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« La situation en Italie est terrible »

Propos recueillis par Antonio Moschella, à Modène
« La situation en Italie est terrible »

Après avoir planté plus de 300 buts sur l'ensemble de sa carrière, Hernán Crespo a raccroché les crampons en 2012. Depuis l'été 2015, il est désormais entraîneur, à Modène, en Serie B italienne. L'occasion de faire le point sur sa carrière de joueur, où l'on croise Batistuta, Veron, Ortega, Cassano, Nesta, Terry ou encore Baresi.

Il fait -4 degrés à Modena, mais plusieurs personnes se rendent à côté du stade Alberto Braglia pour assister à l’entraînement de l’équipe locale. Le ciel bleu et le soleil aident à supporter la température rude de la journée, même s’il est 11h du matin. Une heure avant, Hernán Crespo, actuel entraîneur de Modena, mais surtout ancien attaquant de River Plate, Parme, la Lazio, l’Inter, le Milan, Chelsea et le Genoa, réfléchit sur sa carrière, vingt ans après son arrivée en Italie. L’Italie, définitivement sa terre d’accueil…

Qu’est-ce que fait un Argentin ici, dans le Nord de l’Italie ?C’est vrai ça, qu’est-ce que peut bien faire un Argentin ici, depuis si longtemps ? (rires) Je suis arrivé en 1996, et petit à petit, j’ai commencé à m’adapter à la culture et à la mentalité italienne. C’est quelque chose qui m’attirait, que j’aimais bien et où je me sentais très à l’aise. Et maintenant que je ne joue plus, j’ai au moins la satisfaction que tout le monde en Italie me reconnaisse pour les choses que j’ai bien faites en tant que footballeur.

Au fait, la culture italienne et la culture argentine ont plusieurs points communs…Oui, tout à fait. Quand je suis arrivé ici, j’ai vu des choses qui malheureusement étaient en train de se perdre en Argentine.

Comme quoi par exemple ?

En Argentine, parfois, tu signais un contrat et finalement tu ne touchais que 25% de la somme convenue, les gens ne respectaient pas leurs engagements.

Mes parents m’ont toujours appris la valeur des mots, d’un contrat signé. En Argentine, parfois, tu signais un contrat et finalement tu ne touchais que 25% de la somme convenue, les gens ne respectaient pas leurs engagements, etc. Quand j’arrive en Italie, je découvre la régularité des paiements, l’ordre quoi. J’avais pensé qu’avec le temps, l’Argentine pouvait s’approcher de ce qu’était l’Italie, mais finalement, il s’est passé le contraire (rires). Aujourd’hui, la situation en Italie est terrible, et ça fait mal.

Tu parles de l’échec de Parme ?Oui, je souffre beaucoup de cette situation. Quand j’entraînais l’équipe B, j’avais vu qu’il y avait des difficultés, mais je ne pensais pas que les choses puissent se terminer de cette façon. Pour moi, c’était incroyable que de telles choses se passent ici en Italie, à un haut niveau, surtout parce que l’échec du club était confirmé à moitié du championnat, et aussi car ce n’était pas qu’un problème de foot, mais aussi la perte d’un emploi pour plusieurs personnes.

Tu sens que tu as une dette envers Parme, le premier club qui t’a fait confiance en Italie ?Non, je ne dois rien à personne, j’ai lutté pour me faire une place dans le foot, et j’ai réussi. Mais j’aime l’Italie à la folie, je voyage dans tout le pays, et les gens m’aiment bien. Donc je garde beaucoup de beaux souvenirs dans tous les clubs où j’ai joué. Évidemment, avec Parme, on avait gagné la Coupe de l’UEFA, la Coppa Italia et la Supercoppa en l’espace de trois mois. C’était très spécial, car Parme n’avait jamais remporté un seul titre au cours son histoire. Mais je n’oublierai jamais le fait d’avoir été capocannoniere (meilleur buteur de la Serie A) avec la Lazio, lors de la saison 2000-01.

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Est-ce que tu avais déjà pensé à devenir entraîneur ?J’ai toujours envisagé la possibilité d’entraîner, et je me suis familiarisé avec ce nouveau métier comme je l’ai fait pour devenir footballeur, par le travail. En tant que joueur, peut-être que je n’étais pas le plus rapide, ni le meilleur dans le jeu aérien, mais j’ai quand même marqué plein de buts, parce que j’étudiais beaucoup mes adversaires.

Tu es en train de dire que tu n’avais pas vraiment de talent ?Non, ce n’est pas ça. Évidemment, il y a toujours une part de talent, mais il faut la travailler et la développer. À plusieurs occasions, je restais à l’entraînement et je demandais à mes coéquipiers de me faire des centres, pour essayer de marquer dans toutes les situations possibles.

C’est l’étude constante de mes coéquipiers et de mes adversaires qui m’a permis de voir le foot à 360 degrés et de me transformer en entraîneur.

Je n’avais pas un talent hors du commun, donc j’ai travaillé sur moi-même – beaucoup sur les penalties, parce que je n’étais pas bon pour les tirer – et j’ai étudié le jeu de mes coéquipiers, et surtout de mes adversaires. C’est cette étude constante qui m’a permis de voir le foot à 360 degrés et de me transformer en entraîneur.

En tant que footballeur, tu t’inspirais de quel joueur ?Mon modèle, c’était Marco van Basten. Élégant, rapide, agile, grand buteur et en même temps joueur collectif. Génial quoi ! Après, j’aimais beaucoup la finition de Romário, la classe de Francescoli, l’instinct de Lineker… Je les regardais et à partir de là, j’ai forgé mon jeu. En fait, il n’y avait pas de grand buteur en équipe nationale d’Argentine dans les années 80, quand j’étais jeune. L’Argentine ne pas disposait d’un « nueve » , d’une référence en attaque, jusqu’à l’arrivée de Batistuta.

Tu crois que ta carrière en équipe nationale aurait été différente sans la concurrence de Batistuta ?Je ne sais pas. Peut-être qu’on s’est motivés l’un l’autre. Quand j’ai débuté avec l’Argentine, il y avait Batistuta et Caniggia, donc ce n’était pas facile. Mais finalement, j’ai quand même réussi à démontrer ma valeur, et j’ai eu la satisfaction personnelle d’avoir marqué un style. Aujourd’hui, tous les avants-centres en Argentine sont comparés à Batistuta ou à Crespo. Et ça, ça nourrit mon orgueil, évidemment.

Avec le maillot de l’Argentine, c’est quoi ta plus grande déception ? Ne pas avoir passé les poules en 2002, ou être éliminés par l’Allemagne en 2006 ?Les déceptions sont toujours grandes. En 2006, on a été éliminés aux tirs au but, ça fait mal, mais c’est le foot quoi. En plus, en Allemagne, il y avait un grand écart générationnel entre les joueurs. Par exemple, Messi n’était pas encore Messi, et Mascherano n’était pas encore Mascherano. Donc, il ne s’agissait pas d’une équipe mature. En revanche, en 2002, l’équipe était prête à gagner.


Qu’est-ce qui s’est passé alors en 2002 ? Javier Zanetti a dit que ce match face à la Suède (dernier match de poule, ndlr) aurait pu se terminer sur le score 5-1… Tout à fait ! Mais c’est le foot quoi. On rate un penalty, et moi, je marque le but égalisateur à la 88e minute. Mais pendant tout le match, le ballon ne voulait pas rentrer. Et finalement, on fait 1-1 et on est éliminés. Je suis convaincu que si l’Argentine était passée, on aurait fait une grande Coupe du monde, parce c’était une grande équipe.

Une grande équipe avec le meilleur entraîneur ?À ce moment-là, Bielsa, c’était l’idéal pour nous, sans doute. En plus, on sortait de l’ère Passarella, où il n’y avait pas trop de cohésion, et les joueurs qui avaient les cheveux longs ne pouvaient pas aller en équipe nationale. Bielsa, il nous a donné beaucoup de confiance.

En revanche il n’a pas gagné beaucoup de titres dans sa carrière…

J’ai aimé travailler avec Bielsa. Mais dans certaines situations, je n’étais pas d’accord avec ses méthodes.

Je crois que si tu ne gagnes pas, il y a une raison. Bielsa a marqué une tendance, une façon de travailler avec plein d’idées intéressantes et innovantes, et j’ai aimé travailler avec lui. Mais dans certaines situations, je n’étais pas très d’accord avec ses méthodes, et peut-être que c’est pour ça qu’il n’a pas remporté les titres qu’il aurait mérités.

Qu’est-ce que tu as utilisé de Bielsa, en tant qu’entraîneur ?La capacité et la méthodologie pour améliorer le joueur, au niveau individuel. Dans tous les exercices qu’il faisait, il y avait l’objectif d’améliorer les caractéristiques du footballeur. Mais il laissait aussi de l’espace au talent inné du joueur.

Dans ta carrière, t’as marqué plus de 200 buts. Quand tu étais à Parme et à la Lazio, il y avait un certain Juan Sebastián Verón, qui t’a fait pas mal de passes décisives…Je dis toujours que Sebastián, c’était le meilleur joueur de l’avant-dernière passe : il te mettait en condition de faire la passe décisive et il faisait jouer mieux ses coéquipiers. En fait, quand j’ai joué avec lui, j’ai réalisé mes meilleures saisons en tant que buteur.

C’était sur un centre de Verón que tu as marqué un but de fou avec le talon, contre la Juve. Et ce n’est pas le seul dans ta carrière…Chaque centre qui arrive des côtés, c’est un problème qu’il faut résoudre. Plusieurs fois, le ballon n’arrive pas exactement où tu veux, donc tu n’as pas vraiment beaucoup de temps pour penser à comment frapper. Mes buts du talon venaient de quand j’anticipais le défenseur au premier poteau, mais le ballon n’arrivait pas où je pensais, et donc c’était une solution d’instinct.


Tu te rappelles la première fois que tu l’as essayé ?Oui, c’était à Parme, pendant un entraînement : j’avais anticipé le défenseur au premier poteau, mais le ballon arrivait un peu derrière, donc je la touche avec la pointe du pied et je rate. À ce moment-là, je me suis dit que je pouvais utiliser le talon, pour mettre le ballon au deuxième poteau, que le gardien ne couvrait pas du tout (il se déplace en même temps pour expliquer le mouvement). J’avais compris que si je tournais la cheville, je pouvais changer la direction du ballon, évidemment ce n’était pas si facile… (rires), c’était dans l’improvisation du moment. En une saison à Parme, j’ai marqué 4 buts comme ça…

Tout ça après avoir commencé plutôt mal à Parme : pendant ta première saison, tu as eu des problèmes d’adaptation…Oui, mais il faut savoir que rien n’est facile dans le foot, comme dans la vie. Quand tu évolues à haut niveau, c’est toujours dur, pour plusieurs raisons. Il y a eu plein de grands joueurs, avec beaucoup de talent, qui n’ont pas réussi à démontrer toute leur valeur, car ils n’ont pas travaillé sur eux-mêmes.

Ortega, ton coéquipier à River Plate, Parme et en équipe d’Argentine, c’est l’un de ces joueurs ?Je crois qu’Ariel aurait pu faire quelque chose de plus grand dans sa carrière.

Si tu vois un match d’Ortega quand il a 17 ans et un match quand il en a 36, tu vois le même joueur.

C’était un footballeur extraordinaire, mais il n’a pas vraiment progressé dans son jeu : si tu vois un match d’Ariel quand il a 17 ans et un match quand il en a 36, tu vois le même joueur. Mais il a quand même fait une très belle carrière.

Est-ce qu’un joueur comme Antonio Cassano est le Ariel Ortega italien ?C’est différent. Je crois qu’Antonio sait qu’il a gâché son talent, mais je ne sais pas si Ariel le sait. Cependant, je crois qu’Ortega a eu une carrière meilleure que celle de Cassano. Il a quand même joué trois fois la Coupe du monde…

Le défenseur le plus difficile à passer dans ton parcours d’attaquant ?(Il soupire) Là, je peux t’en citer plusieurs : Samuel, Terry, Maldini, Nesta… Mais je n’ai jamais ressenti autant de fierté qu’après avoir été marqué par Franco Baresi, après toutes les fois où j’avais regardé les matchs de Van Basten et du Milan AC, c’était un honneur d’être marqué par Baresi. Et je peux t’assurer qu’en vrai, il me semblait encore plus grand que quand je le regardais à la télé (rires).

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