- Ligue 1
- J15
- PSG-OL (3-1)
« Chants insultants », la nouvelle arme contre les ultras
Pour la première fois, une rencontre de Ligue 1 a été interrompue pour des « chants insultants » lors de Paris-Lyon dimanche. Cette nouvelle mesure, prise après plusieurs avertissements, peut-elle être efficace ? Pour quelles suites ? Éléments de réponse avec deux spécialistes des mouvements ultras.
On joue la 55e minute du choc Paris-SG-Lyon dimanche soir. Le score est alors de 2-1 pour les locaux, personne ne peut encore affirmer qu’ils remporteront plutôt aisément « ce choc de Ligue 1 » (3-1), et pourtant, le délégué de la Ligue et l’arbitre de la rencontre Benoît Bastien prennent une décision inédite : interrompre une rencontre de Ligue 1 à la suite des « chants insultants interdits » vociférés par les ultras du virage Auteuil à l’encontre des supporters lyonnais. Les chants en question : « Les Lyonnais, c’est des salopes ». Le terme « insultant » permet donc de mettre dans un même cadre racisme, homophobie, sexisme et toute autre vulgarité, sans véritable hiérarchie. Et c’est en ça que cette nouveauté, voulue par les pouvoirs publics, peut être considérée comme un nouveau coup de force envers les mouvements ultras. Mais pour quelle efficacité ?
Le changement, c’est vraiment maintenant ?
Revenons d’abord sur le déroulement de cette scène. Cette annonce est tombée après plusieurs avertissements sur les écrans géants du Parc des Princes – « Les chants insultants sont interdits. Le match pourrait être arrêté, voire perdu par le club » – et l’intervention du speaker du Parc en première période. Peu réceptif, le virage parisien a repris ses insultes envers les Rhodaniens, alors que leurs supporters étaient eux interdits de déplacement. Arrivé à saturation, le délégué est donc sorti de sa boîte pour demander à l’équipe arbitrale de stopper le jeu. Dans la foulée, plusieurs cadres du PSG (Vitinha, Gianluigi Donnarumma et surtout Achraf Hakimi, capitaine du soir) sont allés calmer les supporters pour que la rencontre puisse reprendre. Mais le virage Auteuil, tout sauf rassasié, a repris en chœur : « On s’en bat les couilles », comme un ultime pied de nez aux pouvoirs publics. Cet épisode n’était en tout cas pas du goût d’Ousmane Dembélé : « On parlait aussi à l’arbitre et au délégué, ils nous ont dit que ça devait s’arrêter et qu’on allait reprendre le match, a relaté l’ailier droit en zone mixte. Ce sont des chants qui sont difficiles à entendre dans des stades. Je comprends totalement que le match soit arrêté. »
Alors que le sujet (de l’homophobie notamment) était le cheval de bataille de son prédécesseur, Gérald Darmanin, c’est le ministre de l’Intérieur démissionnaire Bruno Retailleau qui a sorti cette mesure de son chapeau. Fraîchement nommé, l’homme politique, encarté chez Les Républicains, avait rassemblé fin octobre les instances du football pour tenter d’endiguer la violence, les insultes et l’homophobie dans les stades. « Chants homophobes, affrontements de clubs de supporters, agressions des forces de l’ordre, on ne peut plus supporter que, chaque semaine, le sport soit le théâtre d’agissements intolérables », s’était-il emporté sur X à la suite des incidents survenus lors de la 8e journée, lors de PSG-Strasbourg et Montpellier-OM.
Les faits de ce dimanche soir sont un nouveau pas franchi pour Christophe-Cécil Garnier : « J’ai été assez étonné. C’est sûr que c’est mieux de ne pas entendre ce genre d’insultes, qui sont sexistes, dans les stades, mais c’est malheureusement très répandu dans la société. Les supporters peuvent considérer qu’encore une fois, on se fait la main sur eux, plutôt que de s’attaquer à toute la société, parce que c’est plus facile médiatiquement de les viser. Comme pour les questions d’homophobie », pointe le coauteur du livre Supporter, un an d’immersion dans les stades français avant de poursuivre : « Le stade est monolithique. La société bouge, et il y a des termes qu’il ne faut plus utiliser aujourd’hui, mais il ne faut pas arriver avec ses grands sabots et arrêter le match… Les pouvoirs publics sous-estiment la dimension “sales gosses” des ultras, qu’ils revendiquent clairement. Depuis le départ, ils sont par nature opposés à l’ordre établi, que ce soit le club ou les autorités. Après cet épisode, ils peuvent avoir encore plus envie de recommencer parce que c’est leur tribune, leur stade. »
Nouvelle banderole du virage sud, à destination du ministre de l'intérieur. #OMPSG @franceinfo pic.twitter.com/RQIfx8ykzD
— Julien Froment (@JulienFroment) October 27, 2024
Le bâton avant la pédagogie
Ces mesures, à terme, auront probablement leur effet, mais encore une fois, les instances optent pour la manière forte, dont ils feront la promotion dans les médias. Pour Sébastien Louis, il faudrait plutôt opter pour la pédagogie : « La polémique est récurrente depuis des années. Mais est-ce que cet excès de moralité mène à quelque chose ? Il ne faut pas tolérer certains chants, mais une pédagogie est à mettre en œuvre pour qu’il y ait une prise de conscience de la part des ultras. »
Pour l’historien et sociologue, spécialiste du supportérisme radical en Europe et en Afrique du Nord, les sanctions ne sont pas les bonnes : « Elles n’ont aucune efficacité. On l’a encore vu dimanche, malgré les appels du speaker et du capitaine du PSG, les chants ont continué par provocation. Depuis 2019 en Italie, les chants discriminants, notamment ceux sur les habitants du Sud, sont interdits, mais le problème n’a pas été endigué… Ce qu’il faut, c’est instaurer un vrai dialogue. On a les instruments en France avec notamment l’Instance nationale du supportérisme, et en organisant aussi des tables rondes. Mais il faut surtout que les autorités cessent d’être uniquement dans une parole répressive. » Reste à voir maintenant, si les faits se reproduisent, quelles seront les actions menées. Surtout si ce n’est pas lors d’une grande affiche.
Par Thomas Morlec