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La révolution Bilić
Dix-huit ans après, Slaven Bilić est de retour à Londres avec un nouveau costume sur les épaules. Celui de coach, après avoir connu la fournaise stambouliote de Beşiktaş durant deux ans, et avec une ambition aussi folle que le bonhomme : faire de West Ham un club européen.
Le casting avait, sur le papier, l’air d’un blockbuster ronflant gonflé à coups de millions de livres. Dans l’air ont claqué les noms de Carlo Ancelotti, David Moyes, Rafael Benítez ou encore Unai Emery, tout juste vainqueur de la Ligue Europa avec le FC Séville. Il se murmurait même dans les couloirs de Rush Green, le nouveau centre d’entraînement des joueurs de West Ham, que le rêve avoué des co-propriétaires David Gold et David Sullivan avait des consonances argentines. Marcelo Bielsa aura pendant de longues semaines trusté la tête de la short list, mais finalement les Hammers ont dû se rabattre sur un choix plus mesuré, moins clinquant : Slaven Bilić, dont le CV peine à décoller sur un banc de touche, mais dont le passé en tant que joueur du club dans les années 90 a plaidé pour la cause. Slaven is back.
Le sacrifice d’une vie
West Ham est de ces clubs qui fabriquent des hommes. Des personnalités attachantes et attachées à ce que les vieux observateurs appellent encore « l’esprit club » , des esthètes que symbolisait encore il y a quelques mois l’éternel « Big » Sam Allardyce, coach des Hammers durant quatre années où il affirma à plusieurs reprises qu’il pourrait « mourir avec ses idées » . Bilić est de cette trempe. L’annonce de sa nomination a fait l’effet d’un espoir rafraîchissant dans l’Est de Londres où les supporters rêvent de surfer sur la bonne saison dernière à un an du déménagement dans le stade olympique.
L’histoire de Slaven Bilić est avant tout celle d’un écorché repoussant la normalité, habité par une « conscience sociale » et capable de se sacrifier sur l’autel de son sommet sportif : une Coupe du monde en France à l’été 98. En demi-finale, sa haine de la défaite conduira à l’expulsion de Laurent Blanc qui manquera la finale. Une marche près des cieux qui provoquera aussi sa chute footballistique, la faute à une blessure à la hanche dissimulée durant toute la compétition et qui ne lui laissera ensuite que quelques mois avant de devoir ranger ses crampons. Cette blessure ne se refermera qu’en janvier 2012, où le roi Bilić se décidera enfin à passer sur le billard, histoire de fermer un chapitre. Et d’ouvrir celui du rêve de toute une vie : transmettre sa connaissance, son savoir et « travailler en Angleterre » , un souhait avoué au Guardian en 2012.
Système en voie d’extinction, strass et Payet
« Je n’ai pas besoin d’être un tyran pour me faire respecter. Pour moi, le respect se gagne dans l’intelligence. » Slaven Bilić est souvent assimilé à l’un des derniers porteurs d’eau d’une méthode aujourd’hui en perte de vitesse. Celle du 4-4-2 strict, déclinable en 4-2-3-1 dont il avait reçu les louanges avec la Croatie alignant un trio redoutable Modrić-Kranjčar-Rakitić pour arriver au bout de ses idées. C’est dans cet objectif précis que Bilić s’est battu pour récupérer Dimitri Payet à West Ham. Dès l’arrivée de l’ancien Marseillais en Angleterre, le Croate a affirmé qu’il lui donnerait « les clés du jeu » , probablement aux côtés de Sakho et Downing, et juste derrière le revenant Caroll, à qui Bilić a confirmé sa confiance.
La révolution Bilić est donc en marche et avec lui, la patte d’un homme : Tony Henry, la tête pensante du recrutement des Hammers. L’objectif est clair, et les propriétaires l’ont annoncé : West Ham doit devenir un club européen durable avec un style de jeu attractif et capable de réaliser des plus-values avec des joueurs jeunes – ce qui devrait être possible prochainement avec l’explosion de Diafra Sakho. Une nouvelle politique qui arrive à convaincre, le recrutement de l’international italien Angelo Ogbonna de la Juventus ou du jeune Pedro Obiang, arrivé de la Sampdoria, en sont les preuves.
« J’espère qu’il sera sur le banc… »
Reste que Bilić reste aussi un facétieux. Fils du doyen de la faculté de Split, érudit convaincu et joueur de guitare compulsif, le Croate a ses sautes d’humeur. À Moscou, lorsqu’il était aux manettes du Lokomotiv, l’ancien défenseur n’est resté qu’un an. La raison ? Son antipathie. Un caractère qui a provoqué des vagues en Turquie, mais de auusi de la fascination. Lors de son départ de Turquie, où il entraîna Beşiktaş durant deux ans, une pancarte indiqua « Adieu, grand commandant » . À chaque passage, Bilić déchaîne, fait rire, pleurer, hurler, mais interroge. Arrivé le 9 juin en Angleterre, Slaven Bilić ne s’est présenté à ses joueurs que le… 26 juin.
Pour le début de la campagne européenne de West Ham, en pleine bataille avec des tours préliminaires de Ligue Europa, les Anglais ont écarté sans difficulté les Lusitans, un club d’Andorre. Problème, Bilić a provoqué la colère du coach adverse, Xavi Roura, pour ne pas s’être présenté sur le banc. À sa place, le Croate avait envoyé l’entraîneur de l’académie des Hammers, Terry Westley, jugeant qu’il connaissait mieux les jeunes pousses envoyées pour affronter les Andorrans. « C’est un manque de respect. Le minimum que l’on attend d’un club comme West Ham, c’est que cela ne se reproduise plus. J’imagine qu’il a gagné assez de titres pour penser qu’il est déjà leSpecial One » , s’est lâché Roura. Premières polémiques, premiers gros titres, premières critiques sur la gestion de groupe. Le milieu gauche Matt Jarvis s’est même permis de balancer dans la presse avoir « quand même hâte de rencontrer l’entraîneur qui allait prendre en charge le groupe alors que les premiers matchs arrivent. Il va vite falloir qu’on passe à autre chose » . On parle bien d’une révolution.
Par Maxime Brigand