de sept autres branches séminales. Parmi eux, le diable boiteux de Botafogo. Il fut aussi l’amant de l’Eartha Kitt de la samba, Elza Soares, pour laquelle, selon la légende, il sacrifia son talent et sa santé. Comment lui en vouloir, les matchs en noir et blanc n’auraient plus aucun intérêt sur Youtube sans lui…
H comme Hristo Stoitchkov. Ou comment un joueur gagne à se faire détester. Sublime car insupportable, ce Bulgare à la sauce catalane qui marquait comme ses prédécesseurs jouaient du parapluie.
I comme Itinéraire. Se rendre au match. Le chemin du stade. Le voyage en bus. Le vol transatlantique. Le foot est une migration de l’imaginaire. Comme le disait le grand Georges Clemenceau : « Le meilleur moment de l’amour, c’est quand on monte l’escalier. » La vraie excitation en matière de ballon se manifeste avant le coup de sifflet des 90 minutes.
J comme Juridiction. Une grande partie du foot se résume désormais à cette question de droit, à qui faut-il rendre ou demander des comptes : tribunal administratif du sport, parquet de Paris, tribunal fédéral suisse, cour suprême des états-unis….
K comme Kaiser Chief. Un club sud-africain qui donne son nom à un bon groupe de rock anglais, si Aston Villa avait eu droit à autant de respect de la part de la France, ce monde serait presque parfait.
L comme Lois du foot. Pour qu’il existe, le foot doit être universel, et toute religion possède donc ses Tables de la Loi. Elles ont évidemment changé, évolué, cependant tout le monde est contraint de s’y soumettre. Et pour le reste, on a mis sur le terrain un arbitre comme cœur de cible.
M comme Roger Milla. À trente-huit ans, il sauve à lui seul du naufrage un Mondial italien qui menace de momifier l’esprit du jeu. Avec les Lions indomptables, il réalise un exploit inattendu et bien vite ramené à la triste réalité par la perfide Albion. Depuis, on attend encore que le miracle africain nous enjaille de nouveau.
N comme Nicosie. « Un nul contre une équipe de marins pêcheurs. » 1988, deux ans à peine après une troisième place au Mexique et une rencontre divine contre le Brésil en quarts, les Bleus concèdent un nul surprise contre Chypre qui s’avérera étonnement un des grands moments de leur histoire. Car de l’autre coté, ce surprenant résultat marque aussi la fin des « petites équipes » .
O comme Orange mécanique. Peut-on penser le football ? Cruyff et sa bande vont apporter la seule réponse vraiment convaincante à cette ambition intellectuelle sur rectangle vert. Et pour info, un tableau noir c’est pour les maths, pas la philosophie.
P comme Panenka. Pour tous ceux qui ont essayé de l’imiter avec plus ou moins de succès. Pour l’audace aussi. Surtout pour l’audace, en fait.
Q comme Qatar. Vous cherchez ce qui peut causer la mort du foot. 2024 sera peut-être la date fatidique, sans besoin d’un calendrier maya, avec cette Coupe du monde, ces milliers de morts, cette compétition en hiver dans des stades climatisés, la caricature sera si horriblement présente sous nos yeux qu’on ne saura plus rien lui opposer. À moins que Poutine ait déjà fait exploser le machin à domicile en déclenchant une guerre pour un penalty.
R comme Rétrogradation. Le foot français demeure moins une question de titre que de survie. Éviter la relégation la dernière journée sera toujours une émotion plus fidèle à notre ambiance nationale décliniste que de soulever un trophée. Nous sommes le pays du général de Gaulle, de la résistance et des matchs de barrages héroïques entre Strasbourg et Nice.
S comme Sebes. Le brave Gustav fut militant révolutionnaire, ouvrier immigré à Paris et international français du foot ouvrier. Tout ça avant de retourner dans son pays natal devenu communiste pour y apporter un vent de folie footballistique dans la grande tradition créative austro-hongroise. L’Allemagne de l’Ouest, encore, fera tomber son rideau de fer sur cette utopie d’un football socialiste que les chars de l’armée rouge achèveront en 1956.
T comme Totti. À la place du F de fidélité, du C de capitano, du E d’empereur, du P de pouce et du L de lob.
U comme Uruguay. À l’instar de la soul, qui se divise entre ceux qui écoutent Stax et ceux qui préfèrent Motown, l’Uruguay incarna sans conteste le Memphis du foot, là où les choses sérieuses ont commencé. Depuis, le Brésil et l’Argentine ont pris l’ascendant, en écrivant de bien plus belles partitions. Toutefois, quelque part, la Céleste brillera pour toujours des premiers feux.
V comme Virages. Ton virage, ton kop, ton groupe, ta tribune. Compagnon de Guy Debord et de l’Internationale lettriste, Alexis Violet disait que rien n’est pire qu’un patron de bar qui croit que son zinc lui appartient, alors que la propriété morale échoit forcément aux leveurs de coudes. Un stade, normalement, c’est pareil avec ses supporters..
W comme WM. La tactique est une science que les Anglais ont inventé pour savoir pour quelle raison ils perdraient contre les continentaux…
X comme Facteur X. La chance, le poteau carré, le tirage au sort favorable, les rebonds du ballon, la maladresse de l’attaquant… Il existe une part d’ombre que le philosophe Roger Caillois désigne sous le vocable latin d’aléa. Quand rien ne peut expliquer le résultat, c’est toujours mieux que le complotisme..
Y comme Yachine. L’unique gardien de but Ballon d’or. « L’Araignée noire » aurait éclos n’importe où sauf en URSS, elle aurait élevé le poste de gardien de but au niveau de la gloriole des avants-centres. Parfois le destin n’est pas révolutionnaire.
Z comme Zazie. « Mais est-ce que vous les connaissez, ces joueurs de football ? »
Par Nicolas Kssis-Martov