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La revanche de l’Espagne
Il est temps de dire la vérité. Jamais les clubs espagnols n’ont été aussi à la rue financièrement. Jamais pourtant le foot espagnol n’a autant dominé les podiums et les têtes. Démonstration.
Le foot espagnol donne mal au ventre. D’un côté, il y a les super-pauvres (la majorité): 752 millions d’euros de dettes au fisc et à l’Ursaf espagnole, 42 millions d’euros de salaires impayés, 21 clubs sous administration judiciaire et près de 300 footballeurs qui ont souffert d’impayés. De l’autre, les super-riches (presque personne) : avec près de 500 millions d’euros de facturation annuelle, Real Madrid et FC Barcelone sont les plus argentés du monde d’après le cabinet Deloitte. L’obscénité de ces résultats est l’écho de la répartition léonine des richesses audiovisuelles. Dans le concours de beauté des droits télés, Real et Barça raflent à eux seuls près de la moitié des prix (280 millions sur 600). Pour Jose Maria Del Nido, président du Sevilla, la Liga est devenue « la plus grande porcherie du monde » dans laquelle les porcs s’habillent en Porshe Design. Mais en Espagne, le bonheur ne se mesure pas à la taille du portefeuille. Les clubs espagnols ont beau être aux portes de l’apocalypse financière, le football ibérique domine le monde. Être pauvre rend parfois heureux.
Bien sûr que c’est le Real ou le Barça qui gagneront la Liga en 2012. Les deux divas écrasent le championnat. Avec 25 points de retard et seulement 44 buts marqués, Valence ne reviendra jamais sur les 73 points et 90 buts marqués du Real. En Espagne, il y a longtemps qu’on sait que les deux premières places à l’avant du bus sont réservées. La vraie Liga se joue à 18 clubs et sur 34 journées et ce championnat-là est le deuxième plus serré d’Europe, juste derrière la Serie A : 19 points d’écart entre le troisième et le dernier non-relégable. En Angleterre ? 30 points. En Allemagne ? 26 points. En France ? 21 points. Mais le Real et le Barça ne dominent pas que l’Espagne. C’est l’Europe entière qui prend une claque quand elle se mesure aux cadors espagnols. En Champions League, le Barça n’a pas perdu un match depuis le 16 février 2011 à Arsenal (2-1, mais victoire au retour 3-1). Pire le Real, n’a pas perdu contre un club européen depuis 2 ans. C’était à Lyon en 2010. En 2011, il n’y a que les catalans pour faire mordre la poussière aux merengues. En 2012, il y a des grandes chances pour que ce soit la finale de Champions League.
La bataille des idées
Avec presque 5 millions de chômeurs en 2012 en Espagne, il n’y a plus que les fouteux qui bossent. Sept clubs se sont présentés sur la ligne de départ européenne en septembre. Six mois plus tard, cinq d’entre eux sont en quarts de finale : 2 en Champions (Real et Barça) et 3 en Europa League (Bilbao, Atletico, Valence). Cette saison il n’y a plus qu’un club anglais sur huit engagés en Europe. Certes, l’Angleterre devrait bientôt perdre sa première place au classement UEFA mais c’est surtout dans les têtes que l’Espagne avance et domine. La référence footballistique absolue, c’est le Barça de Pep. Le 442 est devenu ringard, les ailiers sont de retour et les muscles font honte. La hype en Europe, c’est de mesurer 160 centimètres, de jouer à une touche de balle et d’avoir l’air sympa. Même l’Allemagne s’y est mise et a remplacé Ballack par Özil. À Bilbao, Messi s’appelle Muniain mais l’idée de jeu est la même : joueurs homemade, possession, combinaison et déséquilibre. Quand les basques promènent le leader de la Premier League pendant deux matchs, c’est le vieux Ferguson qui résume l’état d’esprit général : « c’est une merveille de les voir jouer ainsi. Ils méritent d’aller jusqu’en finale » . Si même le vieux le dit…
Les espagnols ont perdu contre le FMI et Angela Merkel mais ils ont gagné la bataille des idées. Depuis le début de la crise économique en 2008, les clubs espagnols n’ont pas eu d’autres choix que d’investir dans le produit maison et l’entraineur innovant et ambitieux: Emery à Valence, Mel au Betis, Sandoval au Rayo, Bielsa à Bilbao et Guardiola au Barça. Aucun de ces entraineurs n’a jamais osé jouer le nul contre quiconque. Tous ont du faire avec les moyens du bord à leur arrivée et rendre leur fierté à des villes sinistrées économiquement. Il ne s’agit plus de résister mais d’exister. Quand Mourinho rencontre l’OVNI Betis et son toque de milieu de classement la semaine dernière, il n’en revient pas : « le Betis est une équipe qui fait le spectacle et qui a une philosophie de jeu fantastique » . Le Real l’emporte à l’arrache 3-2 à Séville (28% de chômage) mais « un match nul aurait été plus juste » reconnaît même le Mou. En sortant d’un exténuant 5-3 contre le quinzième du classement (Grenade, 29% de chômage), Guardiola sourit. En Espagne, ce qui compte c’est le jeu car « au bout du compte on est là pour faire plaisir aux gens » . L’ivresse du jeu plutôt que la sagesse du résultat : en temps de crise, on n’est plus très regardant sur le flacon. Et c’est tant mieux.
Par Thibaud Leplat, à Madrid