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La sulfureuse histoire des supporters de Chelsea
Après un match aller ayant plus fait parler pour ce qu'il s'est passé dans le métro que sur le terrain, le Paris Saint-Germain devra obtenir sa qualification sur la pelouse de Stamford Bridge. Si, en Angleterre, les rivaux des Blues se complaisent à chanter que le club du Sud-Ouest de Londres n'a pas d'histoire, ce n'est pas le cas de leurs supporters qui eux en ont bien une, et en particulier d'une frange réputée pour son extrémisme. Focus à tête reposée.
Fin des années 60. Après les Teddy Boys dans les années 50, puis les Mods et les Rockers qui allaient jusqu’à en découdre sur les plages de Brighton lors de festivals, les Skinheads font leur apparition. Si les premières subcultures citées sont restées hors des stades, la dernière en prend bel et bien le chemin. Chelsea ne fait pas exception à la règle et les Chelsea Shed Boys vont régulièrement à Stamford Bridge encourager les Blues. « Penser que tous sont des racistes primaires serait complètement erroné, même si certains le sont » , éclaire Garry Bushell, spécialiste de la culture undergound britannique et ancien manager des Cockney Rejects. Le racisme viendra au sein d’une mouvance de fans des Blues, mais patience. Ces skinheads apprécient particulièrement la boisson, les musiques ska et reggae et comptent même parmi eux des skinheads noirs, comme Trevor Fairweather, pour qui « le football et la musique se marient parfaitement ensemble. Les skinheads ont un look agressif et il y a un instinct tribal qui ressort en allant au football » . La violence fait également partie intégrante de la culture skinhead à une époque où le but du jeu est d’aller s’emparer par la force de la Home End adverse et ainsi asseoir sa domination. Il n’y a alors que peu ou prou de sécurité autour et dans les stades. Et la violence y est monnaie courante.
Radicalisation des tribunes à la fin des années 70
Aussi fou que cela puisse paraître aujourd’hui, il est fréquent dans les années 60 de chanter à la gloire des Rangers ou du Celtic à la mi-temps des matchs en Angleterre. Chelsea, de par le nombre disproportionné d’ex-membres de l’armée britannique fréquentant les tribunes de Stamford Bridge, et par conséquent de leur allégeance à la couronne ainsi qu’au royaume, se distingue clairement du côté des Rangers. Quiconque connaît un peu le monde des supporters sait à quel point les supporters des deux clubs sont proches, ce qui était déjà le cas à cette époque. Ces liens vont se souder au point de devenir indéfectibles durant les années 70. D’abord sportivement, car si des fans des Rangers sont du voyage à Athènes en 1971 pour assister à la victoire de Chelsea en Coupe d’Europe des vainqueurs de coupes, les fans anglais rendent la pareille aux Écossais la saison suivante, à Barcelone, où les Rangers sont couronnés dans la même compétition. Les Écossais prêtent également main forte à leurs frères anglais en Angleterre, par exemple pour envahir la North Bank End d’Highbury. Mais, ironiquement, c’est l’IRA qui les lie à tout jamais. En 1974, alors que l’Irlande du Nord est en proie aux troubles, l’IRA bombarde deux pubs à Guilford, dans le Sud-Ouest de Londres, où 5 personnes sont tuées et 65 autres blessées. Les sentiments loyalistes et unionistes se renforcent, beaucoup de fans des Blues connaissant directement quelqu’un parmi les victimes.
La fin des années 70 voit Stamford Bridge, et en particulier The Shed, la tribune mythique des supporters les plus fanatiques de Chelsea, se radicaliser. À l’instar de l’Italie où des groupuscules d’extrême droite tentent de recruter les ultras directement dans leurs virages, le National Front fait campagne dans les kops anglais. Un nombre conséquent d’habitués du Bridge est animé par de forts sentiments anti-IRA et de supériorité de la race blanche, tandis que certaines bandes hooligans sont dirigées par des membres auparavant au service de l’armée de Sa Majesté et avec des tendances plutôt patriotiques, pour manier l’euphémisme. La société anglaise est alors violente, avec une multi-ethnicité d’une échelle nouvelle qui fait peur et a bien du mal à être acceptée, surtout dans certains quartiers huppés dont Chelsea fait partie. Certaines tribunes ainsi que certains groupes hooligans ne tombent pas dans le panneau, du fait de leur situation sociologique, comme Man City, Birmingham City ou encore West Ham et son célèbre leader Cass Pennant qui « redevenait un noir, un nègre, un bamboula, tout ce qu’il est possible d’imaginer, dès que je quittais Upton Park. Mais à West Ham, j’étais juste un Claret & Blue » , confirmant ainsi un racisme très présent dans la société anglaise. Paul Canoville, premier joueur noir de Chelsea, en est une triste illustration en 1982, certains fans lui souhaitant la bienvenue en chantant « We don’t want a nigg* » . Il en faudra cependant plus pour décourager un homme qui a vaincu le cancer, le décès prématuré de son fils, une addiction à la drogue ainsi qu’une vie personnelle quelque peu chamboulée avec un père ayant eu onze enfants de dix femmes différentes.
Naissance des fameux Headhunters
Ces années 80 sont un premier tournant dans l’histoire de la violence du football britannique. Celle-ci change de look, car les autorités ont pris conscience des dangers et des émeutes à l’intérieur des stades et en connaissent les responsables. Les skinheads rangent leurs Docs, et les casuals prennent de l’ampleur, autant pour passer inaperçu que pour frimer et exhiber des marques comme Fila, Ellesse ou Pringle, la marque de golf alors très prisée par les casuals londoniens. Les bandes hooligans deviennent des firmes portant chacune un nom bien particulier, et celle de Chelsea adopte le nom de Headhunters. L’un des leaders n’est autre que Chris « Chubby » Henderson, dans le même temps chanteur du groupe de Oï ! nationaliste Combat 84. Toujours plus nationalistes, des ex-militaires en profitent parallèlement pour tisser des liens avec des groupes paramilitaires loyalistes, tels que l’Ulster Volunteer Force. Plus souvent qu’à leur tour, les Headhunters cognent leurs homologues des autres clubs pour confirmer une réputation d’être l’une des firmes les plus craintes du pays. Dans cette société anglaise aux problèmes sociaux latents, entre grèves de mineurs tournant au tragique, émeutes raciales à Brixton, Toxteth ou Moss Side, le football, lieu idéal de réunion et d’exutoire, n’est qu’un bien triste reflet de cette violence, et le hooliganisme connaît son apogée au milieu de cette décennie. Si les clubs anglais sont interdits de coupes d’Europe pendant cinq ans, les supporters de Chelsea en profitent pour consolider leurs liens avec ceux des Rangers, en voyageant avec eux lors de ces rencontres européennes. Les fans lambdas pour passer de bons moments entre loyalistes, les hools pour semer la zizanie.
Les supporters des Blues savent cependant se montrer solidaires. Suite à la catastrophe de Bradford en 1985, deux matchs amicaux entre Chelsea et les Rangers sont organisés afin de collecter des dons, l’un à Stamford Bridge et l’autre à Ibrox. Ces deux rencontres renforcent également un peu plus l’amitié des Blues Brothers qui sont désormais au nombre de trois. Les fans de Linfield, déjà amis des Rangers, se fondent dans le moule avec des idées politiques et loyalistes similaires. Le fanzine éponyme à cette amitié voit le jour, comme pour laisser une trace écrite de cette amitié pour l’éternité. Mais cette amitié royaliste et unioniste ne suffit pas à certains membres influents des Headhunters, qui embrassent carrément ou ont déjà embrassé la cause de l’extrémisme radical. Chris « Chubby » Henderson, Jason Marriner ou Andy « Nightmare » Frain, autant de leaders charismatiques des Headhunters proches du groupe néo-nazi Combat 18. 18, qui si l’on prend l’alphabet latin correspond aux lettres A et H, les initiales d’Adolf Hitler. La nostalgie du Führer est paradoxale pour des amoureux du Royaume britannique. Infiltrés à la fin des années 90 par un Donald McIntyre avec sa caméra cachée bien moins serein que Marcel Béliveau, Marriner et Frain écoperont respectivement de 6 et 7 ans de prison. Un documentaire à charge qui fera l’effet d’une bombe et informera les gens de quel type de personnes ont alors une influence directe sur les Headhunters. Chubby, lui, s’exile en Thaïlande où il ouvre un pub à Pattaya, enchaîne les conquêtes amoureuses locales et décède d’un arrêt cardiaque en 2013. Beaucoup de Headhunters lui rendront un vibrant hommage lors de ses obsèques.
Hoolibrités
Si le hooliganisme est en très nette perte de vitesse depuis au moins une bonne dizaine d’années, fait beaucoup moins d’adeptes qu’avant et a vu la violence se déplacer presque exclusivement hors des stades depuis les mesures prises suite au drame d’Hillsborough en 1989, il n’a néanmoins pas totalement disparu. Chelsea-Millwall 1995, Craven Cottage 2006, Cardiff 2010 ou encore l’incroyable bazar de Manchester en 2008 sont autant d’incidents, anachroniques certes, mais qui ont bien eu lieu et concernent les Headhunters. Des jeunes et moins jeunes restent fascinés par la mouvance hooligan et la violence, comme en témoignent les étals où sont présentés des produits dérivés Headhunters ou Jason Marriner dédicaçant son dernier livre à quelques pas de Stamford Bridge les jours de match. Les ex-hooligans les plus connus ont réussi à faire de leur passé de voyou un business, histoire de renflouer un peu les caisses après avoir purgé de lourdes peines. Dire qu’il n’y a plus d’extrémisme au sein des Headhunters ainsi que parmi certains supporters de Chelsea serait un mensonge. Cependant, ces mêmes Headhunters chantent désormais à la gloire de Drogba ou Hasselbaink, quand, il y a trente ans, ils ne voulaient en aucun cas d’un joueur noir. Preuve peut-être d’un changement de mentalité parmi les membres les plus jeunes, ainsi qu’une multi-ethnicité désormais plus ancrée dans les mœurs. L’incident du métro parisien, qu’importe le fond, sonne comme une piqûre de rappel. La tribune du Shed est devenue une tribune lambda avec peu de ferveur, mais tel fut le prix à payer pour l’assainir.
Par Grégory Sokol et Nicolas Kssis-Martov // Propos issus de Real Football Factories – London