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Ultras solidaires

Par Clément Gavard, à Rennes

En France comme ailleurs, le mouvement ultra ne peut pas se résumer à la violence, aux incidents et aux interdictions de déplacement. À l'approche des fêtes, les groupes de supporters se distinguent aussi par leurs actions caritatives, symbolisant la place de la solidarité dans cette culture et l'importance du lien social et de l'attache locale.

Ultras solidaires

Ces derniers temps, et le plus souvent, les supporters font surtout parler d’eux pour des débordements, dans les stades ou en dehors, et les multiples interdictions de déplacement qu’ils subissent. Ce week-end, cinq des neuf matchs de Ligue 1 (Le Havre-Nice, Lens-Reims, Nantes-Brest, Toulouse-Rennes et Lille-PSG) étaient concernés par un arrêté ministériel paru dans le Journal officiel en milieu de semaine, avant que l’ANS ne fasse suspendre trois d’entre eux par le Conseil d’État. Ces décisions interviennent dans un contexte particulier, marqué par la mort d’un ultra de la Brigade Loire en marge de la rencontre entre Nantes et Nice à la Beaujoire le 2 décembre dernier. Au-delà de ces incidents à répétition, qu’il n’est pas question de nier ou de minimiser, les ultras ne sont pas seulement des personnes vêtues de noir adeptes de bières et de bagarres. « Les hooligans, ils se battent et point barre, ce sont des “mauvais garçons” et ils assument. Chez les ultras, il y a une dimension ambivalente, présente Nicolas Hourcade, sociologue spécialiste de la question des supporters. Ce qui fait la difficulté de l’image des ultras, c’est qu’ils peuvent à la fois avoir des comportements très positifs et très négatifs. » 

Collectes, dons et bonnes actions

Dans le positif, dont on parle peut-être moins dans les médias et dans les débats, il y a la fibre sociale inhérente au mouvement ultra. Dans le local du Roazhon Celtic Kop, le principal groupe de supporters du Stade rennais, à un peu plus de deux heures du coup d’envoi de Rennes-Monaco, une douzaine de cartons sont remplis de peluches, un livre Tom-Tom et Nana, des jeux de société, une figurine Harry Potter, des petits bolides… Tout ce qui renvoie à l’enfance et à ses souvenirs. Le résultat d’une collecte de jouets neufs lancée par les ultras rennais pour les enfants hospitalisés, avec l’idée de donner les fruits de la récolte à cinq associations locales pour une redistribution pendant les fêtes. « On voulait faire une action pour Noël avec la volonté de rechercher des associations du coin pour que ça reste dans le 35 ou au moins en Bretagne, explique Paul, membre du noyau du RCK. Il y a deux ans, on avait récolté un peu plus de 12 000 euros lors d’une tombola solidaire pour financer une salle d’attente Snoezelen à l’hôpital sud de Rennes pour aider les personnes atteintes de trisomie qui avaient besoin d’un environnement plus calme. Ça avait été une vraie réussite et on s’est dit qu’il fallait profiter du groupe pour réitérer ce genre d’initiatives. » 

Le président du club Olivier Cloarec ou l’association des anciens joueurs du SRFC sont par exemple venus déposer des jouets ces derniers jours, comme des dizaines de supporters bretons, dont certains ne savaient même pas où se trouvait le « lokal ». « Tiens, par exemple, ce monsieur, je ne l’avais jamais vu ici », glisse Paul au moment où un homme apporte sa pierre à l’édifice. Les ultras rennais ne sont pas les seuls à mener des actions caritatives, c’est même assez répandu en France, comme en Europe : une collecte de vêtements pour les plus démunis au Red Star, des dons de fournitures scolaires organisés par les Green Angels à Saint-Étienne et autres multiples initiatives, parfois mises en place avec l’aide ou au moins le relais du club. Au début du mois, les Dogues Virage Est ont participé à un lancer de peluches à l’occasion de Lille-Metz. « On s’est clairement raccroché au projet lancé par deux personnes, détaille Donat’, président des DVE. Ils ont tout organisé de A à Z, mais ce sont des choses qui nous tiennent à cœur. Pendant le confinement, on a fait 980 repas pour le personnel soignant, on a fait des actions pour des hôpitaux, des crèches, des casernes de pompiers. Quand il y a eu la guerre en Ukraine, on a envoyé 200 kilos de vivres. » Une solidarité qui a parfois une résonance plus personnelle : « Malheureusement, on a un gars dont la fille est atteinte d’un cancer, donc on s’est aussi lié avec l’association Accolade pour leur fournir de l’argent et des dons. »

« On est des gens comme tout le monde »

Les ultras sont tous d’accord sur une chose : l’objectif premier de ces actions n’est pas d’améliorer leur image, même s’ils sont conscients que ça ne peut pas lui faire de mal non plus ces temps-ci. Ce n’est pas un hasard si certaines associations sont parfois surprises de tomber sur des supporters de foot. « La première qu’on a accompagnée, les Blouses roses, quand ils se sont renseignés, ils sont tombés sur l’histoire du vol de la bâche et tous les articles possibles qu’on peut imaginer sur le RCK, raconte Paul. Ils sont venus nous voir, on a discuté et ça s’est très bien passé. On est des gens comme tout le monde. » Donat’ ne dit pas autre chose : « On n’est pas seulement des personnes dans un stade qui gueulent après un joueur, sifflent l’arbitre ou boivent des pintes, il y a carrément autre chose derrière. Une association, c’est comme une mini-boîte. »

On n’est pas seulement des personnes dans un stade qui gueulent après un joueur, sifflent l’arbitre ou boivent des pintes, il y a carrément autre chose derrière. Une association, c’est comme une mini-boîte.

Donat, président des Dogues Virage Est

La crise sanitaire, une période où les activités en tribunes ont été suspendues, a renforcé le développement d’actions caritatives. Cette dimension sociale ne date pas de 2020 non plus, comme l’expose Nicolas Hourcade : « Dès qu’ils ont eu une structure associative solide et qu’ils ont été implantés dans le stade, les groupes ultras ont très vite lancé différentes actions en direction de la communauté. C’est notamment quand ils ont commencé à avoir un local en ville, dans les années 1990, que ça a facilité les connexions avec d’autres acteurs locaux. Par exemple, c’est à ce moment-là que les groupes marseillais se sont efforcés d’avoir une action sur le quartier dans lequel leur local était installé. » Il faut voir au-delà du stade, du club, du groupe : c’est la ville qui se présente comme une entité intouchable. Elle peut être mise à l’honneur sur les tifos, par exemple, ou dans les chants (« Ô Ville lumière » au Parc des Princes, par exemple).

Ces bonnes actions ne sont pas du « solidarité washing », soutient le sociologue, mais plutôt une occasion de « promouvoir la ville, de s’inscrire dans la cité » et de montrer qu’ils sont capables « d’un autre type d’engagement » que d’aller chanter en tribunes. « À la base, on est amoureux de notre ville, confirme Donat’. Dans le noyau, les mecs tatoués ne le sont pas forcément LOSC, mais Lille. On représente notre ville, tout ce qu’on peut faire pour l’aider, on le fait. » Paul donne le même son de cloche : « Les groupes ultras ont un rôle à jouer dans leur ville. Quand on a cette visibilité, comme nous au sein de la ville de Rennes, il faut saisir la possibilité de faire des actions en lien avec elle. » À Lille comme à Rennes, on se réjouit de l’évolution dans le bon sens de ces initiatives, avec la volonté de poursuivre sur cette voie : les DVE saluent par exemple l’implication d’Olivier Létang sur l’aspect caritatif, quand le Roazhon Celtic Kop compte relancer une tombola solidaire prochainement et espère faire de la collecte de jouets une tradition locale à l’approche de Noël. «  Ça peut redorer un peu l’image des ultras, mais ce n’est pas le but, rappelle Paul. On le sait, de toute façon, quand on pourra taper sur les ultras et les supporters, ce sera le cas, c‘est comme ça. » Ce qui ne doit pas empêcher de mettre en avant les bonnes actions et de s’intéresser à une culture encore très incomprise.

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Par Clément Gavard, à Rennes

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