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La Saint Felix

Par Steven Oliveira
9 minutes
La Saint Felix

La France a Kylian Mbappé, l’Italie a Moise Kean, l’Angleterre a Jadon Sancho et le Portugal a João Félix. Un attaquant de 19 ans qui s’est imposé au Benfica en enchaînant les prestations de classe, avant de signer à l'été 2019 pour 126 millions d'euros à l'Atlético de Madrid. Retour sur une ascension éclair.

25 août 2018. Mené par le Sporting Portugal, le Benfica Lisbonne est en plein doute. C’est le moment que choisit Rui Vitória, alors coach du SLB, pour lancer pour la première fois à l’Estádio da Luz un gamin de 18 ans qui répond au doux nom de João Félix. La suite est déjà entrée dans la légende. Trouvé dans le couloir droit, Rafa Silva accélère et centre pour la tête de… João Félix, qui arrache l’égalisation pour les Águias. Il devient ainsi le plus jeune buteur lors d’un derby de Lisbonne. « Je me sentais un peu nerveux quand je suis allé m’échauffer. Je me suis d’ailleurs échauffé comme jamais. Les autres me prenaient pour un fou. Quand l’entraîneur m’a dit que j’allais entrer, c’était un rêve. Je n’oublierai jamais, et dans 50 ans, je me souviendrai encore de tout » , avouait après la rencontre le héros du soir. Devant son écran de télévision, Jorge Pinto da Costa, le président du FC Porto, avait, lui, probablement la tête des mauvais jours. Peut-être parce qu’il y a quelques années encore, le nouveau prodige du football portugais lui appartenait.

Recalé par Porto, recueilli par Benfica

Retour en 2008. João Félix n’a alors que neuf ans et éclabousse déjà de son talent le club d’Os Pestinhas, tout proche de Viseu, sa ville natale. Onze ans plus tard, son ancien coéquipier Jorge Maneira n’a pas oublié les prouesses du jeune João : « Pour son âge, il avait une qualité supérieure à la moyenne.

Pour son âge, il avait une qualité supérieure à la moyenne. Je n’ai jamais revu ça. Il était bien trop fort pour nous.

Je n’ai jamais revu ça. Il était bien trop fort pour nous, et tout le monde savait qu’il allait partir pour un plus grand club. » Et c’est finalement Porto, plus proche géographiquement que Benfica et Sporting qui étaient aussi intéressés, qui récupère le joyau. En s’engageant chez les Dragões, João Félix peut ainsi continuer de vivre chez ses parents. Des parents qui, durant deux ans, effectuent quasiment tous les jours les 250 kilomètres aller-retour séparant Viseu et Porto pour déposer leur progéniture à l’entraînement et aux matchs.

Le gamin le leur rend bien en régalant sur le terrain et en épatant ses entraîneurs, à l’instar de Miguel Lopes, qui l’a eu sous ses ordres en U13 et U15 : « Il a toujours été au-dessus de la moyenne. Il était focalisé sur le jeu. Ce n’était pas courant pour un jeune de son âge de s’intéresser autant au ballon. Il connaissait tous les joueurs, les équipes. Il ne déconnectait jamais. Il était très perfectionniste, très exigeant avec lui-même. »

Si les performances sportives du jeune João Félix sont excellentes, l’aventure va finalement s’arrêter en 2014, quelques semaines avant ses 15 piges.

Les dirigeants de Porto n’ont pas cru en moi. Ils n’avaient pas confiance en moi sur le terrain et critiquaient ma taille. Au FC Porto, j’avais perdu ma joie. À Lisbonne, je l’ai récupérée.

La raison ? Le futur international portugais n’était pas assez grand, les dirigeants du FC Porto désirant, à ce moment-là, des joueurs visiblement plus physiques que techniques. Un choix qu’ils vont fortement regretter. Tout d’abord car João, à la puberté tardive, va grandir d’un seul coup, atteignant la taille de 1,78 mètre. Mais surtout car le Benfica Lisbonne va flairer la bonne affaire et se jeter sur cet enfant à la soif de revanche. « Les dirigeants de Porto n’ont pas cru en moi. Ils n’avaient pas confiance en moi sur le terrain et critiquaient ma taille. Au FC Porto, j’avais perdu ma joie. À Lisbonne, je l’ai récupérée. Cela a pris du temps, j’ai dû me prouver de nouveau ma valeur. » En inscrivant son but face au Sporting Portugal, João Félix a donc fait coup double : il a prouvé tout son talent et envoyé un message à son ancien employeur en marquant… de la tête.

Des records de précocité et des louanges

Alors entraîneur des jeunes du Benfica Lisbonne, João Tralhão ne comprend toujours pas comment le FC Porto a pu laisser partir un joueur de ce talent : « Je n’ai toujours pas réussi à trouver le moindre défaut à João Félix. C’est un joueur complet. Il a tout : la technique, la créativité, le placement, la vision de jeu, la finition. » Mais pour l’ancien adjoint de Thierry Henry à l’AS Monaco, ce qui différencie vraiment João Félix des autres jeunes de son âge se trouve dans son caractère : « Il est très compétitif. Il veut tout le temps gagner, même lors des petits jeux à l’entraînement. Il a beaucoup d’humilité, un caractère très fort et surtout il travaille beaucoup. Quand tu as cette mentalité, et le talent qui va avec, le reste est plus facile. » Des qualités qui n’ont toutefois pas suffi au Benfica Lisbonne pour s’imposer en finale de la Youth League 2017 (défaite 2-1 face au RB Leipzig, et ce, malgré les 6 buts dans la compétition de João Félix).

Vidéo

Très vite trop grand pour jouer avec les juniors, l’adolescent aux cheveux soyeux est alors envoyé avec l’équipe B du Benfica Lisbonne qui évolue en seconde division portugaise. Il devient ainsi le plus jeune joueur à disputer une rencontre avec le Benfica B. Un bon moyen d’emmagasiner de l’expérience et de s’aguerrir physiquement face à des joueurs plus âgés et bien plus costauds. Cela ne l’empêche pas de briller et de devenir, à 17 ans 3 mois et 5 jours, le plus jeune buteur de la LigaPro. Un record battu lors d’un match face à… l’Académico de Viseu, sa ville de naissance. Le destin, sûrement.

Un neuf et demi plutôt qu’un dix

Sur son but, il voit le jeu avant moi et arrive à me faire un piqué, alors que je sors sur lui rapidement. On aurait dit un vieux briscard déjà.

Fort de deux années passées à l’échelon inférieur, le jeune homme à l’appareil dentaire est fin prêt pour visiter le niveau du dessus. Et ce n’est pas Quentin Beunardeau, le gardien d’Aves qui a encaissé le premier but du prodige portugais en tant que titulaire, qui va dire le contraire : « Sur son but, il voit le jeu avant moi et arrive à me faire un piqué alors que je sors sur lui rapidement. On aurait dit un vieux briscard déjà. Il est assez mature dans son jeu. Et techniquement c’est très fort, il peut t’orienter le ballon à gauche, à droite, du pied droit comme du gauche. » Une technique parfaite et un sens du jeu qui n’est pas loin de rappeler l’ancienne gloire du Benfica Lisbonne Rui Costa.

Aujourd’hui directeur sportif du SLB, ce dernier préfère écarter la comparaison : « Certains le définissent comme mon héritier. Ou le nouveau Kaká. La vérité, c’est que Félix est seulement Félix. Il possède un sens du jeu extraordinaire et a une capacité rare : il peut deviner à l’avance ce qui va se passer devant le but. C’est un numéro 10 moderne, un deuxième attaquant avec un sens du but remarquable. »

Certains le définissent comme mon héritier. Ou le nouveau Kaká. La vérité, c’est que Félix est seulement Félix.

Rui Costa a raison. João Félix n’est pas un pur numéro 10, mais plus ce que l’on peut appeler un neuf et demi. C’est en tout cas à ce poste qu’il a évolué au Benfica Lisbonne, en soutien de la tour de contrôle Haris Seferović. Un électron libre qui se déplace un peu partout sur le front de l’attaque et qui a dicté le jeu du SLB pendant toute la saison 2018-2019, du haut de ses 19 ans. « Lors du match retour, j’ai clairement senti une évolution dans son jeu. Il a pris une autre dimension. Il a plus de maturité, plus de confiance en lui » , précise Quentin Beunardeau.

Le Mbappé portugais

Réputé pour vendre ses pépites à prix d’or, Luis Filipe Vieira, le président du Benfica Lisbonne, n’a pas dérogé à la règle avec João Felix.

Ce sont des chiffres fous, mais moi, je ne prête pas attention au marché ni aux valeurs, ça, ce sont des sujets d’agents et de présidents. Moi, je me contente de jouer.

Début 2019, il prolonge le contrat de son nouveau joujou passé, comme tous ses compatriotes, dans l’écurie Jorge Mendes. Avec, à la clé, une clause libératoire de 120 millions d’euros. Une somme folle qui n’a pas effrayé l’Atlético de Madrid, qui a cassé sa tirelire à l’été 2019 pour recruter la nouvelle pépite. « Ce sont des chiffres fous, mais moi, je ne prête pas attention au marché ni aux valeurs, ça, ce sont des sujets d’agents et de présidents. Moi, je me contente de jouer. Il est important d’avoir les pieds sur terre. J’ai une famille qui me le rappelle toujours. Plus nous grimpons haut, plus la chute est importante. » Des discours qui ne sont pas sans rappeler ceux d’un certain Kylian Mbappé…

Et si Kyky a grandi en étant fan de Cristiano Ronaldo, João Félix, lui, est un admirateur de… Kylian Mbappé. C’est d’ailleurs en imitant sa célébration qu’il a fêté son triplé en quarts de finale aller de Ligue Europa, en mars dernier, face à l’Eintracht Francfort (4-2).

Vidéo

Le Portugal, qui a loupé les premiers pas de l’attaquant de 19 ans en sélection en raison d’une blessure en mars dernier, n’a en tout cas pas attendu longtemps pour attribuer à l’attaquant du Benfica Lisbonne le surnom de « Mbappé portugais » . Et si les journaux et les amoureux du ballon rond n’ont d’yeux que pour lui au pays de Luís Figo, João Tralhão tient à rectifier les choses : « Mbappé est déjà une superstar. Il a déjà gagné une Coupe du monde. João Félix n’a pas encore atteint le niveau de Mbappé. Il n’a pas encore conquis ce que Mbappé a conquis. En matière de profil de joueurs, les deux sont très différents. Je suis certain que si les deux jouaient ensemble, ils feraient un très grand duo. » En attendant, c’est à l’Atlético que Félix va devoir franchir un cap. Pour le moment, les débuts sont encourageants, mais pas encore fracassants. Deux buts en Liga, deux en Ligue des champions, et quelques gestes de classe qui ne font que confirmer l’énorme potentiel du joueur, vainqueur du prix Golden Boy 2019, mais qui a vu Matthijs de Ligt lui ravir le trophée Kopa. Comme quoi, rien n’est jamais acquis, même avec un tel talent.

Dans cet article :
L’Atlético braque le Barça et lui vole son leadership
Dans cet article :

Par Steven Oliveira

Portrait initialement paru dans SO FOOT CLUB #52

Tous propos recueillis par SO, sauf ceux de João Félix issus de Benfica TV et de Marca, ceux de Rui Costa issus de Tuttosport et ceux de Miguel Lopes issus de RMC Sports.

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