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La vie de Brian

Remix d'un portrait paru dans le SoFoot #55, mai 2008
7 minutes
La vie de Brian

Que faut-il retenir de Brian Clough? L'Angleterre, aveuglée par les succès, le charisme et les bons mots, a choisi de ne garder que la face présentable de l'ancien entraîneur de Nottingham Forest, avec qui il surgit du néant pour chiper deux Coupes des champions de suite, en 1979 et 1980. Une vision partielle qui ne reflète pas la vérité d'un homme complexe.

Lorsque Brian Clough débarque dans la forêt de Sherwood en 1975, Nottingham Forest végète en deuxième division. Lui a pile 40 ans. Sa carrière de coach est à un carrefour. À Derby, il a connu une réussite extraordinaire, remportant le titre au nez et à la barbe du Leeds surpuissant de Don Revie. Mais il traîne aussi une double expérience malheureuse, d’abord à Brighton (D3), et surtout à Leeds, où il n’est resté que 44 jours, le temps d’une intersaison calamiteuse. Clough finit la première saison mi-figue, mi-raisin, à une petite huitième place de deuxième division. Mais il impose déjà sa méthode : à lui la motivation, et à Peter Taylor, son inséparable compagnon rencontré lors de ses années de joueur à Middlesbrough, la recherche de talents et le sens tactique. La recette avait marché à Derby, elle marchera à Forest : grâce aux venues de Archie Gemmill, John Mc Govern, Peter White et à l’éclosion de Woodcock, Robertson et Viv Anderson (premier joueur noir sélectionné en équipe d’Angleterre), voilà Nottingham parmi l’élite en 1977. La saison 1977–1978 est celle de la consécration. Liverpool, intouchable en Europe et double champion d’Angleterre, semble, à l’époque, imbattable. Mais Forest démarre au taquet, trois victoires d’affilée, prend confiance et tient le rythme. Pour stabiliser leur défense, Clough et Taylor achètent Peter Shilton, déjà international depuis presque dix ans, mais qui se prépare alors à une carrière de club à la Gordon Banks, sans trophée ni chair de poule. C’est un coup de maître. Forest ne perd que trois matchs dans la saison, n’encaisse que 24 buts en 42 journées, et en marque 69. Le style est déjà là : une défense physique, un milieu travailleur, une attaque où force et finesse font bon ménage. Forest exploite les vertus du jeu anglais, mais en jouant le plus souvent au ras du sol. De mi-novembre à fin mai, l’équipe ne perd pas un match. Alors que Forest compte cinq points d’avance au Nouvel an, Brian Clough déclare : « La dernière fois que Nottingham s’est retrouvée cinq points devant tout le monde, c’était dans un match de Cricket. »

Manager of the year

Finalement, Forest est champion avec sept points d’avance sur Liverpool. Kenny Burns est désigné joueur de l’année, Clough manager of the year. Septembre 1978, Nottingham attaque la Coupe d’Europe des Clubs champions contre… Liverpool, vainqueur des deux dernières éditions. Le héros s’appelle Gary Birtles. Acheté dans un petit club amateur, Birtles ouvre la marque et fait une passe décisive pour son premier match avec Forest (2-0). Puis, c’est le match de l’année, au City Ground, en demi-finale contre Cologne. Forest est mené 2-0, les supporters craignent le pire. Pourtant, rapidement, Nottingham refait surface, mène 3-2 et se fait rejoindre par un but du Japonais Okudera. Un match de pure folie offensive, joué à cent à l’heure sur un champ de patates indigne d’une équipe de district. Au retour, Forest n’a qu’une seule occasion, mais Ian Boywer la met au fond d’un coup de tête rageur (1-0). En finale, Trevor Francis, acheté 1 million de livres, catapulte le ballon dans les cages de Malmö. Cette année-là, Forest met fin à son invincibilité de 42 matchs en championnat, finit la saison deuxième du championnat derrière Liverpool, mais remporte encore la Coupe de la League. La saison 79-80 marque les premiers accros pour Clough et Forest. O’Neil et Archie Gemmill quittent le club, fâchés avec leur manager qui les a écartés de la finale de Coupe d’Europe. Woodcock s’enfuit à Cologne. Au mois de mars, l’équipe est au plus mal. Larguée en championnat, elle perd à domicile son quart de finale aller contre le Dynamo Berlin (0-1), puis la finale de la Coupe de la League contre Wolverhampton avec un but ridicule offert à Andy Gray par Needham et Shilton. Mais Trevor Francis se réveille, et c’est finalement John Robertson qui, d’un tir bien placé contre Hambourg à Madrid, permet à Forest de conserver in fine son titre européen. Clough et Taylor quittent le stade bras dessus, bras dessous. Ce sera leur dernier succès commun. La saison suivante, Taylor et Clough se brouillent, sans jamais se réconcilier. Brian ne s’en remettra jamais. Sans son fidèle compagnon, le coach aux succès surprise perd son flair et noie son inspiration dans l’alcool.

Comme son club, Clough vivote encore une dizaine d’années, glanant deux Coupes de la League de plus, échouant en finale de Cup en 1991. Enfin, après 18 ans de bons et loyaux services, tout ce beau monde s’en retourne d’où il vient : en deuxième division. Clough ne vit plus que sur sa capacité à fourguer des exergues aux tabloïds. En échange, la presse lui fout la paix. Pas un mot sur son alcoolisme. Pas un mot non plus sur sa responsabilité dans le suicide de Justin Fashanu, le jeune attaquant de Norwich City qu’il s’était offert en août 1981 pour 1 million de livres. Très tôt, Clough soupçonne son joueur d’être homosexuel. Quand il apprend que Justin fréquente les clubs gays de la ville, le coach dérape. Humiliation publique au milieu du vestiaire : « Tu vas où si tu veux du pain ? Chez le boulanger, probablement. Et si tu veux une côte d’agneau ? Chez le boucher ! Alors pourquoi tu vas dans ces clubs de tapettes ? » À plusieurs reprises, Clough traite Fashanu, toujours en public, de « sale gonzesse » . Cette année-là, l’attaquant, traumatisé, n’inscrit que 3 buts. En fin de saison, Clough décide de s’en séparer. Début de la chute pour l’ancien joueur de Norwich. Rares sont les clubs qui acceptent d’aligner un homosexuel dans leur équipe. Surtout quand il a été détecté par Monsieur Clough. Justin Fashanu met un terme à sa carrière de joueur en 1993. Le 2 mai 1998, alors qu’il est accusé d’agression sexuelle par un garçon de 17 ans, il se pend dans son garage. Personne n’ira demander de comptes à Clough.

Il y a aussi ces histoires de pots-de-vin, sur les transferts des joueurs de Nottingham. L’investigation vise notamment le transfert de Teddy Sheringham de Nottingham à Tottenham, en 1992. Là encore, la presse le laissera tranquille. Et puis il y a Brian Clough, le Thatchérien qui s’ignore.

Du Heysel à Margaret

1994. Brian, 59 ans, vient de prendre sa retraite d’entraîneur après la relégation de Nottingham en deuxième division. Pour assurer le maintien de son train de vie, il publie sa première autobiographie et promet, bon publicitaire, du sensationnel. Sur plusieurs pages, Clough revient notamment sur le drame d’Hillsborough. 96 supporters meurent écrasés contre les grilles de protection qui entourent le terrain. Pendant de longues semaines, Liverpool pleure ses morts. Une enquête pointe finalement les manquements des services d’ordre et établit l’innocence des supporters de Liverpool dans la catastrophe. Quelques années après le drame du Heysel, cette innocence, établie de façon formelle, est un véritable soulagement pour la communauté de Liverpool. La ville retrouve une partie de sa dignité et entame le travail de deuil. Mais Clough va choisir de dire une toute autre vérité. Dans sa biographie, il se déclare « convaincu que les fans de Liverpool ont tué d’autres fans de Liverpool. » Les supporters Reds sont, d’après lui, les seuls responsables de cette tuerie. De toute façon, ce sont tous des hooligans. Il n’y a qu’à voir le Heysel…

Outrés par ces déclarations, les habitants de Liverpool se mobilisent pour exprimer leur consternation. Mais Clough, coutumier de ces propos à l’emporte-pièce, n’en démord pas. Invité à s’expliquer lors d’un talk-show à audience, il déclare avoir vu des centaines de fans de Liverpool saouls le jour du match et maintient qu’il s’agit là de la principale raison du drame. La polémique enfle et la bio se vend par palettes. Jackpot. Pendant que Liverpool rumine sa colère triste, Clough compte ses billets. Pas si étonnant que ça, à en croire David Peace qui racontera le passage de Clough à Leeds dans l’excellent 44 jours : « J’ai toujours été frappé par la coïncidence entre la victoire de Thatcher aux élections et celle de Clough en Coupe d’Europe avec Nottingham en mai 1979… Même s’il était de gauche, son appétit de pouvoir, comme sa croyance en l’accomplissement individuel et son attachement à l’idée de famille, le rapprochaient du thatchérisme » . Les voilà maintenant réunis.

L’interview mythique de Clough et Don Revies (ancien coach de Leeds) en 1974

Extrait de l’excellent Damned United, film retraçant la carrière de Clough et son passage à Leeds en particulier.

À lire : La suite du top 100 des entraîneurs

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