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La rencontre des Amériques
Presque 200 000 Américains ont acheté des places pour la Coupe du monde, et davantage encore ont fondu sur le Brésil pour fêter ça. À Manaus, l'autorité touristique de l'État d'Amazonas annonce 35 500 touristes américains à l'occasion du match contre le Portugal, alors que le total d'étrangers tournait autour de 30 000 sur les matchs précédents. Plongée dans un effet boule de neige.
L’homme se fait appeler « Yosemite Bear » , soit « l’ours de Yosemite » , du nom d’un magnifique parc naturel du sud-ouest américain dans lequel il a élu domicile. Sa renommée date du 8 janvier 2010 et d’une vidéo postée par lui-même sur Youtube dans laquelle il s’extasiait pendant plus de 3 minutes sur un double arc-en-ciel, de manière un peu gênante. Résultat : la vidéo « Double Rainbow » devient un meme et atteint les 40 millions de vues. Si le Yosemite Bear avait été présent ce samedi à l’Arena da Amazonia de Manaus, il aurait pu s’offrir un sursaut de célébrité, en assistant à la fois à un double arc-en-ciel (plus fréquent ici en raison des pluies amazoniennes) et à un entraînement de la sélection nationale américaine de soccer dans une enceinte vide. Double plaisir.
Mais l’Ours n’était pas là, et on pourrait finir par croire qu’il est le seul Américain à ne pas s’être déplacé tant le Brésil assiste, depuis le début de la compétition, à une invasion de la bannière étoilée. Comme en Afrique du Sud, les Américains sont les plus gros acheteurs de billets derrière les locaux avec 196 838 unités, loin devant l’Argentine, qui suit avec 61 021. Une tendance qui se retrouve à Manaus. Selon les chiffres du ministère des Sports, ils ont acheté 30% des billets vendus pour le match de la National Team contre le Portugal. À titre de comparaison, les Portugais n’en ont achetés que 3,2%, et les Anglais seulement 10,8% pour leur match contre l’Italie. Surtout, les Américains étaient déjà la plus grosse délégation étrangère lors de Cameroun-Croatie, loin devant les deux protagonistes, et la situation se présentera à nouveau pour le dernier match de Manaus, Suisse-Honduras.
Soccer ou football ?
Sur le Largo de Sao Sebastiao, la place qui accueille le Teatro Amazonas, l’opéra de Manaus, ils déambulent pour certains depuis le début de la semaine, maillot des US sur le dos. « Quand nous avons vu le tirage au sort, nous voulions absolument venir, surtout à Manaus parce que c’est une destination touristique » , explique Alan, béret vissé sur la tête. Alan est originaire de Swansea, Massachussets, et c’est comme ça qu’il a choisi l’équipe qu’il supporte en Europe : Swansea City. Après le match, il partira pour un « Jungle Tour » de deux jours et une nuit, ces excursions touristiques dans la jungle dont les prix et le nombre de réservations ont explosé depuis l’arrivée des Américains. Ryan, 36 ans, a lui aussi prévu d’aller pêcher le piranha et titiller le dauphin rose après États-Unis – Portugal. « Les gens ne viendraient pas ici s’il n’y avait pas le match, croit savoir cet habitant de Toledo, Ohio, supporter d’Arsenal et de l’équipe de Columbia School. C’est une façon de sortir de notre zone de confort. » Alan est lucide : « Si nous sommes aussi nombreux, c’est aussi que nous avons les moyens de venir. »
Mais l’attrait touristique n’est sans doute pas suffisant pour expliquer l’afflux d’Américains au Brésil et à Manaus. « Il y a vraiment de plus en plus de fans de football depuis vingt ans et la World Cup 94, assure Steve, arrivé du Colorado, qui a assisté à son premier match de la sélection en 1996 à 28 ans. Aujourd’hui nous avons les moyens de faire venir un entraîneur comme Jürgen Klinsmann. C’est sûr que les Américains préféreraient qu’on ait de meilleurs attaquants, qu’on joue en 433, mais je suis certain que nous sortirons les meilleurs joueurs du monde dans la prochaine décennie. » Une théorie confirmée par Joe, venu du Minnesota et qui repartira avant même le match contre le Portugal : « Je joue au foot depuis le 4th grade (9 ou 10 ans, ndlr). À l’époque, j’étais un peu tout seul, mais aujourd’hui, tous mes enfants jouent au football. » Détail de puriste, tous les supporters présents se reprennent à chaque fois qu’un « soccer » leur échappe pour le remplacer par un « football » .
L’Américain aux 440 maillots
Le meilleur exemple de cette transformation est sans doute Butch Wright. Après avoir quitté l’armée, Butch a rencontré une fille de Manaus aux États-Unis, qui l’a ramené au pays en 2000. Ils se sont mariés et ont un enfant de 4 ans. Exerçant le métier d’anthropologue, Butch apprend actuellement sa onzième langue et ne plaisante pas avec le football, qu’il a découvert à 5 ans devant un match de Pelé avec les New York Cosmos dans les environs de Detroit, où il a grandi. « Je me demandais qui était ce type qui pouvait envoyer le ballon en l’air avec sa tête » , rigole-t-il aujourd’hui. Butch se met à jouer, le développement de la télévision câblée lui permet de suivre Manchester United dans le championnat anglais et Cruz Azul dans la ligue mexicaine. En 1990, il peut suivre sa première Coupe du monde commentée en anglais (et non plus en espagnol), tombe amoureux de l’Angleterre de Gascoigne et entame sa collection de maillots. « J’en ai aujourd’hui 440, montre-t-il en ouvrant des placards qui débordent. Mais ce n’est pas la plus grosse collection à Manaus. Il y a un gars qui en a 1500. »
Lorsqu’on lui dit que les États-Unis ne sont toujours pas un pays de football, Butch s’insurge. « Qui dit ça ? Aux États-Unis, selon un récent sondage, 10% des gens se disent fans hardcore de football. C’est peut-être une faible proportion mais ça fait quand même plus de 30 millions de personnes. Deux fois la population des Pays-Bas. » Et Butch de donner un exemple concret : « La moyenne d’affluence des stades aux États-Unis est de 18 000, au Brésil, c’est 12 000. Lorsque les Seattle Sounders jouent, ils ont 50 000 personnes à chaque match. Et pour le derby face aux Portland Timbers, ils ouvrent le stade en entier et il y a 67 000 spectateurs. C’est plus que pour un derby de la Ruhr à Schalke. » Butch va chercher dans le football des émotions qu’il ne trouve pas ailleurs ( « pourquoi je supporterais une équipe de basket quand il y a 32-30 alors que je sais que chaque équipe peut encore marquer plus de 50 points ? » ), et avoue que même s’il déteste Liverpool en tant que supporter de ManU, il a la chair de poule lorsqu’il entend le You’ll never walk alone.
Vukovar !
Son dernier frisson remonte à Cameroun-Croatie. « Mon grand-père est croate, donc j’étais dans le coin des supporters de la Croatie. Nous sommes un pays d’immigration où les gens restent fidèles à leurs racines, c’est aussi pour ça que les Américains ont acheté beaucoup de billets pour le Mondial. Pas seulement pour la sélection américaine mais aussi pour le Mexique, pour l’Italie, etc. » Lorsque les Croates ont commencé à chanter « Vukovar ! » , Butch a repris en chœur. « Un ami m’a demandé ce que les Camerounais pouvaient bien avoir à faire avec le siège de Vukovar. Rien, évidemment. Et les Serbes n’étaient pas là pour l’entendre non plus. Mais eux, ils savent qu’ils l’ont chanté, c’est ça qui est beau. » Les États-Unis ont donc définitivement compris l’essence du football.
Par Thomas Pitrel, à Manaus