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La vie sans La Saeta Rubia

Par Thibaud Leplat, à Madrid
La vie sans La Saeta Rubia

Alfredo Di Stéfano a quitté le monde des vivants en plein Mondial. L'Espagne n'en finit plus de tourner des pages et de se mettre à pleurer. Le vieil homme est mort, mais Di Stéfano restera le plus grand.

Il habitait tout au fond d’une pièce, au bas d’un escalier escarpé, au cœur d’une pyramide de béton. Pour y accéder, il fallait demander beaucoup d’autorisations, envoyer quelques courriers et puis surtout être bien élevé. Avoir rendez-vous avec ce vieux roi était un honneur dont il fallait se montrer digne. Alfredo Di Stéfano habitait les entrailles du stade Santiago Bernabéu comme un spectre habite les consciences et les mémoires des vivants. Il apparaissait quelques fois pour rappeler à ses descendants madridistes le prix de leur héritage. Sans lui, nous n’aurions jamais rien connu de grand. Sachons rester modestes et rendre grâce aux anciens. Et puis ensuite, pendant des mois, on ne savait plus rien de lui. Il était comme évaporé. De temps à autre, on entendait parler du « Grand Real des années 50 » comme on eut évoqué les squelettes de quelques dinosaures retrouvés au gré d’un projet de construction immobilière. Tandis qu’on promettait qu’on n’endommagerait pas les restes précieux, on enfilait des gants de soie et on enfermait les reliques dans une boîte hermétique qu’on n’ouvrirait plus que pour les grandes occasions. Et les travaux des temps actuels pouvaient continuer dans l’indifférence des profanations silencieuses. On avait oublié que le Real Madrid, ce n’était pas celui de la Decima et de Cristiano Ronaldo. Le Real, c’était ce vieil homme à la canne posée contre un bureau dans une salle sans fenêtre. Di Stéfano, c’était la mémoire qui s’efface petit petit.

Symphonie des profondeurs

Assis dans son fauteuil face à ce bureau de plastique, au milieu de ces livres et de ces quelques photos de River Plate, son visage était éclairé d’un néon tremblotant et ses yeux vitreux prenaient la couleur tourbeuse des eaux dormantes quand il regardait un point imaginaire juste devant lui. Il marmonnait des choses contre notre époque qui avait oublié ce qu’était le Madrid de l’après-guerre civile : « Tout le monde était en deuil, les gens n’avaient rien à manger. » Alors non, il ne se souvenait plus de son premier but au Real. Il devait en avoir assez de passer le peu de temps qui lui restait à se souvenir toujours des mêmes choses. Imaginez un peu ce que c’est que d’être si vieux. La mémoire est étouffante si on ne l’apprivoise pas. À force d’avoir le dos tourné en arrière, tout le corps se met à grincer, puis à se compresser jusqu’à s’anéantir complètement. Dans ce drôle d’endroit rempli de souvenirs invisibles, toute la mémoire de ce club immense avait pris la forme de ce vieillard grincheux qui vous engueulait quand vous lui posiez des questions : « Je n’étais rien, moi. Les grands, c’étaient les autres : Muñoz, Moreno, Pedernera, Labruna et Loustau, la Maquina de River, la plus grande attaque de tous les temps. » Assis sur cette chaise en plastique suffisamment inconfortable pour qu’on n’ait pas envie de rester ici trop longtemps, les odeurs de naphtaline se mélangeaient à celle de la peau qui a beaucoup trop vieilli. Il était dans ce bureau comme dans ces paysages aquatiques et sous-marin peuplés de vieilles déités recouvertes de mousse et de plancton. Tout au fond de la mer. Aujourd’hui, Di Stéfano a rejoint les abysses. Cette disparition est un naufrage.

Stable dans la gravité

La Saeta Rubia s’est écroulée en sortant de son stade samedi après-midi. Pendant 18 minutes, il avait quitté la terre ferme et rejoint tous les héros de son enfance à Buenos Aires. Allongé sur le trottoir de la rue Padre Damian, sa canne, enfin, ne lui servait plus à rien. Son cœur arrêté, son esprit s’était enfin défait de ce vieux corps qui l’encombrait depuis des années. Mais les vivants étaient obstinés et étaient finalement parvenus à le ramener à la surface pour quelques heures. Depuis lors, son état était « stable dans la gravité » , mais personne n’était dupe. On savait bien que cet homme avait beaucoup plus de 88 ans. Il avait l’âge de toute cette institution et de toute sa mémoire. Si on l’avait remonté quelques instants vers notre monde à nous, ce n’était pas pour l’empêcher de partir. Bien au contraire. Si on le retint ainsi quelques heures, c’était pour que les vivants se préparent à l’idée de vivre le reste de leur existence sans lui. Ces millions d’enfants de l’après-guerre qui venaient le voir le dimanche dans ce stade tout neuf, étaient maintenant des grands-pères qu’il fallait ménager un peu. Après Tito Vilanova, Luis Aragonés, Adolfo Suárez et Juan Carlos, l’Espagne disait encore adieu à l’une de ses figures patriciennes. Demain, elle va se regrouper, se serrer les uns contre les autres et puis se regarder pleurer en s’attrapant les bras. Ce soir, Florentino Pérez, ce président aux allures de comptable, avait l’air d’un enfant qui venait d’apprendre la mort de ses parents quand il s’assit pour regarder une vidéo d’hommage du club à sa légende. Ils avaient choisi Frank Sinatra et son My Way pour mettre en musique le deuil. Drôle d’idée. Mais enfin, Di Stéfano n’était plus un homme depuis longtemps. Il était déjà un mythe. Il était l’enfance bénie qui ne reviendra jamais, il était la mémoire qui s’échappe dans un raclement de gorge, il était cette légende qu’on se transmettait de père en fils. La vie sans la Saeta Rubia vient de commencer. C’est l’heure de quitter l’enfance et de devenir adulte.

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