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La Superligue respire encore…
Alors qu’on la croyait morte et enterrée, après le pataquès d’avril, voilà que le tribunal de commerce de Madrid a rejeté de l’huile sur le feu et relancé le débat sur la Superligue. Selon un juge de la cour, l’UEFA ne peut pas sanctionner les clubs dissidents et ne respecterait pas la loi de libre concurrence de l’Union européenne. Et c’est reparti pour un tour. Combat de juristes !
En avril dernier, lorsque le projet avait été officiellement lancé, on avait vu, en moins de 48 heures, les fans de football se lever contre la Superligue, crier leur rage et leur haine contre une compétition fermée, basée uniquement sur le business et la lucrativité, remettant en cause 60 ans d’histoire européenne du football.
Des politiques aux clubs de supporters, jusqu’au pouvoir économique, tout le monde, ou presque, s’était opposé à la Superligue et avait demandé qu’elle soit abandonnée sur le champ. La majorité des clubs participants, les Anglais, les Italiens et l’Atlético de Madrid, en Espagne, avaient alors jeté l’éponge et négocié une sortie de crise avec l’UEFA. Ils acceptèrent tous une ponction de leur rémunération en Coupe d’Europe, à hauteur de 5%, et une promesse de ne pas repartir pour un tel projet, au risque de se voir sanctionnés d’une amende de 100 millions d’euros et d’une exclusion définitive des compétitions continentales.
Côté Barça, Juve et Real Madrid, les principaux frondeurs, ils continuèrent à afficher leur volonté de poursuivre l’aventure Superligue, allant jusqu’à menacer d’intenter toutes les procédures possibles et de défendre leur cause. L’UEFA commença alors une procédure disciplinaire contre les impétrants jusqu’à l’abandonner sine die, estimant qu’elle n’avait pas le pouvoir nécessaire et suffisant si une cour de justice déjugeait sa décision. Le ver était, d’une certaine manière, rentré dans le fruit.
Le droit à la concurrence vs la spécificité du sport
Car la justice européenne, sur ce point, est très bancale. Tout d’abord, concernant les clubs anglais, beaucoup considèrent qu’après le Brexit, les Manchester, Liverpool ou Arsenal n’auraient pas à accepter les décisions d’un tribunal du continent, ne dépendant plus de la législation communautaire. Or, ils font partie de l’UEFA, de la fédération européenne de football, et, à ce titre, doivent se plier aux règles de l’instance. Et celle-ci, bien que localisée en Suisse et dépendante du droit helvétique, adopte néanmoins un système basé sur la jurisprudence, en lien direct avec les décisions des cours de l’Union européenne.
Ainsi, par exemple, concernant l’idée d’une spécificité sportive, l’UEFA se base sur l’article 165 du Traité de fonctionnement de l’Union européenne et se donne ainsi le droit de faire différemment et de ne pas totalement respecter les règles du marché et de la libre concurrence : les périodes spécifiques de mercato, les contrats à 5 ans, les indemnités de transfert, l’acceptation des clauses libératoires, etc. Les clubs anglais, malgré le Brexit, appliquent aussi ces réglementations spécifiques.
En conséquence, une décision imposée par un tribunal européen à l’UEFA, avec son siège à Nyon, affecterait les Anglais aussi bien que les Suisses. Et un juge du tribunal de commerce de Madrid, Manuel Ruiz de Lara, a tout simplement envie de faire évoluer le droit du football pour tous. Dès le mois d’avril, après que l’UEFA a menacé de sanctions et fait interdire toutes velléités de Superligue, ce dernier a entamé une procédure judiciaire, en Espagne, et déposé une question préjudicielle à la cour de justice de l’Union européenne.
Il estime en effet que l’UEFA ne respecte pas les traités de libre concurrence de l’Union, s’arroge le monopole inique d’organisation des compétitions sportives et n’a pas le droit de sanctionner, sans procès équitable, des clubs qui auraient voulu participer à un tournoi indépendant. Idem, Ruiz de Lara a attaqué les décisions de la Premier League et de la Serie A d’indiquer, dans leur règlement, une exclusion automatique en cas de participation à une Superligue. Selon lui, la spécificité accordée au sport, dans le Traité de fonctionnement de l’Union européenne, ne concerne que les intérêts des particuliers, des sportives et des sportifs, pas des entités commerciales comme les clubs professionnels. Ces derniers doivent être considérés comme des entreprises à part entière et, à ce titre, être dépendants des lois en vigueur en droit commercial européen : libre-échange, libre concurrence, lutte contre les monopoles, etc.
Vers une révolution aussi importante que l’arrêt Bosman
Le magistrat espagnol a alors exhorté l’UEFA à annuler « toutes les clauses de son règlement qui ont pour effet d’empêcher ou d’entraver, directement ou indirectement, la préparation de la Superligue européenne de football », comme il le précise dans son ordonnance publiée jeudi 1er juillet. Si l’UEFA se plie au droit espagnol, au droit communautaire, l’instance doit suspendre les sanctions contre les 9 clubs dissidents et stopper net les procédures disciplinaires à l’encontre de la Juventus, du Real et du Barça. Sa logique est claire : il faut attendre une réponse à la question préjudicielle posée auprès de la CJUE.
Réponse qui devrait arriver, si l’on en croit différentes sources, entre octobre et décembre prochain. Et Ruiz de Lara estime véritablement que la conclusion va aller dans le sens de la Superligue. Pour lui, l’UEFA ne peut pas s’arroger le droit monopolistique des compétitions européennes et les ligues nationales ne peuvent pas sanctionner tout club qui aurait le désir de participer à une compétition ou à un tournoi indépendant. On risque d’aboutir à un séisme au cœur du football européen dans les prochains mois, peut-être aussi important que l’arrêt Bosman de 1995.
Il y a quelques semaines, Javier Tebas alertait en annonçant que « le projet, l’idéologie de la Superligue n’était pas mort.[…]Il pourrait revenir plus tôt qu’on ne le croit. » Et cela risque bel et bien d’arriver vite.
Par Pierre Rondeau