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La Tribune Loire joue à la nantaise
Dans la torpeur qui gagne les tribunes françaises depuis le début de saison, un virage se démarque, à l’image de son équipe : la tribune Loire du FC Nantes. Même les conflits avec le président Waldemar Kita n’affectent pas l’ambiance.
Les supporters ultras français ne sont pas à la fête en ce moment, entre une répression qu’ils jugent excessive de la part des pouvoirs publics et une suspicion de radicalisation de certains d’entre eux. Pourtant, dans la morosité ambiante, une tribune tire son épingle du jeu. C’est dans l’Ouest qu’il faut la chercher, du côté de la Beaujoire et du FC Nantes. Ce virage, c’est la tribune Loire.
La Brigade Loire (BL), principal groupe de supporters nantais fondé en 1999, a compris le potentiel qu’il y avait à tirer de cette tribune de 7 000 spectateurs. Et des nombreux supporters motivés prêts à colorer en jaune et vert les tribunes visiteurs des stades de France. De gros parcages à l’extérieur avec quelques petits extras à Rennes ou encore à Bordeaux, et de superbes ambiances à la Beaujoire où toute la tribune participe.
Les chants sont repris à l’unisson et les buts célébrés par de spectaculaires descentes vers le bas de la tribune. Même les fans des autres clubs reconnaissent la maestria actuelle des Nantais.
« Même des papys de 70 ans viennent nous féliciter »
« On a déjà vécu de très grosses ambiances en tribune Loire, mais pour des matchs particuliers, explique Romain, un des responsables de la Brigade Loire. C’était vraiment ponctuel, pour sauver le club d’une descente ou pour le pousser vers la montée. Mais sur la durée, on n’a jamais atteint ce niveau, c’est clair. Les mecs qui traînent en Loire depuis les années 80/90 sont unanimes là-dessus également… Même des papys de 70 ans viennent nous voir pour nous dire qu’ils n’ont jamais connu ça. »
Les excellents résultats des Canaris y sont pour beaucoup. Le FCN, institution du football français, accumulait les déboires dans l’antichambre de l’élite depuis cinq ans. Au moment de retrouver la cour des grands, les Nantais ont eu la délicatesse d’y mettre les formes. Malgré un léger coup d’arrêt depuis la reprise, les hommes de Michel der Zakarian ravissent la Maison jaune. « Il y a un vrai engouement autour du club depuis le début de saison : les résultats ont créé l’effet de surprise et donc l’ambiance, tout est lié. Mais si on avait fait un début de saison catastrophique et qu’on pointait à la dernière place, je peux vous assurer que la donne aurait été différente » , nuance Romain.
Outre les bons résultats du club, les ultras ont aussi œuvré dans ce succès. « On a essayé de tirer un maximum de cet engouement en s’ouvrant à la tribune et en leur faisant comprendre que si tout le monde s’y mettait, la tribune Loire pouvait jouer un vrai rôle. On a communiqué à mort, par les tracts, par la sono… Et ça a marché, les gens ont suivi. Sur certains matchs, à domicile ou à l’extérieur, je reste persuadé qu’on a pesé dans la balance… »
Pourtant, il y a encore deux ans, tout était loin d’être rose du côté de la Beaujoire. Lors de la dernière saison du FCN dans l’élite en 2008/2009, la tension est à son comble entre la Brigade et le président Waldemar Kita. Romain se souvient : « On ne comprenait déjà pas vraiment où il voulait en venir, et dès qu’on lui demandait des comptes ou qu’on voulait exprimer notre désapprobation en tribune, on récoltait son mépris et sa censure. À la fin de l’année, on descend en D2, et surtout, dans le courant de l’été, aucune remise en question n’est opérée… On avait conscience que les conséquences risquaient d’être très graves, donc on a décidé de ne pas accepter la situation et de la dénoncer de toutes les façons possibles. » La Brigade entre alors en grève active et décide de boycotter les rencontres à la Beaujoire. Tout en soutenant les U19 du club et en multipliant les actions…
« On a passé deux ans et demi à remuer la merde pour que ça change, bien aidés par le sportif catastrophique…, reconnaît Romain. Tous les parasites ont fini par prendre la porte, sauf le proprio du club, Waldemar Kita. Bien qu’il n’ait pas changé sa mentalité d’un iota, on a alors fait le choix de reprendre les encouragements, dans une situation sportive pas très glorieuse, en janvier 2012. Pas d’union sacrée, on a juste voulu tirer le club vers le haut en jouant notre rôle. On a recommencé doucement, dans une tribune Loire très clairsemée, on est repartis de rien. »
La saison dernière, la tribune se garnit à nouveau. L’ambiance remonte lentement, mais sûrement. Et certains matchs, comme les 70 ans du FCN face à Auxerre ou celui de la montée, marquent les supporters et les observateurs. Cet été, les membres de la Brigade Loire décident de reprendre l’ensemble de leurs activités. Sans pour autant songer à entamer un dialogue avec Waldemar Kita, auquel ils n’accordent toujours aucune confiance. Début octobre, une mesure contre les descentes de la Tribune Loire lors des buts était même annoncée par la direction du club. Elle est finalement restée lettre morte.
30 ans d’histoire
Nantes n’est pas le seul club à avoir bénéficié de l’effet Ligue 1. Dans des cités où le football a une histoire, le retour à la lumière – qui plus est s’il s’accompagne de résultats sportifs probants – mobilise les foules. Bien sûr, un noyau de supporters tenace et courageux est toujours là, pour soutenir son équipe même un lundi soir en déplacement alors que l’équipe s’enfonce dans les profondeurs de la Ligue 2. Mais la masse des fans a besoin de davantage de rêve.
Reste à savoir si les supporters nantais pourront tenir le rythme. Pour cela, ils bénéficient d’un atout que d’autres clubs n’ont pas, qui prouve que la passion pour le FCN n’est pas près de s’éteindre. Cette carte s’appelle « À la Nantaise » , un collectif qui envisage, sur le modèle expérimenté en Angleterre, de devenir actionnaire du club. La Brigade Loire et Romain comptent, eux, sur leur expérience pour rester à ce niveau de performances. « Notre tribune n’est pas née cette saison, elle a bientôt 30 ans d’histoire et a vécu déjà de nombreuses euphories et des moments de détresse extrême… Ça fait 30 ans qu’elle a un potentiel indéniable, il faut seulement un groupe ultra pour l’exploiter. Nos anciens ont su le faire dans les années 90 ou au début des années 2000. Maintenant, notre objectif, c’est de maintenir ça dans la durée… » Histoire de vivre encore quelques belles descentes de la Tribune Loire.
Par Antoine Aubry et Anthony Cerveaux