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« La Superligue existe déjà : c’est la Liga espagnole »
Désireux d’effectuer une opération reconquête auprès du grand public, les clubs fondateurs de la Superligue que sont la Juventus, le Real Madrid et le FC Barcelone font pour l’instant face à un mur. Du côté des différents présidents des autres clubs de La Liga, le son de cloche est unanime : depuis sa naissance il y a un peu moins d'un an, la Superligue est vouée à l’échec pour des raisons qui touchent à la genèse même du football.
Casting :
José Castro Carmona, président du FC Séville, José María del Nido Carrasco, vice-président du FC Séville, Francisco Catalán, président de Levante, Ángel Haro, président du Betis Séville, Fernando Roig, président de Villarreal.
Quel est votre point de vue sur le projet de Superligue ? Ángel Haro (Betis) : Nous ne sommes pas d’accord vis-à-vis de cette Superligue sur le fond comme sur la forme : sur le fond, il s’agit d’une compétition où la méritocratie disparaît en grande partie. Sur la forme, cette compétition viendrait s’implanter directement au milieu de toutes les organisations traditionnelles du football, et cela marginaliserait l’acteur principal du football : le supporter. La Liga est une compétition où nos fans visent chaque année le rêve de pouvoir se qualifier pour une compétition européenne, c’est ce qui rend notre championnat aussi charismatique. Une compétition comme la Superligue enlève cela.José María del Nido Carrasco (Séville) : La Superligue existe déjà : c’est la Liga espagnole. Nous croyons en cette compétition nationale comme étant la meilleure du monde, et nous croyons aussi aux compétitions européennes organisées par l’UEFA. Nous sommes contre tout type de projet qui ne serait pas propre à la réussite sportive et à la qualification pour une compétition européenne à travers le biais national. Nous continuons de penser que la Liga, la Ligue des champions, la Ligue Europa et la Ligue Europa Conférence sont les compétitions fondamentales au bon équilibre de notre football.Francisco Catalán (Levante) : Ce modèle est connu de tous, il est une réussite à l’échelle mondiale et il engendre un engouement compétitif maximal entre tous les participants de la Liga. Cette compétition détruirait les mécanismes de solidarité, et logiquement, nos investissements se verraient très chamboulés avec une possibilité d’instabilité économique forte. Nous refusons ce projet. José Castro Carmona (Séville) : Le football est fait pour tous, car nous l’aimons tous. Toutes les équipes de la planète doivent avoir la possibilité de s’améliorer pour un jour lutter contre les meilleurs. Nous ne pouvons pas détruire la rivalité et la passion des fans pour le bien-être de quelques-uns. Séville est fier de pouvoir étendre le nom de sa ville à travers toute l’Europe et de manière constante depuis le début du XXIe siècle. Nous souhaitons conserver cette dynamique. Notre devise « nunca se rinde » (Jamais nous n’abandonnons, en VF) ne correspond pas à une compétition fermée dans laquelle nous pourrions être invités. Aujourd’hui, le FC Séville a gagné son prestige grâce à sa bonne gestion sportive et économique. Cela doit continuer ainsi.
Fernando Roig (Villarreal) : Cela fait maintenant 24 ans que j’ai repris le club, je ne suis pas le plus vieux d’entre tous les présidents de Liga, mais je suis celui avec la période de présidence la plus longue. Quand j’ai démarré ce projet, j’avais pour ambition d’aller le plus haut possible et rêver de ce que l’on peut atteindre. Villarreal s’est qualifié trois fois pour la Ligue des champions, et cela va rester à jamais gravé dans l’esprit de nos supporters. Couper ces ambitions et limiter cette espérance de tout un peuple, ce n’est pas le bon chemin. Il faut lutter sur le plan sportif. Il est possible qu’une année soit moins bonne que l’autre, mais quoi qu’il en soit, l’esprit de compétition doit toujours prévaloir. Que ce soit Séville, Levante, Villarreal ou n’importe quel autre club, nous souhaitons tous viser le plus haut possible, et personne ne peut nous l’interdire.
Quand Florentino Pérez affirme qu’en Espagne, les trois clubs qui engendrent le plus d’argent sont ceux qui affichent les plus grandes dettes alors que les autres clubs de Liga réalisent un bénéfice, qu’est-ce que cela vous inspire ? Cardona (Séville) : Cette crise sanitaire est exceptionnelle, elle affecte le football, mais également tous les autres secteurs de notre société. Si nous devons apprendre quelque chose de cette crise, c’est que nous n’en sortirons qu’à travers la solidarité et la coopération. Cette Superligue n’est ni un projet solidaire ni un projet coopératif. Pour s’en sortir, il faut un contrôle du budget, ce qui nécessite des efforts et du travail. La voie la plus facile, ce n’est pas d’augmenter les revenus des plus riches, mais de garder une emprise sur nos opérations financières. L’inflation subie actuellement provient d’une augmentation démesurée des grands clubs européens.
Roig (Villarreal) : La crise n’affecte pas seulement les clubs professionnels, mais toutes les entreprises. Nous devons nous adapter à cela : réduire nos coûts et avoir conscience que toutes les équipes subissent les mêmes problématiques. Si les revenus ont diminué cette année, nous allons chercher des solutions alternatives. Je rappelle que les clubs de Liga n’ont demandé aucune aide étatique ou européenne, nous nous gérons par nous-mêmes. Villarreal est un club sain qui n’a pas besoin d’aide extérieure pour faire face. Il faut simplement se bouger et trouver les solutions en interne. Que faut-il réduire ? Où cela reste-il possible ? À l’échelle des salaires, je peux comprendre que le Real ou le Barça propose deux ou trois fois plus que nous le faisons, mais pas douze ou quinze fois plus. La solution n’est pas dans l’apport de revenus, mais dans la diminution des coûts.
Pérez expliquait que la crise traversée par le football pouvait trouver une solution à travers un système pyramidal où la Superligue se trouverait au sommet. Qu’en pensez-vous ? Catalán (Levante) : Cette logique de la pyramide est très confuse. Pour que le Real Madrid soit champion de Liga, il doit gagner contre Levante, Villarreal, le FC Séville… Mais parfois, il peut aussi perdre contre Levante ou faire match nul. Nous sommes là pour rendre cela possible, c’est cela qui rend le football aussi charmant. Être sous la direction de douze grands clubs et attendre qu’ils puissent nous inviter pour participer à leur compétition, cela n’a pas de sens. Je fais partie de ceux qui pensent que la Superligue peut marcher à court terme, mais elle n’aura pas de futur à long terme. Le football, c’est vivre et profiter du week-end pour affronter un adversaire différent chaque semaine. Avec cette Superligue, nous perdons tout ce travail en amont. Je pense que certains modèles de compétitions peuvent être reconfigurés afin de chercher à les améliorer, c’est même notre devoir. Mais inventer quelque chose en dehors du système de notre football, c’est se perdre dans ses idées. La Superligue n’est pas nécessaire. Sans elle, nous sommes arrivés à croître et à trouver un équilibre entre nos dépenses et nos coûts. C’est cela qui permet au football d’être viable sur le long terme. En tant que présidents, nous devons continuellement nous poser la question de savoir si nos clubs sont bien gérés.
Haro (Betis) : Nous parlons là d’une hyperbole avec une symétrie totale puis une délimitation horizontale entre les douze participants et le reste des clubs. Cela dit, je comprends l’argument de la pyramide dans le sens où il y a déjà une grande différence étant donné qu’ils possèdent un budget au moins dix fois supérieur aux nôtres. Mais dans le cas de mauvaises performances sportives, comment un club fondateur de la Superligue pourrait-il finir par descendre ? C’est impossible. En cela, le mérite sportif n’existe plus.
Que répondez-vous au président Pérez, qui évoquait son ennui devant des affiches secondaires de Liga, de Premier League ou de Serie A ?Roig (Villarreal) : Nous avons des équipes dans de grandes villes espagnoles comme à Séville, Valence ou Bilbao. Et je crois sincèrement que nos confrontations en Liga sont tout à fait appréciables, au contraire de ce que le président Pérez a pu dire. Quand vous assistez à un Villarreal-Séville, un Séville-Betis ou un Séville-Levante, vous pouvez prendre du plaisir. C’est une vraie offense faite au supporter que de dire des choses pareilles. À Villarreal, nous sommes fiers de faire partie de la Liga et de voir jusqu’où le club peut aller.
Propos recueillis par Antoine Donnarieix