- Le geste technique
- la virgule
La virgule pour les nuls
Contre Paris, Florian Thauvin s'est fait remarquer en ratant parfaitement sa virgule. Pour l'aider avant Clermont, et pour tous ceux qui se sont reconnus dans son vautrage, petit guide de la virgule bien faite.
« Échec (n.m.) : Résultat négatif d’une entreprise, d’une tentative, manque de réussite ; défaite, insuccès, revers. « Subir un échec. » » Le Larousse est formel, le geste tenté par Florian Thauvin à la 78e minute du Classique de dimanche est un échec, un flip-flap suivi d’un gros flop. Tout commence pourtant bien pour le Marseillais, qui dépose Verratti d’un joli crochet extérieur dès la première minute. Mais Marco, sorti à la 60e en faisant la gueule, peut retrouver la banane vingt minutes plus tard : sur le côté gauche, face à Marquinhos, Florian invente le point-virgule et se vautre magistralement, concédant la touche par la même occasion. Twitter explose, la France du foot a des crampes aux abdominaux. Du moins, celle qui en a, des abdos. Et sans forcément savoir placer cette virgule magique. Alors, parce que rire, c’est bien, mais que faire, c’est mieux, petit guide pour que l’elastico ne vous revienne pas à la gueule. Ni à celle de Flo Thauvin.
Florian « Ô Fenomeno dô circo » Thauvin ¤Crazy Skills vs PSG 1080p¤ pic.twitter.com/h6rBb7yBXW
— MuneGooner (@MuneGooner) 23 octobre 2016
De l’elastico japonais au ghoraf algérien
Avant de passer à la pratique, un petit tour par le solfège que tout maestro se doit de maîtriser. En prélude, il convient de mettre la clef sur la partition : la virgule est, à l’origine, différente du flip-flap ou de l’elastico, puisqu’elle n’utilise que l’intérieur du pied dans un crochet dont la forme épouse celle d’une virgule. Mais puisque le mot est passé dans le langage courant et que le Larousse n’a, sur ce point, pas encore statué, alors va pour l’appellation générique. Ensuite, si le maître incontesté du geste est sans aucun doute Ronaldinho – Manuel Dos Santos s’en souvient encore, parti cueillir des champignons vers le poteau de corner du Parc un soir d’octobre 2002 –, l’inventeur n’en serait pas son compatriote Rivelino. Parce qu’un geste aussi beau ne peut qu’être métissé, il s’agirait en fait du Brésilo-Japonais Sérgio Echigo, obscur coéquipier de Rivelino chez les jeunes des Corinthians au mitan des années 60. Mais Rivelino, en devenant champion du monde, a emporté avec lui le mythe du dribble élastique.
Alors qu’en NBA, Allen Iverson n’a pas encore passé son crossover sur His Airness Jordan, l’elastico débarque en France dans les valises de l’Algérien Salah Assad, qui perfectionne son ghoraf, en V.O., à Mulhouse puis à Paris. Derrière, des générations de défenseurs en prennent pour leur grade, jusqu’à Jérémy Morel, K.O. sur un flip-flap d’Hatem Ben Arfa en novembre dernier. David Duquesnoy, lui, se souvient bien du jour où il a pris une virgule, « une méchante, ouais ! » Alors en formation à Lens, le défenseur passé par le National ou la D2 belge croise la course chaloupée du Brésilien Alessandro Furtado : « Pour lui, c’était son quotidien, c’était un intérieur du pied chez nous ! Moi, je l’avais pas encore vu réellement, et là j’ai compris ce que c’était. J’ai pris l’exter-inter, voilà. Il y a pas eu petit pont, mais j’ai failli finir sur les fesses quand même. Après, j’ai voulu le rattraper, mais en fait, il avait déjà frappé ! (rires) » Ça, c’est pour l’observation. Mais concrètement, comment fait-on pour rentrer un « exter-inter » dévastateur ?
La route du rond-point-virgule
« Pour réussir, il faut avoir une grosse flexion de la cheville, et il faut aller très vite dans la réalisation du geste, c’est le secret » , détaille celui qui est désormais formateur à la KipstaAcadémie et conseiller technique dans les vidéos Comment bien jouer au foot de Sikana.tv. « Comme c’est sur un seul appui, il faut aussi une certaine dextérité au niveau de la coordination. C’est vraiment un geste compliqué, il faut le répéter, le répéter encore et encore. » Gianni Bruno, entre deux séances de rééducation suite à une entorse – aucun lien avec une virgule manquée – complète : « Il faut avoir les chevilles très souples, et un geste vraiment relâché. Après, il faut être concentré, bien regarder le ballon. Mais il faut surtout avoir du cran pour la tenter ! » Lui réserve le geste au chambrage entre potes, avant les entraînements : « En match, jamais ! J’ai un peu peur de la rater et de tomber. (rires) D’ailleurs, j’ai eu Flo avant le match, bon, on n’a pas parlé de flip-flap, mais peut-être la prochaine fois ! (rires) » Pour demander des conseils ?
Dans la carrière de l’attaquant belge, le plus adroit dans l’exercice qu’il ait croisé ne joue pas à Londres, mais à Guingamp, il s’appelle Yannis : « Salibur, il la tentait tout le temps, et ça passait souvent, parce qu’il a une souplesse de fou dans le pied gauche. Et si tu la fais bien, c’est super efficace, le joueur est tellement pris dans l’extérieur qu’il part, il est pris à tous les coups. » Quand il passe, le flip-flap fait mal, très mal. David le défenseur en sait quelque chose : « Si tu ne l’anticipes pas, pour moi, c’est indéfendable. Pour s’en sortir, bah on attrape le maillot ! (Rires) Après, si on prend flip-flap – petit pont, on est obligé de sévir, on est obligé de passer à l’acte, tant pis, c’est trop ! (Rires) » Contre Marseille, Marquinhos n’a pas eu à recourir à une telle extrémité. « Thauvin, on la sentait venir, il touchait beaucoup le ballon avec son extérieur, on sentait qu’il allait tenter le dribble, le passement de jambes » , estime David. « Bon, là, il a fait l’exter – roulette ! (Rires) » Et si, en fait, le numéro 26 marseillais était un précurseur, un génie incompris ? Le jour où rentrer une Thauvin sera synonyme de placer un rond-point-virgule, on fera moins les malins.
Par Eric Carpentier