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La sélection américaine ne dépose pas les armes
Le football peut-il peser sur les débats de société ? Des joueurs symboliquement agenouillés à ceux qui s'expriment timidement sur les droits humains au Qatar, il est possible d'en douter. Les Américains, qui viennent de se positionner sur le contrôle des armes à feu, nous prouveront-ils le contraire ?
La terrible litanie des fusillades semble inéluctable aux États-Unis. Mais cette fois, le ras-le-bol a trouvé une voix inespérée via le monde du sport. Le dégoût et les paroles fortes de Steve Kerr, coach des Golden State Warriors (NBA), ont secoué l’opinion et se sont répandus dans les réseaux sociaux comme une paradoxale traînée de poudre : « Nous sommes pris en otage par 50 sénateurs, qui refusent de soumettre[le texte de loi sur le contrôle des armes]à un vote, malgré ce que le peuple américain souhaite. C’est pathétique, j’en ai assez. » Certes, l’homme s’était déjà exprimé sur ce sujet. Néanmoins, cette fois, sa sortie a pris une ampleur inhabituelle. Comme si la société américaine y était plus réceptive.
« La sécurité des enfants de notre pays est une responsabilité que nous partageons tous »
Cette sensibilité exacerbée après un énième drame explique aussi peut-être pourquoi l’équipe masculine des États-Unis de soccer a franchi le Rubicon dans un communiqué d’une tonalité sensiblement similaire : « Quand allons-nous faire quelque chose contre la violence armée en Amérique ? » En prenant soin au passage d’anticiper tout reproche contre cette sortie de route et du terrain : « Certains disent que les athlètes ne devraient pas s’impliquer dans des questions jugées politiques. Certes, mais nous pouvons tous convenir que la sécurité des enfants de notre pays est une responsabilité que nous partageons tous. »
Today we are sending this letter to every member of Congress pleading with them to act and help end gun violence. #BetheChange #DontLookAway pic.twitter.com/KWb5Eb1Z0K
— USMNT (@USMNT) June 5, 2022
Droit à l’avortement et bataille culturelle
Difficile pourtant d’imaginer qu’entrer de plain-pied dans ce débat et répercuter l’exigence d’un contrôle des armes à feu puissent se limiter à du simple bon sens. Une telle démarche revient malgré tout à proposer une certaine conception des « valeurs américaines » . Et ce, alors que, par ailleurs, la Cour suprême à dominante conservatrice et républicaine s’apprête à remettre en cause le droit à l’avortement…
On avait l’habitude dans la répartition des rôles de contempler la sélection nationale féminine porter le fer et le crampon devant le peuple. Avec naturellement Megan Rapinoe acclamée à Times Square par une foule dégustant son discours combatif contre Trump. Ses homologues masculins paraissaient plus sages, sauf exception, tel Michael Bradley. Ces quelques lignes collectives ne sont donc pas anodines. Surtout dans un pays dans lequel le droit de porter une arme est garantie par la constitution. Ces quelques mots permettent en outre de situer le football – celui né sur le Vieux Continent – dans une grande bataille des idées. Cette fameuse bataille culturelle dont Antonio Gramsci assurait qu’il fallait au préalable la gagner avant d’espérer l’emporter politiquement… Reste désormais à savoir si le ballon rond sera plus fort que la NRA.
Par Nicolas Kssis-Martov